De la blessure non écoutée au symptôme : quand la blessure devient traumatisme et altère le développement

blessures des enfants

 

 

Dans son livre “Je t’en veux, je t’aime“, Isabelle Filliozat propose de comprendre comment nos propres blessures émotionnelles remontant à l’enfance peuvent avoir des répercussions sur nos vies d’adultes, et en particulier sur nos relations avec nos enfants.

Les humains sont équipés d’outils de guérison face aux épreuves de la vie : les émotions et l’élaboration mentale.

Ce ne sont pas les frustrations, les difficultés qui marquent les enfants dans leur chair mais l’impossibilité de s’en réparer quand le recours à ces outils est empêché (expression émotionnelle et réflexion à froid).

"Je t'en veux, je t'aime" la colère réparatrice

Isabelle Filliozat décrit le processus en 7 étapes menant de la blessure (frustration, paroles blessantes, coups, humiliation…) au symptôme traumatique :

 

1. Blessures, frustrations, injustices engendrent rages, peurs, terreurs, souffrances, dégoûts, douleurs…

La colère a une fonction réparatrice : elle restaure notre identité et notre intégrité. La colère n’est pas de la violence, c’est un mouvement émotionnel qui dure seulement quelques minutes quand elle est accueillie (“tu as le droit d’être en colère”, “c’est vrai, tu es en colère”, “c’est normal d’être en colère”, “c’est injuste et ça te met en colère”, “pleurer soulage”.). Elle est à écouter pour ce qu’elle est et non comme une accusation personnelle.

Un coup, une critique, une injustice, une humiliation… font des marques dans l’identité. Elles cabossent l’enfant. Si ce dernier ne peut se réparer en exprimant sa colère, il conserve la blessure et reste cabossé. – Isabelle Filliozat

Ce ne sont ni les frustrations (une certaine dose de frustration est structurante et permet la rencontre entre le sentiment de toute-puissance et la résistance du réel) ni les épreuves qui causent des dégâts profonds dans le développement des enfants, mais l’impossibilité de se réparer via l’expression des émotions (colère, peur, tristesse…). Accueillir les émotions ne signifie absolument pas donner satisfaction sur tout, mais être capable d’accepter la colère des enfants suite à une frustration.

 

Pour guérir ses blessures, l’enfant a besoin d’un adulte à ses côtés qui entende son vécu, reconnaisse et accepte sa peur, sa terreur, sa rage, sa douleur, et ses colères. Lorsque les émotions sont entendues, reconnues, acceptées, et que leur expression est accompagnée et accueillie, c’est-à-dire quand l’enfant est encouragé à pleurer, à taper sur des coussins ou à crier, il soigne sa blessure. – Isabelle Filliozat

Il est important de laisser toutes les émotions s’exprimer (peurs, terreurs, rages, tristesse, colère, douleur…). Dans le cas contraire, elles risquent de rester sous forme de tension dans le corps (les symptômes physiques tels que l’eczéma, les tics nerveux, les ongles rongés…) ou d’altérer la construction d’une identité solide et épanouie.

 

2. La colère est interdite ou non entendue

Le refus de réparation de l’enfant via la non écoute des émotions a des origines complexes et multiples chez les adultes :

  • l’ignorance émotionnelle

Qu’est-ce qu’une émotion primaire ?
Comment la reconnaître ?
A quoi sert-elle ?
Comment la différencier d’une émotion parasite ?
Comment l’accueillir ?

  • le refus de voir souffrir les enfants

Pour ne pas voir les enfants souffrir, les larmes sont interdites… mais les enfants souffrent seuls et en silence.

  • les blessures inconscientes et refoulées de l’enfant intérieur

La motivation n’est pas de blesser les enfants intentionnellement mais elle est de tenter de nous protéger de l’émergence de la douleur liée à nos propres blessures. Ecouter les émotions de nos enfants nous obligerait à entendre les nôtres, à réveiller des émotions refoulées dans toute leur intensité.

Ecouter la détresse et le désespoir des enfants rappelle trop celle de l’enfant intérieur qui souffre encore.

