Le “coin” : exclure et isoler pour “faire réfléchir” les enfants ?

coin exclure et isoler pour faire réfléchir les enfants

Il est un commentaire qui revient souvent sur le blog et il est à propos du “coin”. De nombreux parents m’écrivent qu’ils comprennent à la limite pourquoi ne pas mettre de fessée à leurs enfants, qu’ils seraient éventuellement prêts à envisager de ne plus punir mais que, quand même, le coin est utile pour “faire réfléchir” les enfants. Or l’exclusion est une des pires punitions pour un être humain (alors imaginons un enfant dont le cerveau est fragile et immature).

En effet, nous avons absolument besoin de recevoir et d’échanger avec les autres des signaux qui nous permettent de savoir que nous existons les uns pour les autres et que nous sommes acceptés dans le groupe : se regarder, se saluer, se parler, s’écouter…L’exclusion est donc une punition terrible. Dans le passé, elle signifiait souvent la mort parce qu’il était presque impossible de survivre seul. Un humain qui est coupé des autres est submergé par la peur, la tristesse et peut-être même la colère contre la personne qui l’a exclue, d’autant plus quand cette exclusion est accompagnée de paroles dévalorisantes ou de pratiques humiliantes telles que les mains sur la tête ou le nez face au mur avec interdiction de se retourner sous peine d’une punition plus élevée. Ces émotions fortes empêchent de réfléchir puisqu’elles coupent l’accès au cerveau supérieur (celui du raisonnement).

Le “coin” consiste en un moment d’isolement forcé plus ou moins long. Il peut prendre plusieurs formes (dans la chambre, nez face au mur, chaise de la réflexion…) mais le point commun à toutes ces pratiques est l’interruption de l’activité en cours et la coupure de l’enfant d’avec l’adulte qui s’occupe de lui et qui est supposé lui offrir soutien et sécurité (parent, éducateur, enseignant…).

Du point de vue du développement de l’enfant, les jeunes enfants de moins de 5 ans ne peuvent pas réguler leurs émotions en autonomie. Ils ont besoin des adultes pour les aider dans le processus d’auto régulation émotionnelle (comme si le cerveau développé et mature des adultes servait de cerveau externe aux enfants). Une séparation va donc plutôt augmenter le niveau de stress des enfants et entraver leur développement émotionnel.

Par ailleurs, les enfants plus âgés qui n’ont connu ni accompagnement émotionnel lors de leurs émotions fortes ni modèles d’adulte capables de s’auto réguler, ne savent pas non plus accueillir leur colère, leur peur, leur tristesse ou encore leur excitation. Ils ont autant besoin que les plus jeunes de soutien, de connexion et d’enseignement de compétences émotionnelles… en contradiction complète avec des pratiques d’isolement et d’exclusion.

Des émotions qui ne peuvent pas être exprimées par les enfants parce qu’ils n’ont pas le droit de pleurer, pas le droit d’être en colère, pas le droit d’avoir peur, qui ne sont pas accueillies comme des manifestations normales de la vie humaine restent à l’intérieur et, à la manière d’une cocotte minute, finissent par s’accumuler pour sortir sous forme d’une grosse crise.

Des émotions non exprimées et non accueillies peuvent donc être à la source de comportements inappropriées et la meilleure manière de répondre à ces comportements est de comprendre les émotions cachées, les besoins insatisfaits. Là encore, c’est impossible sil y a rupture physique et émotionnelle.

Les raisons qui portent à considérer le coin et l’isolement comme des pratiques éducatives nocives sont :

  • Le fait que l’isolement des enfants n’enseigne pas des manières de faire face aux problèmes et de les régler mais enseigne que la mise à distance est une bonne manière de régler les problèmes (plutôt que les affronter et en parler ensemble)
  • Le coin ne prend pas en compte les étapes du développement émotionnel des enfants. C’est d’autant plus le cas chez les jeunes enfants de moins de 5 ans qui n’ont absolument pas les capacités de régulation émotionnelle qu’on attend d’eux quand on les met au coin (c’est-à-dire “réfléchir à ce qu’ils ont fait”).
  • L’isolement ne prend pas en compte les causes et les motivations positives qui ont conduit au comportement “à punir”.
  • Envoyer un enfant au coin ne permet pas à l’enfant de gagner en intelligence émotionnelle.
  • L’isolement rompt la relation d’attachement alors que c’est la base même de la sécurité affective de l’enfant et de la construction d’une estime de soi saine. Le besoin d’attachement est absolument fondamental pour les enfants.

6 points à prendre en considération pour répondre aux comportements inappropriés des enfants

Six questions peuvent aider à comprendre les raisons des comportements inappropriées des enfants et à y faire face avec bienveillance :

  • Est-ce que ce comportement correspond à une étape de développement normale ?
  • Est-ce que le développement de l’enfant l’empêche de répondre aux attentes du fait d’une immaturité physique, émotionnelle, intellectuelle ?
  • Est-ce que les autres enfants se comportent également ainsi ?
  • Est-ce que l’environnement et le cadre induisent ce comportement (par exemple, manque de mouvement, beaucoup de bruits, fatigue, repas retardés…) ?
  • Est-ce que l’enfant manque d’informations qui lui permettraient d’adapter son comportement ?
  • Est-ce que les besoins affectifs de l’enfant sont satisfaits (empathie, compréhension, manifestations d’amour, encouragement…) ?

