De la théorie à la pratique : 5 exercices d’empathie (pour moins de violence et une meilleure estime de soi)

exercice empathie de la théorie à la pratique

Christophe André écrit :

Le discours sur la bienveillance est souvent accepté par la plupart d’entre nous. Mais les pratiques du quotidien en diffèrent souvent. Jules Renard, malicieux observateur du genre humain, notait ainsi dans son Journal : “Bienveillant pour l’humanité en général, et terrible pour chaque individu”. 

Or l’objectif de l’approche empathique n’est pas d’en venir à approuver ou aimer la personne en cause (ni même de la changer ou de la manipuler) mais plutôt de :

  • se rendre la vie plus belle et moins violente (comprendre plutôt qu’accuser, raisonner en termes de besoins plutôt qu’en termes de jugements),
  • éviter de faire des suppositions et des opinions erronées (qui peuvent amener à médire, à critiquer, à vouloir faire du mal) sur autrui,
  • apprendre à faire preuve d’auto empathie (la pratique pour comprendre les émotions et les besoins des autres peut être réinvestie pour soi-même),
  • gagner en estime de soi (développer une meilleure image de soi à travers une vision positive de soi et des autres).

Christophe André propose quelques exercices pour développer une qualité d’écoute et d’observation empathique :

1.Passer du global au spécifique

Il s’agit ici de reconnaître les atouts d’une personne en même temps que ce qui nous déplaît chez elle : qu’est-ce qui me plait chez cette personne ? qu’est-ce qui me déplaît ? pourquoi ? qu’est-ce qui est touché en moi ?

Pour ma part, j’ai justement été confrontée à une situation qui appelle ce type de raisonnement le mois dernier lors d’une soirée. Nous étions une quarantaine de personnes dont je connaissais la moitié. Il y avait également cette fille qui m’a mise mal à l’aise : grande, très apprêtée, qui riait et parlait fort, qui allait discuter de groupes en groupes… J’ai toujours été mal à l’aise face à ce type de personnes. Avant, j’avais tendance à les cataloguer de “grandes gueules” mais maintenant, j’arrive mieux à comprendre ce qui est touché en moi. J’ai une tendance à l’introversion (je préfère les petits groupes et les ambiances calmes), j’aime les discussions intimes et poussées sur des sujets plutôt “sérieux” (qui me stimulent intellectuellement) et j’ai donc beaucoup de mal avec les discussions de surface, celles qui permettent justement d’entrer en contact avec des gens qu’on ne connaît pas dans une soirée par exemple. En même temps, j’admire la confiance en soi que dégagent ces personnes, leur aisance relationnelle (moi qui ai besoin de beaucoup de temps pour nouer des relations) et leur capacité d’adaptation d’un environnement à un autre : il ne s’agit pas d’envie mais juste d’une compréhension de nos différences de fonctionnement !

2.Passer du jugement à la description objective du comportement

Dire d’une personne “elle est vantarde” n’est pas la même chose que “elle a parlé de son augmentation de salaire supérieure à la moyenne pendant 30 minutes”.

Marshall Rosenberg, fondateur de la Communication Non Violente, estime que la faculté d’observer sans juger est fondamentale et constitutive de la communication non violente. Observer, c’est décrire sans jugement ce qui s’est passé, à la manière d’une caméra qui filmerait la scène. Observer sans évaluer est d’ailleurs très difficile et une forme d’intelligence humain rare !

Si nous pensons avec des images bon/ mauvais, approprié/ inapproprié, trop ceci/ trop cela, alors nous ne voyons plus le réel mais seulement des images d’ennemi.

L’observation consiste à attirer l’attention sur des faits, à cite directement les propos de l’interlocuteur sans jugement, supposition ni diagnostic.  Par exemple, quand on dit que quelqu’un s’est mis en colère, c’est une traduction non neutre de la situation.

Quand on juge, on cherche à prendre le contrôle sur les autres en jouant sur leur sentiment de culpabilité ou en ralliant d’autres personnes à notre diagnostic.

3.Passer du permanent au relatif/ contextuel

Adopter un point de vue permanent (elle est toujours comme ça; elle dit tout le temps ça; elle ne fait jamais ça; chaque fois, c’est pareil…) empêche de voir la globalité de la personne et l’enferme dans une case.

Intégrer de la relativité dans les propos ouvre la voie vers plus de liberté (la possibilité de sortir de la case) : elle réagit comme ça dans telle situation; hier, elle a fait ça…).

4.Passer de l’étiquette aux besoins

La communication non violente implique de trouver le besoin non satisfait qui se cache derrière le jugement car les besoins sont la vie qui cherche une expression ! Personne ne juge moralement mais tout le monde cherche à savoir si les actes et paroles servent la vie.

