Pourquoi les enfants jouent-ils à des jeux dangereux ?

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Les jeux dangereux et les mammifères

Le danger

Les scientifiques qui étudient le jeu chez les mammifères suggèrent qu’une des visée majeures du jeu du point de vue de l’évolution est de donner l’opportunité aux jeunes d’apprendre à faire face aux urgences, aux dangers.

Les jeunes mammifères de toutes les espèces se mettent dans des situations de danger modéré de manière intentionnelle et répétitive. Dans les jeux de chasse et poursuite (courir, attraper, laisser partir, changer de rôle), ils alternent en permanence entre perdre et regagner le contrôle. Dans leurs jeux, les jeunes mammifères intègrent délibérément des éléments de danger qui leur permettent de s’exercer (à sauter, à tomber, à grimper…) sans risquer de se faire trop mal : ils sont capables eux-mêmes d’évaluer les actions dont ils ont besoin pour exercer telle ou telle compétence et le niveau de difficulté qui leur permet de progresser.

Vulnérabilité et émotions positives

Presque tous les jeunes mammifères (y compris les petits humains donc) jouent à des jeux de poursuite. Ils se courent les uns après les autres et changent de rôles quand le poursuiveur attrape celui qui est poursuivi.

La plupart du temps, le rôle préféré est celui du poursuivi. La quasi totalité des jeunes mammifères joue à attaquer l’un des leurs par surprise puis à s’enfuir tandis que l’autre se met à les poursuivre. En général, le jeune qui est poursuivi prend plus de plaisir que celui qui poursuit. Le seul plaisir dans le fait de poursuivre apparaît être la possibilité de changer de rôle et d’être poursuivi à son tour.

Ainsi, le rôle qui procure le plus d’émotions positives est celui qui implique de la vulnérabilité. Le jeune qui est poursuivi a moins de contrôle, moins d’opportunité de s’arrêter et de reprendre son souffle, et le fait de tomber l’expose à plus de dangers.

Le danger procure donc des émotions positives. Or les émotions positives sont la manière qu’a trouvé la nature pour nous récompenser quand nous apprenons/ découvrons quelque chose afin que nous puissions accepter de nous mettre en danger et d’entreprendre des choses difficile et coûteuses en termes d’énergie.

 

Les jeux de bagarre

Par ailleurs, les jeunes mammifères jouent très régulièrement à des jeux de bagarre (selon les espèces : se mettre par terre, se donner des coups de cornes, se taper, se mordre les oreilles…). Ces jeux ne sont pas des bagarres réelles : quand les jeunes jouent à se battre, ils ne le font pas dans le but de se faire mal ou de vaincre l’autre. En général, dans le monde animal, le plus fort s’auto handicape pour ne pas blesser les moins forts et pour ne pas systématiquement gagner (au risque qu’aucun de ses congénères ne veuille plus jouer avec lui). Les jeux de bagarre sont généralement marqués par des alternances entre position de vulnérabilité et position de force : les stratégies déployées par celui qui est en position de vulnérabilité sont justement celles qui lui serviront dans la vie plus tard pour survivre.

Force et vulnérabilité ne vont pas l’un sans l’autre dans les jeux des jeunes mammifères et il apparaît qu’ils prennent plus de plaisir quand ils sont en position de vulnérabilité, suggérant que la nature a trouvé un moyen de les amener à développer des compétences utiles par ce moyen.

Les humains sont des mammifères !

Chez les humains également, on retrouve ce schéma :

  • ils se mettent délibérément dans des positions de vulnérabilité dans des jeux de poursuite (type jouer au loup pour les plus jeunes, mais on retrouve cette idée dans de nombreux jeux chez les plus grands, y compris dans les jeux vidéos ou certains sports tels que le foot ou le basket qui reposent sur le principe attaque/ défense). Ces jeux leur permettent de ressentir le frisson mêlant peur et joie d’être dans une position vulnérable face à un adversaire et de s’en échapper.

 

  • ils jouent à des jeux générateurs de peur et incluant une prise de risques  (monter aux arbres, sauter de pierre en pierre, grimper sur tout et n’importe quoi…).

