Comprendre les réactions des enfants face à la peur

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Crédit illustration : freepik.com

 

Pour Lawrence Cohen, psychologue américain spécialiste du jeu des enfants, il existe quatre options que les enfants peuvent activer face à la peur :

1.Eviter

Eviter, c’est rester à distance de la situation qui fait peur, c’est ensevelir une pensée ou une émotion désagréable.

L’absence d’anxiété signe le “succès” de l’évitement. Mais éviter, c’est aussi manquer une occasion de vivre quelque chose et se priver du sentiment d’avoir accompli quelque chose de grand, d’avoir surmonté un défi, d’avoir appris quelque chose.

On évite non seulement l’action ou la chose qui fait peur, mais également une expérience nouvelle bénéfique pour notre sentiment de sécurité.

2.S’effondrer

Quand l’effort pour éviter une situation ou une chose qui fait peur est un échec, l’émotion de peur déborde. Elle nous emporte, nous submerge et finit par nous contrôler, nous écraser. On perd le contrôle, on n’est plus soi.

3.Serrer les dents

Nous abordons la situation soit de notre propre chef, soit parce que quelqu’un nous y force. Cette approche nous coupe de nos émotions, de ce qui est vivant en nous. On serre les dents, les poings, les muscles et on se cramponne à tout ce qu’on peut, on retient notre respiration.

Si nous devons traverser une épreuve une seule fois, serrer les dents peut être efficace. Comme l’évitement, utilisé à bon escient, le serrage de dents peut nous sauver la vie. Mais si nous voulons vraiment surmonter une peur, alors le serrage de dents ne nous aidera pas. Nous viendrons effectivement à bout de la situation mais nous n’obtiendrons aucun bénéfice de ce “succès”.

4.Braver-ressentir

Nous affrontons la situation effrayante et éprouvons les émotions qu’elle éveille.

Lawrence Cohen écrit que pour aider les enfants à apprivoiser leur anxiété, nous pouvons les encourager à passer davantage de temps dans la zone du Braver-ressentir (notamment via du réconfort pour les enfants qui sont englués dans la zone s’effondrer ou serrer les dents ou via un petit coup de pouce pour les enfants qui n’arrivent pas à sortir de l’évitement).

Les êtres humains neutralisent leur anxiété grâce à la sécurité émotionnelle et la sûreté fournies par le contact humain.

 

Comment aider les enfants à surmonter leurs craintes avec bienveillance ?

Pour les enfants qui s’effondrent

La surcharge émotionnelle provoque l’effondrement des enfants. Cet effondrement se manifeste de diverses manières selon les enfants :

  • grande agitation motrice
  • figement sur place
  • tremblement de frayeur
  • évitement du contact visuel
  • enfouissement (se cacher, mettre la tête dans le col de la veste…)
  • agressivité
  • répétition des mêmes mots (par exemple : “il va se passer quelque chose d’affreux”, “stop, stop”…)

La zone de leur cerveau qui fait leur permettrait de créer le lien entre la situation et leur sécurité en intégrant l’idée qu’il n’y a pas de danger est indisponible.

Raison, réconfort et réassurance restent sans effet, nos incitations à la relaxation sont rejetées. – Lawrence Cohen

Lawrence Cohen déconseille de pousser les enfants à se rapprocher peu à peu de l’objet de leur peur dans des cas pareils. Au contraire, ils ont déjà dépassé leur seuil critique d’acceptation et ils ont besoin d’être ramenés en arrière pour retrouver leur sécurité émotionnelle intérieure (avant de pouvoir repartir de l’avant).

En plein effondrement, les enfants ont besoin de nos bras réconfortants, d’être aimés et acceptés, respectés. Ils ont besoin de notre empathie. Ne nous inquiétons pas :ils auront d’autres occasions de s’approcher de ce gouffre. – Lawrence Cohen

Nous pourrons ainsi en dehors de cette crise émotionnelle jouer à des jeux qui vont leur permettre de dépasser leurs prochains blocages (des idées ici à l’aide du dessin ou ici avec des cartes créatives).

 

Pour les enfants qui évitent

Des questions peuvent aider les enfants évitants à reprendre le contrôle de leurs pensées :

Qu’est-ce qui peut se passer au pire ?

Qu’est-ce qui se passerait ?

Comment te sens-tu à cette idée ?

Qu’est-ce qui se passe dans ton corps quand tu te mets à penser à tout ça ?

Que voudrais-tu tenter de faire maintenant ?

Peux-tu inventer une fin réussie ?

L’idée n’est pas de poser ces questions d’affilée mais d’arriver à en savoir un peu plus à chaque fois qu’une situation d’évitement se répète. Les discussions déclenchées par ces questions peuvent mener sur un champ émotionnel plus enfoui, le vrai noeud à l’origine du blocage.

 

Pour les enfants qui serrent les dents

Nous serrons les dents parce que nous ne pouvons pas éviter la situation. Le problème avec le serrage de dents est que cela nous permet de traverser l’épreuve qui nous effraie sans bénéficier d’avoir affronté nos émotions.

Lawrence Cohen parle du Système de Sécurité pour nous protéger du danger. Une partie de notre conscience reste vigilante en permanence. Une fois alerté, notre corps doit réagir immédiatement. De la menace au calme, le Système de sécurité déroule quatre étapes :

  • le signal d’alerte (le système de veille qui augmente notre vigilance en cas de « raisons » de s’angoisser)
  • l’alarme (le cerveau émotionnel nous pousse à agir : lutter, évaluer la situation, se cacher, fuir, se prostrer, appeler à l’aide..)
  • l’évaluation (la recherche d’informations logiques et rationnelles pour classer les menaces et, en conséquence, ordonner à l’alarme d’accroître la réaction de peur ou déclarer que tout va bien)
  • la fin d’alerte (le corps et l’esprit se détendent)

Or le fait de serrer les dents permet de supporter l’expérience mais pas de remettre à zéro le Système de Sécurité. Il est nécessaire de nommer et décrire les émotions ressenties : “oui, j’ai peur”, “je tremble de peur”. Quand on accepte de ressentir les émotions, elles passent comme des vagues, comme des visiteuses inattendues. Un enfant qui tolère des émotions désagréables ne se fera pas déborder par elles.

