Mon enfant n’aime pas perdre

Mon enfant n'aime pas perdre : comment aider un enfant à accepter la défaite

Anne-Claire Kleindienst et Lynda Corazza sont respectivement autrice et illustratrice de l’ouvrage Petit décodeur illustré de l’enfant en crise. Elles y abordent le thème des enfants mauvais perdants et proposent des pistes pour accompagner avec bienveillance les crises qui en résultent.

Comprendre le développement émotionnel des enfants

Dans le livre Marcher, parler, jouer, Annick Cartron, spécialiste du développement de l’enfant et de l’adolescent, indique qu’avant 6 ans, l’enfant souhaite souvent changer les règles du jeu sans comprendre pourquoi cela perturberait le bon déroulement du jeu.

Pour accepter de se conformer à une règle du jeu, les enfants doivent être capables de la comprendre, de la mémoriser et de s’adapter aux stratégies de ses partenaires..

Avant 5/6 ans, il est plus raisonnable de s’attendre à ce que les enfants ne respectent pas toujours les règles du jeu. Ils voudront sûrement que ce soit toujours leur tour, relancer le dé plusieurs fois d’affilée, changer les règles. Les jeunes enfants ne comprennent tout simplement pas pourquoi ils devraient patienter, attendre leur tour et encore moins pourquoi ils devraient perdre.

Annick Carton conseille donc de choisir des jeux adaptés aux compétences de l’enfant. Choisir un jeu au-delà de l’âge et des capacités de l’enfant, c’est risquer de laisser le jeu au placard et de mettre l’enfant en situation d’échec, le jeu étant trop difficile pour lui. L’effet sera donc le contraire de celui recherché initialement (lui faire sauter des étapes et le valoriser).

Les pensées, émotions et besoins derrière la difficulté à perdre d’un enfant

  • L’enfant pense qu’il n’a d’intérêt auprès des autres que s’il ne gagne.
  • L’enfant ne se sent appartenir au groupe que s’il est du côté des gagnants, des meilleurs (besoin d’appartenance).
  • L’enfant est entier dans son implication : s’il joue, c’est pour gagner.
  • L’estime de soi de l’enfant est fragile et son identité est menacée quand il perd (il s’associe à la défaite, c’est donc lui qui est nul).
  • L’enfant a intériorisé un message de la société (la loi du plus fort) : seuls les gagnants s’en sortiront dans notre société.
  • L’enfant a encore besoin d’entraîner sa flexibilité d’esprit et d’apprendre à gérer sa frustration : c’est la colère qui émerge quand les choses ne se passent pas comme il veut.
  • L’enfant ne sait pas encore apprivoiser ses émotions fortes et les émotions qu’il ressent à l’idée de la défaite sortent sous forme de crise.

Des pistes pour aider un enfant à accepter la défaite

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  • Accueillir les émotions de l’enfant telles qu’elles se présentent 

Mieux vaut éviter les phrases qui délégitiment l’émotion (du type “c’est pas grave” , “c’est juste un jeu” , “c’est pas la peine de t’énerver” , “calme toi‘”)  ou celles qui jugent (“tu es pénible”, ,”c’est infernal de jouer avec toi”, “tu es un mauvais perdant”…).

On peut respirer un bon coup face à ce type de crises et de regarder l’enfant pester et rager. On pourra l’accompagner de paroles compréhensives mais pas intrusives ni jugeantes :

C’est énervant quand ça ne se passe pas comme tu veux.

Cela peut être difficile de…

Tu peux être fâché(e) mais je ne te laisserai pas jeter les affaires. 

 

  • S’appuyer sur les éléments mentionnés ci-dessus pour refléter ce que pense l’enfant et ce qu’il a envie de faire 

Tu es triste parce que tu aurais aimé gagner. Tu te sens nul, c’est ça ? 

Tu avais tellement envie de gagner et ça te donne envie de tout jeter par terre tellement tu es triste et en colère. 

Tu te dis que c’est injuste, que ça devrait être toi le meilleur. 

Tu es fâché contre toi-même parce que tu n’a pas réussi et aussi contre nous parce qu’on t’a battu ? 

  • Parler de ce qui se passe pour nous dans un langage personnel (message Je) et authentique (ce que Je ressens et pense plutôt que ce que l’autre devrait faire ou ce que j’ai à lui reprocher) 

Ici, ce sont vos émotions, vos pensées, vos sensations corporelles, ce que vous avez envie de faire, vos besoins qui vont vous aiguiller sur la voie d’une parole ajustée à la situation.

Est-ce qu’il y a de la colère ? Parce que le besoin de lien, de respect n’est pas satisfait ?

Est-ce qu’il y a de la tristesse ? Parce qu’il y a de l’impuissance face aux comportements de l’enfant ?

Est-ce qu’il y a de la peur ?  Parce que c’est une compétence importante dans la vie de savoir perdre, de savoir gérer sa frustration ?

Cela peut prendre quelques minutes pour faire le point en soi sur ce qui est touché en nous avant de pouvoir l’exprimer aux enfants. On pourra alors leur dire ;: Est-ce que je peux te dire ce que je ressens moi quand tu t’énerves quand tu perds ?

Sur la durée

  • Valoriser le plaisir de jouer pour le simple plaisir de jouer plutôt que de gagner

Développer le plaisir de jouer permet de trouver de la satisfaction tout le long de la partie à la fois dans le lien, la relation et dans le jeu lui-même (et pas seulement en cas de victoire à la fin).

C’est bien joué !

Wahou, c’était bien vu sur ce coup-là !

