Le triangle dramatique (victime, persécuteur, sauveteur) et les jeux psychologiques

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Présentation du triangle dramatique

Dans son livre Sortir du triangle dramatique, Bernard Raquin explique en quoi consiste le triangle dramatique de Karpman.

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Le triangle dramatique est un jeu psychologique, c’est-à-dire un scénario pratiqué inconsciemment et qui peut se répéter tout au long de la vie s’il n’est pas conscientisé. Le jeu psychologique est un système de comportements si codifiés et habituels qu’ils en paraissent naturels. Dans un échange/ une relation, si un des protagonistes opte pour un des rôles du triangle dramatique, les réactions se déclenchent automatiquement. Les partenaires se manipulent eux-mêmes et l’un l’autre.

Ce jeu psychologique nous offre le choix entre trois positions inconfortables, limitantes et douloureuses que nous pouvons endosser à tour de rôle :

  • être une victime

La victime se sent impuissante et irresponsable et espère que quelqu’un soulagera son malaise interne. Quand on endosse le rôle de victime, on cherche à dominer en apitoyant autrui (je suis faible et on doit m’aider).

La victime est davantage tournée vers elle-même, se sent impuissante et compte sur les autres pour régler ses problèmes ou ceux de la société.

  • être un persécuteur (une persécutrice)

Le persécuteur fait souffrir autrui pour tenter de canaliser ses propres peurs et douleurs. Quand on endosse le rôle de persécuteur, on tente de s’imposer ouvertement (je dois leur dire comment il faut être et agir car je sais mieux et j’ai raison).

Le persécuteur est dans l’action mais dans un rôle de redresseur de torts, de justicier, de donneurs de leçons.

  • être un sauveteur (une sauveteuse)

Le sauveteur vole au secours d’autrui (même quand autrui n’a rien demandé) pour son propre bien (parfois au détriment de celui d’autrui). Quand on endosse le rôle de sauveteur, on cherche à dominer en se rendant indispensable (les autres sont faibles, je dois les aider).

Le sauveteur est tourné vers les autres et est dans l’action (ou parfois seulement l’intention d’action).

Le triangle dramatique a été nommé ainsi par Karpman en relation avec de qu’Eric Berne, père de l’analyse transactionnelle, appelle les quatre mythes :

  1. J’ai le pouvoir de rendre les autres heureux (sauveteur en recherche d’une victime)
  2. Les autres ont le pouvoir de me rendre heureux (victime en attente d’un sauveteur)
  3. J’ai le pouvoir de rendre les autres malheureux (persécuteur en recherche d’une victime)
  4. Les autres ont le pouvoir de me rendre malheureux (victime en attente d’un persécuteur)

Les trois rôles du triangle dramatique sont douloureux et source de conflits. Chacun d’entre nous peut les jouer tous les trois en fonction du contexte, des personnes en interaction et des circonstances.

Repérer le triangle dramatique

Si un partenaire ou interlocuteur endosse l’un de ces rôles, nous aurons de grandes chances d’être entraînés dans le triangle dramatique. Le problème est qu’un fois entrés dans le triangle, chacun navigue entre ces trois rôles sans trouver la porte de sortie.

Ainsi, il convient d’observer nos pensées pendant quelques semaines et les dialogues qui nous entourent. Nous repérerons alors fréquemment ces jeux psychologiques et, une fois cette prise de conscience faite, nous pouvons y renoncer.

Notre responsabilité est d’exprimer clairement ce que nous souhaitons ou refusons. Celle de l’interlocuteur/interlocutrice est d’accepter ou refuser.

En laissant l’autre libre de ses choix, nous nous libérons nous-mêmes car nous ne sommes plus dépendants du résultat mais de la qualité de l’interaction. Comme dans toutes relations, la qualité dépend de la négociation entre partenaires qui visent une solution gagnant/gagnant.

8 processus de communication pour éviter d’entrer dans le triangle dramatique

1.Ne parler que du problème actuel, en restant au plus près des faits sans s’en prendre à l’identité de l’interlocuteur/ interlocutrice

Cela nous amène à éviter les généralisations (à travers des mots comme “toujours”, “jamais”, “tout le temps”…), les comparaisons et les tournures négatives (dire ce que nous ne voulons pas ne renseigne pas sur ce que nous voulons vraiment).

