Comment aurais-je pu faire des études, être bien élevé et réussir ma vie si mes parents ne m’avaient pas donné de fessées ou de punitions ?

Comment faire enfant bien élevé si parents ne donne pas fessées punitions

Des discours stéréotypés qui justifient la violence éducative ordinaire

C’est le type de phrase qui revient souvent quand on parle d’éducation non violente, sans fessée ni punition : « j’étais tellement insupportable que je les avais bien méritées ces fessées, et j’en remercie mes parents ! », « j’aurais mal tourné si mes parents ne m’avaient pas puni », « quand on voit tous les gosses mal élevés de nos jours, on se dit qu’il y a des claques qui se perdent »… . Muriel Salmona, psychiatre et spécialiste de la mémoire traumatique, écrit qu’il s’agit d’un discours stéréotypé.

Selon elle, ce discours montre à quel point les enfants devenus adultes ont été formatés et colonisés par les violences éducatives (fessées, punitions, claques, tirage d’oreilles, isolement…). Ces violences éducatives sont accompagnées d’un discours parental qui les justifie, discours renforcé par le fait que la majeure partie des adultes y adhère.

Le rôle de la mémoire traumatique dans la justification des violences éducatives 

Dissociation et mémoire traumatique organisent cet état où les enfants victimes de violences éducatives prennent fait et cause pour leurs parents violents en les défendant. – Muriel Salmona

La mémoire traumatique est « une mémoire émotionnelle non intégrée qui, au moindre lien rappelant les violences et leurs contextes, les fera revivre à l’identique à l’enfant victime, avec les mêmes émotions (le stress, la peur, la détresse, le désespoir, la honte, la culpabilité…) et les mêmes perceptions (douleurs et les cris, les phrases assassines, la haine et la colère du parent violent…), tandis que l’adulte violent revivra également la scène violente avec ses actes et ses émotions, ainsi que les réactions de l’enfant. »

Dans son livre  Châtiments corporels et violences éducatives : Pourquoi il faut les interdire en 20 questions réponses (éditions Dunod), Muriel Salmona explique que la mémoire traumatique est comme une boîte noire contenant un magma indifférencié qui mélange ce qui provient de la victime avec ce qui provient de l’agresseur, sans attribution distincte.

Par exemple, si un parent a subi, quand il était nourrisson, des violences de son père qui l’a secoué en hurlant alors qu’il pleurait, les pleurs de son enfant vont réactiver sa mémoire traumatique en se superposant aux pleurs et à la terreur du nourrisson qu’il était et aux hurlements et à la colère de son père. Il attribuera à son enfant la violence et la colère de son père en se sentant agressé par lui, et il s’attribuera la détresse de l’enfant qu’il était, mais en même temps les propos et les actes violents de son père, mettant en cause le bébé qu’il était. C’est en revivant la scène qu’il peut, s’il n’a pas un contrôle éthique et un interdit bien intériorisé, la rejouer en passant à l’acte. Cela aura pour effet de le faire disjoncter et de l’anesthésier. Cet effet dissociant, à la fois sur la victime et sur celui qui a commis les violences, est dangereux puisqu’il « soulage » la tension insupportable du parent en l’anesthésiant, et paraît « calmer » le bébé, en le sidérant puis en le déconnectant.

Le rôle de la mémoire traumatique dans la justification des enfants devenus adultes des violences qu’ils ont subies par leur propres parents tient :

  • à l’anesthésie émotionnelle provoquée par la dissociation traumatique qui fait que les souvenirs concernant les violences sont déconnectés des émotions négatives qui s’y rapportent.
  • à la colonisation psychique par la mémoire traumatique qui fait que les discours des parents violents viennent envahir l’espace psychique et se présentent comme s’ils émanaient de la propre pensée de l’enfant et de l’adulte qu’il devient.

La violence justifiée sous couvert d’éducation

Ces discours, qui se perpétuent de génération en génération, culpabilisent l’enfant, lui disent à quel point il a mérité les punitions, et justifient les violences en présentant les parents comme de bons parents soucieux de bien éduquer leurs enfants, les violences exercées devenant une preuve de leur amour: « je t’aime, donc je te frappe », « tu peux me remercier de t’avoir si bien éduqué! ». – Muriel Salmona

Le problème avec ce mécanisme est que non seulement les anciens enfants victimes de violences sous couvert d’éducation vont dire combien les fessées, raclées, gifles et humiliations leur auront été utiles pour réussir, mais ils vont aussi rejeter toutes les preuves scientifiques qui ne vont pas dans le sens de leurs croyances.

Ceci est d’autant plus dommageable que ces adultes ont, au contraire, dû développer beaucoup plus d’énergie que s’ils n’avaient pas subi de violences dans l’enfance, pour avancer dans la vie malgré le stress, les troubles cognitifs, les troubles anxieux, le manque d’estime de soi et de confiance en soi, les conduites à risque, consécutifs à la violence éducative qu’ils ont subie dans leur enfance.