  • les propres émotions

Un sentiment de culpabilité impossible à gérer, un sentiment d’incompétence, la peur d’être jugé…

  • la société, les préjugés culturels

Pleurer, c’est être faible; avoir peur, c’est pour les bébés; être en colère, c’est mal

 

3. Les parents se justifient : “C’est pour ton bien”

Pour ne pas se sentir coupable de blesser son enfant, l’adulte se construit des justifications. Il se renforce dans la pertinence de ses méthodes éducatives et se convainc que c’est pour le bien de l’enfant. – Isabelle Filliozat

Le problème avec ce raisonnement est que l’enfant grandit sans conscience de lui-même :

Non seulement, il n’a pas le droit de se rebeller ou de se réparer, mais il doit considérer que ce qui lui fait mal lui fait du bien. Ses repères commencent à se mélanger dans sa tête.

 

4. Les parents imposent le devoir de gratitude

Isabelle Filliozat écrit que certains enfants sont élevés dans l’idée qu’ils sont redevables de l’éducations qu’ils ont reçue. Or l’absence de gratitude spontanée souligne une blessure, un manque, une douleur qu’il est utile de guérir (plutôt que les couvrir d’une fausse gratitude par devoir qui exige la négation de nos émotions qui sont pourtant le socle de la conscience de notre identité).

“Tu me dois de la gratitude pour tout ce que j’ai fait pour toi !” Etait-ce si contraignant, si désagréable ? Par cette exigence de gratitude, ces parents soulignent combien ils ont peu aimé leur enfant. Le parent qui aime est remboursé par les joies vécues, au quotidien auprès de lui.

Le devoir de gratitude est d’autant plus nocif qu’il est appliqué aux mauvais traitements! L’enfant est censé éprouver de la gratitude pour ce qui lui a fait mal. – Isabelle Filliozat

 

5. L’enfant oublie

L’oubli est un mécanisme de défense contre l’irruption d’affects trop violents que personne n’est prêt à entendre. – Isabelle Filliozat

L’oubli est donc une protection pour continuer à vivre (ou survivre). Pourtant, ce mécanisme de protection peut se retourner contre nous : “un symptôme va probablement apparaître tant pour cacher plus encore que pour tenter de dire”.

Pour Isabelle Filliozat, le confort apporté par l’oubli n’est qu’apparence, le mal-être va s’exprimer par un symptôme.

 

6. L’enfant reconstruit son histoire par le processus d’idéalisation des parents

Laissant sa vérité couverte par le voile de l’oubli, l’enfant se reconstruit une histoire, il idéalise son enfance et ses parents. Le processus d’idéalisation est un mécanisme de défense contre des émotions trop intenses dont il nous est interdit de prendre conscience. Par l’idéalisation, nous maintenons l’histoire racontée par nos parents, c’était pour notre bien, ils étaient de bons parents, et donc fatalement, nous étions de mauvais enfants qu’il fallait corriger. – Isabelle Filliozat

 

7. Les émotions contenues éclatent en symptômes qui tout à la fois cachent et tentent d’exprimer terreurs, rages et désespoirs.

Les émotions refoulées ne restent pas sagement dans l’inconscient. Elles bouillonnent et resurgissent un jour ou l’autre sous forme de symptômes physiques, physiologiques, psychiques ou relationnells. – Isabelle Filliozat

  • Plan physique

Des dysfonctionnements physiques s’installent à partir du moment où il n’y a pas eu décharge émotionnelle : l’organisme conserve l’information de la tension.

  • Plan psychique et relationnel

La colère refoulée s’est nourrie et chargée de haine. Isabelle Filliozat écrit que nous avons peur de laisser s’échapper ces affects qui nous paraissent dangereux d’une part parce qu’ils réveillent la conscience de la souffrance, d’autre part parce que nous avons compris à l’attitude de nos parents qu’il était périlleux de les manifester.

Les gifles et autres fessées que nos enfants subissent ont davantage pour origine nos blessures d’enfance qu’une quelconque bêtise commise. Ceux qui n’ont personne sur qui frapper… ou ne se l’autorisant pas, retournent leur violence contre eux-mêmes. – Isabelle Filliozat

 

Connaître ces 7 étapes sont utiles sur le chemin vers une éducation consciente et bienveillante :

  • pour guérir notre enfant intérieur et retrouver la liberté d’être nous-mêmes,
  • pour éviter de reproduire ces mécanismes avec nos propres enfants.

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Source : Je t’en veux, je t’aime ou comment réparer la relation à ses parents d’Isabelle Filliozat (éditions Poche Marabout)

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