Nous pouvons nous appliquer à dire ce que nous voyons, comme si nous étions une caméra : poser des observations objectives de ce qui est sans interprétations ni subjectivité.

2.Eviter les sous entendus

Les sous entendus sont sujets à la fois à interprétations personnelles (et donc à malentendus) et à contre attaques. Les sous entendus engendrent demandes d’explications, rectifications, justifications, culpabilisations et donc conflits.

Nous gagnerions à parler de nos émotions et de nos besoins afin de faire des demandes claires en fonction de ce que nous voulons (et non pas de ce que nous voulons que les autres fassent).

En cela, la Communication Non Violente est un excellent outil : Désamorcer les conflits et enrayer la spirale de la violence verbale en identifiant les besoins non satisfaits derrière un jugement ou un reproche

3.Reconnaître ses torts

On a le choix dans notre vie entre être heureux et avoir raison. – Marshall Rosenberg (fondateur du courant de la Communication Non Violente)

Nous pouvons bien sûr avoir des opinions affirmées mais il est toujours vain de vouloir les imposer (surtout si la personne en face ne les a pas sollicitées).

Pour autant, présenter des excuses et reconnaître ses torts ne signifie pas persécuter (exemple : “Je t’ai parlé trop durement, mais si tu arrêtais de…”).

4.Éviter les reproches

Marshall écrit que nous finirons toujours par payer d’une manière ou d’une autre des reproches que nous formulons aux autres. Quand nous formulons des reproches aux autres, ces derniers se sentent menacés et adoptent une attitude hostile en réaction.

Il est en revanche possible d’exprimer une insatisfaction sans pour autant s’en prendre à l’autre. Les messages Je (s’exprimer à la première personne) et la reconnaissance des émotions ne passent ni par la menace ni par les plaintes.

Le processus de Communication NonViolente peut être utile à cet effet. La langue girafe en Communication NonViolente telle qu’elle est généralement présentée sous la forme des quatre étapes OSBD (Observation, Sentiment, Besoin, Demande) est plus une langue destinée à nous permettre de nous “rééduquer” plutôt qu’une langue destinée à être parlée, à être exprimée telle qu’elle dans une interaction avec autrui.

Les quatre étapes OSBD nous permettent de faire la différence entre le fait d’appréhender la réalité avec empathie dans une optique de coopération plutôt que de confrontation, et le fait d’appréhender la réalité avec jugement, accusation dans une optique de jeu de pouvoir et d’exigence. Isabelle Padovani, formatrice certifiée en Communication Non Violente, parle de langage de “déprogrammation de notre conditionnement habituel”, de “traduction” qui s’appuie sur les quatre étapes OSBD

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La langue girafe qui passe par les quatre étapes OSBD est un outil de déconditionnement qui permet de démêler les jugements des observations, les pensées des émotions, les accusations des besoins et les exigences des demandes. Ces quatre étapes visent à séparer les pensées du reste de notre vécu personnel. Cette langue est donc intérieure et permet d’être au clair avec ce qui est chez nous.

Ensuite, notre langage parle peut prendre autant de formes que l’interaction précise avec la personne précise dans la situation précise appelle :

  • un temps de silence, une empathie silencieuse,
  • un langage habituel, courant, personnel, clarifié en nous-même grâce au passage par les quatre étapes OSBD,
  • ne choisir qu’une à trois étapes du processus OSBD dans une interaction afin de ne pas tomber dans un langage mécanique, manquant d’authenticité,
  • habiller ces étapes d’un langage adapté à l’interlocuteur.trice.

5.Ne pas psychologiser ni théoriser

Ayez le courage de poser des questions et d’exprimer ce que vous voulez vraiment. Communiquez le plus clairement possible avec les autres afin d’éviter les malentendus, la tristesse et les drames. Avec ce seul accord, vous pouvez transformer votre vie. – Don Miguel Ruiz (Les accords toltèques)

On peut prendre un engagement envers nous-même pour y parvenir.  Cet engagement peut prendre la forme d’un contrat :

Je suis responsable de mes émotions et je dis ce que je ressens. 

Je prends la responsabilité d’identifier, de formuler mes besoins, et de faire des demandes claires.