Muriel Salmona rappelle que l’adhésion à ce type de discours n’est pas si totale qu’il n’y paraît. En effet, de nombreux parents reconnaissent que leur violence n’est pas juste, qu’elle sert le plus souvent à se soulager de leur propre tension et qu’ils culpabilisent après coup (Bunting, 2008; Enquête de l’Union des Familles en Europe, 2006/2007).

La résistance de ces discours légitimant les violences éducatives à des changements de point de vue

Muriel Salmona écrit que ce qu’on pense soi-même peut être accessible à une critique et à des changements de point de vue, mais que ce qui « parle » en soi par l’intermédiaire de la mémoire traumatique est inaccessible au moindre changement, « puisque cela restitue – à l’identique – un discours du passé, qui est éprouvé comme un discours dogmatique et rigide que le raisonnement ne peut entamer. »

Face à ces réminiscences du discours des parents, c’est la loi du tout ou rien: soit on y adhère et c’est totalitaire, le discours s’impose en bloc, soit on n’en veut absolument pas, et on ne peut que le censurer, par un contrôle épuisant pour qu’il ne s’impose pas et ne ressorte pas par inadvertance. – Muriel Salmona

Savoir ce qu’est une mémoire traumatique, comment elle se met en place, comment elle fonctionne, change la donne.

Désamorcer la mémoire traumatique

Cette connaissance permet de savoir qu’il ne s’agit pas de sa propre pensée ni de pensées inconscientes provenant d’une part sombre de soi-même, mais que ces phrases assassines et culpabilisatrices, ces ressentis de colères, voire de haine vis-à-vis de son enfant, viennent d’un enregistrement brut et indifférencié d’une scène violente de son enfance contenant les cris, les injures, les paroles, la colère, le mépris et la violence de son parent. – Muriel Salmona

Comprendre les mécanismes psychotraumatiques passe par le fait de :

  • identifier d’où vient la mémoire traumatique, en la reliant à des situations de violences de son enfance,
  • se donner le droit de dénoncer ces phrases et ces comportements violents sans avoir l’impression pénible d’avoir à se dénoncer soi-même.

Quand on commence à désamorcer sa mémoire traumatique, un processus d’intégration s’enclenche alors. Ce processus consiste à intégrer la mémoire traumatique en mémoire autobiographique, à libérer son terrain psychique des fragments incontrôlables de scènes du passé, et à se retrouver enfin soi-même avec des raisonnements et des ressentis cohérents (notamment refuser la violence physique et émotionnelle de quelle que nature qu’elle soit sur les enfants).

La plupart des parents seront soulagés de comprendre enfin pourquoi ils se retrouvaient, continuellement, en proie à des comportements et des pensées incohérentes qui ne correspondent pas à ce qu’ils souhaitent ni à ce qu’ils pensent, notamment quand les fessées partent “toutes seules”.

Quand la mémoire traumatique fait de la résistance

Muriel Salmona écrit :

“Certains irréductibles se seront tellement identifiés à ces réminiscences, et auront tellement accumulé de violences, qu’ils ne voudront pas se séparer de leurs conduites dissociantes et de leur anesthésie émotionnelle, qui leur permet de ne pas ressentir les émotions négatives provenant des violences qu’ils commettent; ils préféreront continuer à se déconnecter de leur mémoire traumatique.

Renoncer à leurs conduites dissociantes violentes, ce serait se confronter non seulement à de la mémoire traumatique de leur enfance, mais également à celle de toutes les violences qu’ils ont exercées depuis; cette mémoire traumatique, si elle est identifiée et comprise, pourrait alors être intégrée et devenir une mémoire autobiographique avec des souvenirs culpabilisants, les renvoyant à leurs actes violents et à leurs comportements injustes et cruels.”

C’est la raison pour laquelle la psychiatre milite pour l’interdiction légale de la fessée et pour une information du grand public sur les méfaits de la violence éducative ordinaire. En effet, tant que les conduites dissociantes violentes envers les enfants continuent à être tolérées (fessées, claques, punitions, cris, humiliations, tirage d’oreille ou de cheveux, tape sur les mains…), les adultes pourront continuer à profiter du privilège qui leur est offert d’utiliser un rapport de force pour ne pas contrôler leur mémoire traumatique et pouvoir mettre en scène la violence du passé pour s’anesthésier.

Et, regrette Muriel Salmona, à partir du moment où ces adultes comptent se servir de ce privilège, il est logique qu’ils s’identifient aux parents violents et à leurs discours, et non au petit enfant qu’ils étaient et qui a souffert, les empêchant de reconnaître la souffrance de leurs propres enfants.

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Source : Châtiments corporels et violences éducatives : Pourquoi il faut les interdire en 20 questions réponses de Muriel Salmona (éditions Dunod)

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