Pourquoi vouloir un avenir pour l’humanité ? Quel rôle de l’éducation ? (par Albert Jacquard)

Une vision en rupture avec ce qu’on nous dit tous les jours

Albert Jacquard déteste le mot crise, il préfère les mots “mutation” ou “rupture”. Au fond, la planète nous ignore complètement; par contre, il faut sauver l’humanité.

Nous sommes en train de vivre une double révolution :

celle des moyens d’action car nous avons multiplié notre capacité à agir et notre performance (transport, communication…).
celle des concepts (le concept des temps différents et non absolus, l’univers en perpétuel changement, la physique quantique, l’apparition de la vie)

Puisque chacun d’entre nous est défini comme les liens qu’il tisse, chacun d’entre nous doit se dire qu’il a été intronisé dans l’humanité le jour où il a rencontré l’humanité sous forme de sa maman.

Qu’est-ce que nous sommes donc ?

C’est ça l’être humain : quelqu’un capable de se créer son propre cerveau en fonction de tous les apports de l’environnement.

Ce que nous avons fait avec notre intelligence est d’inventer un moyen de rencontrer l’autre avec une intensité infiniment plus grande que toute celle dont bénéficient les autres animaux. Nous pouvons partager avec l’autre tout ce qu’il y a de plus intime en nous, ce qui fait l’essentiel de nous mêmes (nos angoisses, nos espoirs…) grâce à un langage d’une subtilité extraordinaire.

Le mystère humain, c’est qu’à chaque fois qu’un humain rencontre un autre humain, il se produit l’apparition de quelque chose de tout neuf : lui, les autres et moi ! Sans l’autre, je ne peux pas être moi.

Ce que je suis, c’est aussi l’ensemble des liens que je suis capable de mettre en place avec les autres. Nous avons la capacité à créer les personnes que nous sommes dans la rencontre.

Il nous faut revoir notre conception de l’humanité : on appartient à une collectivité qui se construit elle-même. L’essentiel de la “fabrication” des humains se passent dans les rencontres.

C’est dans l’organisation des rencontres qu’on doit situer l’hominisation. Dans une société, qu’a-t-on besoin de faire d’autre que d’organiser les rencontres ? – Albert Jacquard

Quel objectif pour l’humanité ?

Comment moi, un des membres de l’espèce humaine, je peux participer à l’étape suivante, c’est-à-dire la réalisation d’une humanité intégrée où chacun prend conscience qu’il a besoin des autres pour devenir lui ?

Il nous faut regarder l’avenir dans le regard des enfants, et en particulier quand ce regard est insoutenable. Cet avenir dépend de chacun d’entre nous : ça ne dépend que des hommes donc c’est réalisable.

Qu’est-ce qui est essentiel dans une vie humaine ?

Il s’agit de créer des conditions pour des rencontres fécondes entre humains (et en premier lieu, la rencontre du bébé avec la mère).

Le but d’une société humaine n’est pas de réussir contre l’autre mais d’assurer à l’intérieur d’elle-même une capacité à rencontrer.

Comment mieux organiser les rencontres ?

Autour de la naissance (la rencontre du bébé avec sa mère est l’intronisation de l’enfant dans l’humanité)
A l’école (Dire à un enfant, tu vas être premier, c’est un crime ! Le dernier n’est pas perdu, il peut être celui dont on a besoin !)

L’essentiel est d’oublier cette erreur logique de la réalisation permanente de palmarès. La société dans laquelle nous vivons, nous Occidentaux, est une société des palmarès. L’Humanité gagnerait à abandonner la compétition dans l’éducation.

Il y a un changement essentiel qui reste à réaliser : celui de l’école. Le but de l’école est de réaliser une société où il y a de la place pour tout le monde. C’est important d’avoir en tête face à chaque enfant : comment peut-on changer la société pour qu’il ait tout naturellement une place ? (car nous sommes sur Terre pour nous occuper à des choses qui nous passionnent).

L’essentiel est de regarder les autres comme des sources : l’autre est ma richesse et je dois m’organiser pour que cette richesse ne soit pas perdue ! Je suis face à quelqu’un, je suis face à une merveille, y compris les personnes qui me posent des problèmes.