Ainsi, passer de l’étiquette (elle est pénible/ démoralisante/ vantarde/ égoïste…) à la compréhension des besoins (si elle est ainsi, c’est que cela lui sert, lui apporte quelque chose, lui permet de satisfaire un de ses besoins : mais lequel ?). Les stratégies pour essayer de satisfaire des besoins sont parfois (souvent même !) inefficaces et engendrent de la violence (critiquer, se vanter, médire, culpabiliser…).

Montrer de l’empathie permet d’entendre les sentiments de l’autre ainsi que son besoin non satisfait (j’écoute avec empathie comment tu te sens, sans entendre de reproches ni de critiques),

Marshall Rosenberg cite quelques besoins fondamentaux, valables aussi bien pour les adultes, les enfants et les adolescents :

  • Autonomie (choisir nos rêves, nos buts, nos valeurs et les stratégies pour les atteindre)
  • Célébration (célébrer la vie et la réalisation de ses rêves, célébrer les pertes et le deuil)
  • Intégrité (créativité, authenticité, sens, estime de soi)
  • Interdépendance (amour, acceptation, appréciation, considération, appartenance à une communauté, confiance, compréhension, soutien , honnêteté)
  • Nourriture sur le plan physique (air, aliments, exercices physiques, protection, repos, eau, abri, toucher…)
  • Jeu (amusement, rire, expression artistique)
  • Communion d’esprit (beauté, harmonie, inspiration, ordre, paix)

5.Passer des émotions de ressentiment à la relation

La communication non violente nous invite à communiquer justement ! Le but n’est pas forcément de se lier d’amitié avec tout le monde mais de prendre l’habitude d’affiner la vision d’autrui en entrant en contact avec lui.

La communication non violente nous donne des outils pour entrer en contact avec des personnes avec qui il existe un malentendu (plutôt qu’éviter ou critiquer).

processus communication non violente

Et quand l’empathie mène sur des chemins douloureux ?

L’empathie n’a pas de valeur morale en soi 

Serge Tisseron est psychanalyste et propose une approche de l’empathie qui permet de comprendre en quoi l’empathie est innée chez les êtres humains mais que le fait d’être capable d’empathie n’a pas de valeur morale en soi.

Selon lui, l’empathie ne se “transforme” pas toujours en compassion. Il considère l ’empathie comme une pyramide :

  • la base est constituée par la sympathie (la résonance émotionnelle),
  • puis se développe l’empathie émotionnelle,
  • le milieu est constitué par l’empathie cognitive,
  • le haut de la pyramide est constitué par l’empathie réciproque et mutuelle (la capacité à accepter qu’un autre m’informe sur quelque chose que je ne sais pas encore sur moi-même).

Tisseron considère que l’empathie permet autant d’aider que de manipuler. La compassion serait donc une construction ultérieure de l’empathie mais pas systématique.

L’empathie n’est pas toujours positive : la capacité à percevoir et comprendre les émotions d’autrui peut être mise au service du désir d’emprise. Connaître les émotions et les besoins des autres n’est pas automatiquement synonyme de bonté morale.

Ce qui fait la différence est le sens moral et l’éducation.

Cultiver l’empathie naturelle sert à développer tout le registre émotionnel qui permet de comprendre les émotions de tous les humains (les nôtres et celles des autres) et ce processus doit se faire dans une visée éthique. Cultiver l’empathie doit être mis au service de la compassion.

Quand on a trop d’empathie

Pour autant, empathie n’est pas non plus synonyme de sympathie. La sympathie s’apparente à une résonance émotionnelle : on ressent ce que ressent l’autre, on souffre avec l’autre, on pleure avec lui mais cette sympathie empêche l’action. C’est comme si, pour sauver quelqu’un coincé dans un trou, on sautait dans le trou avec lui…

Quand on est en sympathie, on n’a pas de moyen de venir en aide à celui ou celle qui en a besoin (pleurer avec quelqu’un qui souffre ne permet pas un décollement suffisant pour l’aider). Par ailleurs, faire preuve de sympathie est à l’origine de souffrance pour celui ou celle qui l’éprouve puisque la souffrance des autres est vécue comme sienne.

Plusieurs activités permettent de limiter les effets douloureux d’un trop plein d’empathie :

  • la pleine conscience (la méthode Vittoz peut être utile à cet effet),
  • la pratique de la méditation (pour apprendre à réguler les pensées),
  • des exercices pour développer l’intelligence émotionnelle (la capacité à apprivoiser les émotions peut se cultiver à l’âge adulte).

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Source : Imparfaits, libres et heureux: Pratiques de l’estime de soi de Christophe André (éditions Odile Jacob Poche). Disponible en médiathèque, en librairie ou sur internet.