Je m’engage à :

  • être franc.he
  • m’abstenir de juger, en parlant de moi (mes émotions, mes besoins) plutôt que de l’autre
  • éviter les jeux de pouvoir (ne pas me soumettre, ne pas me poser ni en bourreau, ni en victime, ne pas persécuter ni blesser, ne pas faire quelque chose qui va à l’encontre de mon élan vital, ne pas me forcer à faire quelque chose dont je n’ai pas envie mais chercher à concilier mes besoins et celui des autres dans une solution gagnant/ gagnant).

Il est parfois difficile (souvent même !) d’assumer en permanence la responsabilité de nos comportements, émotions et besoins mais c’est une grande décision pour notre épanouissement personnel et relationnel.

6.Cesser d’attendre que les autres ou la vie soient conformes à nos désirs

Vous n’êtes pas la cause des actes d’autrui. Ce que les autres disent et font n’est qu’une projection de leur propre réalité, de leur propre rêve. Lorsque vous êtes immunisé contre les opinions et les actes d’autrui, vous n’êtes plus victime de souffrance inutile. – Don Miguel Ruiz (Les accords toltèques)

Les accords toltèques nous invitent à ne pas confondre notre représentation subjective du monde avec la réalité partagée. La réalité nous est inaccessible car seule une représentation limitée nous est possible. Ainsi chacun ne parle que de lui, de SA représentation du monde, et non du monde tel qu’il est.

Nous pouvons penser en termes de pouvoir personnel (que puis-je faire concrètement moi-même pour contribuer à ce qui me semble juste ? que puis-je construire pour participer à un monde plus beau ?) et prendre du recul en se décentrant de nous, de la situation et du présent.

7.Faire preuve d’empathie

Vouloir vraiment comprendre ce que l’autre ressent, quelle est sa réalité et quels sont les besoins qui le motivent est une clé pour une relation non violente. Cela ne signifie pas que les conflits seront absents de la relation mais qu’ils ne dégénéreront pas en jeux psychologiques. Ils seront envisagés comme des opportunités d’en apprendre plus sur l’autre et de construire une relation authentique et respectueuse.

L’empathie et la communication non violente (CNV) ne doivent pas être comprises comme des outils de manipulation positive pour arriver à nos fins mais comme des moyens de se rendre mutuellement la vie plus belle.

Les solutions envisagées chercheront à concilier les besoins des uns et des autres dans une perspective gagnant/gagnant où les émotions des uns et des autres sont reconnues et les besoins satisfaits. Cette manière de communiquer invite à la créativité et à l’authenticité.

On peut essayer d’être empreint de cette communication bienveillante autant que possible lors des conflits : est-ce que j’ai l’intention d’être connecté avec moi et avec l’autre avec lequel je suis en conflit pour nous rendre la vie plus belle ?

8.Ralentir

La communication non violente est une invitation à la lenteur. – Fabienne Posca (formatrice en Communication NonViolente)

La CNV nous offre trois choix selon la situation :

  • Se tourner vers soi

Je fais preuve d’auto empathie et j’épluche les couches qui me coupent de mes émotions et de mes besoins. Je prends le temps de clarifier ce qui se passe à l’intérieur de moi.

Je prends soin de mes émotions et de mes besoins, je les accueille comme légitimes et je les reconnais comme constitutifs de mon être.

  • Aller de soi à l’autre

J’exprime ce qui se passe pour moi à l’autre avec lequel je suis en conflit.

  • Se tourner vers l’autre

Je cherche à reformuler ce qui se passe pour lui et j’écoute avec empathie comment il se sent.

Ce n’est pas OU mes besoins OU celui de l’autre : c’est ET (solution créative pour satisfaire les deux côtés). La CNV repose sur le concept du pouvoir avec.

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Si on n’arrive plus à s’écouter et à écouter l’autre, il est est important de faire de la place à l’intérieur de soi.

Pouvoir parler à une tierce personne bienveillante aide à retrouver de la clarté à l’intérieur de soi; recevoir du soutien est une condition pour cheminer dans le processus de la Communication Non Violente sans s’épuiser, se décourager ou se culpabiliser.

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Sources : Sortir du triangle dramatique : Ni persécuteur ni victime ni sauveteur de Bernard Raquin (éditions Jouvence).

Les mots sont des fenêtres ou bien ce sont des murs de Marshall Rosenberg (éditions La Découverte)