 

Le drame des petits humains quand les adultes empêchent les jeux dangereux

Au cours de ces jeux, les petits humains testent leurs propres peurs ainsi que leur condition physique dans un environnement sécurisé. Ces jeux sont forcément libres et auto dirigés parce que seuls les enfants savent pour eux-mêmes quel est le niveau de peur et la dose de difficulté dont ils ont besoin pour progresser (ni trop, ni trop peu). Si le niveau n’est pas adapté, les enfants sont libres de quitter le jeu. Sans cette possibilité, on ne peut plus parler de jeu.

Quand on empêche les jeux que nous adultes estimons dangereux, on détériore les capacités des enfants à savoir ce qui est bon pour eux, à prendre soin d’eux mêmes en fonction de leurs propres besoins et à prendre des décisions sensées en autonomie. Un cercle vicieux se met alors en place :

les adultes privent les enfants de liberté, d’autonomie et d’une certaine dose de danger -> les enfants perdent en conscience d’eux-même et en auto apprentissage (sur le plan physique, cognitif et émotionnel) -> les adultes estiment alors que c’est leur rôle de guider les enfants et de montrer ce qu’ils peuvent/ doivent faire -> les enfants perdent encore plus en conscience d’eux-mêmes et en autonomie…

Il nous reste alors à trouver le bon équilibre entre nos peurs excessives (héritées justement du fait que nous avons également été sur protégés dans l’enfance et que nous avons perdu le contact avec cette disposition dont la nature nous a dotés et alimentées par les informations pointant toujours plus les drames et accidents… le sensationnalisme faisant vendre des journaux…) et les besoins des enfants.

La politique du risque zéro a un coût !

Les enfants ont besoin d’être exposés à certains risques proportionnés pour qu’ils puissent repérer, évaluer les dangers et décider en conséquence de l’action qu’ils vont entreprendre.

Courir comme un fou, se déchaîner sur une balançoire, escalader un arbre, ça libère de l’adrénaline. Mobiliser fortement son corps permet de se sentir fort. Quand on arrive à vaincre un obstacle, la dopamine inonde le cerveau : Joie ! Un enfant qui prend des risques en grimpant sur le grand toboggan au square éprouve son pouvoir personnel. Il sent ses muscles. S’il est autorisé à monter le toboggan par la descente, il s’approprie l’espace, mesure sa force, rencontre l’obstacle de la gravité, voit comment il peut s’accrocher. Quand il réussit à grimper tout en haut, non seulement il est fier, mais il est plus solide qu’avant, plus confiant. Il maîtrise l’objet, il l’a exploré dans tous les sens, il le connaît, il est désormais davantage capable de mesurer le risque. Si sa maman le tient alors qu’il monte, voire descend le toboggan, elle lui transmet le message qu’il n’est pas capable de faire seul. S’il n’a pas le droit de monter par la descente, il n’a pas pu explorer toutes les caractéristiques de l’objet, il se sent moins sûr de lui, donc moins en sécurité. – Isabelle Filliozat

Isabelle Filliozat avertit que, en cherchant à assurer systématiquement la sécurité des enfants, les adultes non seulement risquent d’insécuriser les enfants sur le moment, mais aussi de les empêcher de construire leur aptitude à faire face en autonomie.

Bien sûr qu’il arrive que les enfants se fracturent un bras ou une jambe (c’est même le premier motif de consultation aux urgences), mais des études ont montré que « jouer en hauteur n’est corrélé ni à la fréquence ni à la sévérité des fractures » (source : Les chemins de la joie – Isabelle Filliozat).

Au contraire, quand l’espace est trop sécurisé, les enfants ne font plus attention ni à leurs corps ni à l’environnement. Leur vigilance baisse. C’est quand il y a un peu de risque que les enfants deviennent plus prudents, plus attentifs, et donc qu’ils prennent des risques mesurés et en conscience.

Les difficultés et les risques stimulent la vigilance et apportent plus de joie.

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Sources :

Libre pour apprendre de Peter Gray (éditions Actes Sud). Disponible en médiathèque, en librairie ou sur internet.

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Les chemins de la joie de Isabelle Filliozat (éditions Poche Marabout).Disponible en médiathèque, en librairie ou sur internet.

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