Comment tu arrives à faire ça ? Montre moi !

  • Insister sur le processus en cours (être ensemble, s’amuser, apprendre des choses, se tromper et se corriger…) plutôt que sur le simple résultat (perdre ou gagner)

J’aime bien quand on passe du temps ensemble. 

Ça me fait plaisir de jouer avec toi. 

Hum, je crois que je n’ai pas bien joué sur ce coup-là. Qu’est-ce que tu aurais fait à ma place ?/ Tu m’aides au prochain coup ? 

  • Anticiper une éventuelle crise avant de commencer une partie

Je suis d’accord pour jouer avec toi et j’ai besoin d’être sûr.e que cela va bien se passer même si tu perds. Qu’est-ce que tu vas faire si tu te rends compte que tu risques de perdre ?

  • Encourager la progression et décrire les apprentissages réalisés dans le temps

Tu te souviens comme tu jouais l’an dernier ? Tu ne savais pas encore faire ci/ça et maintenant, tu y arrives ! Tu as fait de sacrés progrès !

Regarde un peu tout ce que tu as appris à faire depuis la dernière fois qu’on a joué ! Maintenant, tu sais faire ci/ça.

  • Montrer l’exemple des comportements que nous attendons 

Perdre en tant que parent va permettre à l’enfant de grandir, de se sentir puissant comme par exemple :

  • perdre de manière ludique en exagérant sa propre incompétence,

Cela peut passer par des scènes de tragédie : « Las ! C’en est fini de moi ! ».

  • perdre en étant bon perdant pour monter à l’enfant comment réagir face à l’échec.

On pourra alors prononcer des phrases du type : « Merci pour cette partie/ je me suis bien amusé(e)/ j’ai perdu mais j’ai quand même passé un bon moment/ j’ai aimé jouer avec toi ! »

On pourra même se serrer la main, toper dans la main, se serrer l’un contre l’autre pour signaler la fin de la partie.

  • Aider l’enfant à ne pas être écrasant quand il gagne 

Adopter les règles du fair-play du sport permet de recadrer l’émotion sur le plaisir du jeu plutôt que sur la victoire. Il est bien sûr possible (et même souhaitable pour la production d’hormones de joie) de féliciter un enfant qui a gagné mais en insistant en parallèle sur la considération des autres (adversaires et perdants).

Bien joué ! C’était une victoire bien méritée ! On se serre la main ? 

Tu es le gagnant de la première place et moi je suis la gagnante de la deuxième place, papa celui de la troisième place et frère/ soeur de la quatrième place, de la cinquième place (ici, l’accent est mis sur le plaisir éprouvé à jouer quel que soit le temps que cela prendra plutôt qu’à gagner.)

  • Jouer à des jeux coopératifs pour apprendre à jouer ensemble plutôt que contre

Les jeux coopératifs invitent à jouer ensemble plutôt que les uns contre les autres. Il n’y a pas de gagnant ou de perdant (souvent, l’ensemble des joueurs joue contre le jeu).

En voici quelques sélections :

[Coopération] Sélection de 8 jeux de société coopératifs (de 3 ans à l’âge adulte)

Adultes & Enfants : 5 activités coopératives, des clés pour une autre éducation

  • Fournir des stratégies de régulation émotionnelle pour aider l’enfant à apprivoiser sa frustration et la colère qui en découle 

Être capable de tolérer la frustration, de subordonner son présent à un futur est une compétence extrêmement utile dans la vie.

Walter Mischel, psychologue de l’université de Stanford, a mené une étude célèbre sur la frustration des enfants, le Test du marshmallow. Ce test consiste à proposer à un enfant soit un marshmallow tout de suite, soit deux plus tard.

Mischel a tenté de comprendre ce qui permettait aux enfants de réussir à gérer la frustration et à différer la satisfaction (le fait de pouvoir attendre le retour d’un adulte sans manger le premier bonbon dans l’espoir de manger deux bonbons plutôt qu’un mais plus tard).

Mischel a montré que, si un adulte fournit aux enfants des idées et des techniques pour gérer la frustration (comme imaginer que le bonbon n’est qu’un bout de coton ou le regarder dans un cadre, ou penser dans sa tête à des choses agréables), les enfants utilisent ces techniques et réussissent à attendre le second marshmallow pour des temps allant jusqu’à dix-huit minutes (alors que sans stratégie, ils craquent en général au bout d’une minute.)

Mischel en déduit donc que, si les enfants échouent à respecter les règles imposées par les adultes, ce n’est que rarement par manque de bonne volonté mais plutôt par manque de stratégies, d’outils et de ressources pour atteindre les objectifs qui leur sont fixés.

Il est donc utile de fournir des stratégies de régulation émotionnelle aux enfants tout en gardant en tête que la gestion de la frustration dépend du cerveau préfrontal. Cette zone du cerveau est peu développée avant l’âge de trois ans, chez les enfants de parents autoritaires, chez les enfants issus de milieux instables, chez les enfants n’ayant pas appris à maîtriser leur impulsivité, à réguler leur stress ou à diriger leur attention.

Ainsi, il est important à la fois d’apporter un cadre bienveillant et non violent aux enfants mais également de les aider à acquérir des techniques de gestion émotionnelle qu’ils pourront mobiliser en autonomie en grandissant. En voici un exemple :

fiche colère enfants ados

 

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Source : Petit décodeur illustré de l’enfant en crise de Anne-Claire Kleindienst et Lynda Corazza (éditions Mango). Disponible en médiathèque, en librairie ou sur internet.

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