10 alternatives à l’isolement forcé des enfants

1.S’assurer que le cadre et l’environnement de l’enfant sont propices à la satisfaction des besoins fondamentaux des enfants (soutien, empathie, compréhension, sécurité physique, besoins physiologiques, espace pour explorer et bouger, encouragement, lieu d’expression et de créativité, occasion de faire des choix et de faire preuve de pouvoir personnel, d’explorer…).

liste besoins des enfants

2.Les adultes sont responsables de la qualité de la relation avec l’enfant. Plus un adulte est empathique, bienveillant, souple sur les émotions et ferme sur le cadre en exprimant des attentes claires (“on marche sur le bord de la piscine”, “on caresse avec les mains”…), plus l’enfant se montrera lui-même empathique.

3.Les enfants ont besoin de consignes et de démonstration des attentes en termes de comportement (“là, tu peux faire comme ça et ensuite tu peux…”).

4.Être attentif aux signes de fatigue, d’excitation, de réservoir émotionnel vidé (irritabilité, enfant au bord des larmes…) pour anticiper d’éventuels comportements inappropriés (faire diversion, donner un câlin, changer d’activités, donner à manger ou à boire, sortir s’aérer, lire une histoire, faire un jeu calme…).

5.Enseigner des techniques de régulation émotionnelle en commençant par enrichir le vocabulaire des émotions des enfants (par exemple à travers des livres). Les adultes peuvent inviter les enfants à nommer leurs émotions (en verbalisant pour eux au début jusqu’à ce qu’ils prennent l’habitude de verbaliser eux-mêmes) et leur enseigner des techniques de retour au calme en dehors des crises émotionnelles. Il est également possible de proposer un espace de retour de calme avec des outils qui permettent aux enfants de se sentir mieux (livres, feuilles et crayons pour dessiner les émotions, doudous à caresser, anti stress à tordre, plume à souffler, dessin de postures de yoga…). L’idée de cet espace de retour au calme est de proposer aux enfants d’y aller (seuls ou avec une adulte mais toujours sur la base du volontariat, sans l’imposer) et de permettre aux enfants d’avoir un lieu ressource dans lequel ils peuvent aller en autonomie quand ils en ressentent le besoin.

30 outils de retour au calme pour les enfants (colère, stress, hypersensibilité)

6.Anticiper les situations à risque (par exemple, prendre des coloriages ou des petits jeux dans une salle d’attente,formuler des scénarios à l’avance et trouver des solutions avec l’enfant : “et si ta cousine te prend tes jouets/ détruit ta tour, tu risques d’être très énervée : qu’est-ce que tu pourrais faire ? et quoi d’autre ?”).

7.Faire preuve d’empathie et envisager les choses du point de vue de l’enfant puis pratiquer l’écoute active : “Ça te rend furieux quand… et tu as envie de taper/ crier/ casser tellement tu es en colère. C’est tellement difficile de devoir partager ta chambre/ supporter ton petit frère qui casse tes constructions”.

8.Rappeler les règles dans un langage positif.

livre éducation positive tout petit enfant 2 ans

Source : Parler pour que les tout-petits écoutent de Joanna Faber (Les éditions du Phare)

 

9.Quand la situation devient explosive, il est possible de s’éloigner AVEC l’enfant sans le laisser seul. L’idée est de rester aussi calme que possible et d’accompagner la crise de l’enfant avec empathie en reconnaissant ses émotions. Il s’agit de se connecter émotionnellement avant de chercher à rediriger le comportement. Cela peut se faire sous forme de questions ou de suggestions (“Peut-être qu’on pourrait…/ peut-être que tu pourrais… On y retourner quand tu sera prêt/ quand tu en auras envie.”).

10.Ce dont les enfants ont le plus besoin quand ils sont bouleversés et submergés par leurs émotions est d’avoir des adultes autour d’eux calmes, avec lesquels ils se sentent acceptés inconditionnellement, aimés et en sécurité. Bien sûr que cela peut être difficile et il est conseillé, quand les émotions parentales sont trop fortes, de passer le relais. Quand c’est impossible, il vaut mieux utiliser les messages Je pour signifier les limites et les besoins (“je sens la colère monter en moi et j’ai besoin de calme. Je sors quelques instants pour me calmer et je reviens quand ça ira mieux”). L’approche est totalement différente d’une mise au coin ou d’une exclusion : le parent à bout se protège lui-même et son enfant en exprimant ses limites personnelle et ne prive pas l’enfant d’amour.

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Source :  Australian Association for Infant Mental Health Inc. (AAIMHI)