 

Amener vers la zone “Braver-ressentir”

La différence entre Braver-ressentir et S’effondrer est le fait de laisser libre cours aux émotions. Le Braver-ressentir est désagréable mais pas intolérable.

Avec les enfants, nous ne devons pas faire comme si affronter nos craintes était facile. En réalité, c’est même plutôt difficile. L’anxiété nous pousse à nous détourner (évitement) ou à nous contracter (serrage de dents). S’y ajoute la peur d’un effondrement qui augmente la tentation d’éviter ou de serrer les dents.

Ainsi nous avons tout à gagner à éviter les postures qui cristallisent l’évitement ou le serrage de dents :

  • ne pas récompenser les évitements (“tu n’es pas obligé.e si cela te fait peur”),
  • ne pas forcer à aller de l’avant quand ils s’effondrent ou serrent les dents (“arrête de pleurnicher”, “c’est rien”, “ne fais pas ton bébé”, “fais le”).

Lawrence Cohen propose des pistes pour aider les enfants à surmonter leur anxiété grâce au Braver-ressentir : un cycle moins violent, moins chaotique et davantage de douceur. Les enfants peuvent partir à l’abordage de leurs émotions pendant un petit moment puis ils se reposent, se détendent et pensent à autre chose. Après une pause, ils seront plus à même de supporter une dose modérée de peur. Cela peut passer par des paroles comme “Je vois que tu trembles. Je sais que c’est effrayant. Je te tiendrai dans mes bras aussi longtemps que tu voudras et, quand tu seras prêt.e, on avancera ensemble”.

 

Comment éviter l’évitement sans forcer les enfants ?

Inutile de forcer les enfants au mépris de leurs émotions

Les enfants forcés à franchir leur distance critique la traversent en serrant les dents ou en s’effondrant. Inutile donc de pousser nos enfants vers leurs peurs, sans pitié, juste parce que nous croyons “savoir” qu’ils nous en remercieront un jour. – Lawrence Cohen

  • Empêcher l’effondrement : s’installer physiquement à leurs côtés quand nous les encourageons à avancer
  • Éviter l’évitement : continuer à les pousser doucement en les prenant par la main ou dans les bras, en restant à côté d’eux, en leur parlant (“nous allons entrer dans cet endroit qui te fait peur, mais je te donne la main aussi longtemps que tu veux, jusqu’à ce que tu sois prêt.e”)
  • S’arrêter fréquemment au fur et à mesure que nous progressons vers le lieu ou l’objet de la frayeur, le temps qu’ils se calment
  • Faire un pas de plus pour garder le cap en direction de la zone Braver-ressentir
  • Garder un contact visuel pour que l’enfant voit que nous n’avons pas peur et en même temps pour que nous voyons où il en est avec sa peur

Le jeu Stop et Démarre

Lawrence Cohen propose le jeu Stop et Démarre pour progresser vers la zone Braver-ressentir : on se positionne l’un à côté de l’autre, on marche ensemble vers la chose ou la situation effrayante (le gros chien, la nouvelle école, la salle de musique…). On se fige quand l’enfant dit Stop et on se remet en route après une petite pause quand l’enfant dit Démarre. L’intérêt de ce jeu est la proximité avec l’enfant. A tout moment, nous pouvons lui apporter réconfort et encouragement. Le jeu a pour but de permettre une avancée jusque dans la zone du Braver-ressentir et d’y rester pendant un moment. Parfois, il suffit que nous suggérions à l’enfant d’avancer vers l’objet de sa peur pour l’amener au seuil de la guérison.

A la distance critique de leurs peurs, entre l’effondrement et l’évitement, les enfants évoluent dans une zone de guérison. Là, si nous les prenons dans nos bras, ils peuvent lâcher tout ce qu’ils ont sur le coeur sous forme de larmes, de sanglots, de tremblements ou peut-être même de colère. C’est sain. En réalité, c’est même la clé pour progresser et surmonter l’anxiété. – Lawrence Cohen

Réassurer prend du temps et ne se décrète pas

Cohen propose un exemple de discours tenu par une mère à sa fille qui avait peur de se donner en représentation à un spectacle de gym :

Si nous rentrons à la maison tout de suite, tu te sentiras mieux instantanément, mais tu ne te débarrasseras pas de ta peur. Si nous restons, tu te sentiras assez mal. Je pense que ce sera supportable pour toi. Je t’ai vue gérer des choses qui sont tout aussi difficiles. Tu veux que je te rappelle comment tu as fait pour supporter des émotions aussi dures que celles d’aujourd’hui ?

Si un enfant est encore effondré, submergé après ce type de discours pour encourager le Braver-ressentir, alors il a besoin de davantage de réassurance et de réconfort avant de se sentir prêt à un nouvel essai.

Après avoir évacué leurs émotions de manière saine, les enfants sont détendus. Ils se sentent proches de nous et sont d’accord pour jouer avec nous ou s’endormir d’un sommeil profond.

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Source : J’ai plus peur ! : aider un enfant à surmonter ses craintes de Lawrence Cohen (éditions JC Lattes). Disponible en médiathèque, en librairie ou sur internet.

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