Entretenir et répondre à la “soif de parler” dès 2/3 ans

Vers l’âge de 2/3 ans, les enfants entrent dans une phase caractérisée par la “soif de parler“. C’est à peu près à cet âge qu’ils se rendent compte que tout objet, tout animal, toute personne, toute fonction portent des noms et qu’ils peuvent les apprendre. Connaître le nom des choses qui les entourent est un moment de découverte puissant pour les enfants de cet âge-là.

Les mots permettent aux humains d’intérioriser leur univers. C’est par les mots que nous pouvons manipuler mentalement les objets sans avoir à les toucher ni même à les voir. Les mots permettent une prise sur le monde que les autres espèces vivantes ne possèdent pas.

Le Dr Dodson relate une expérience dans son livre “Tout se joue avant 6 ans”* : un couple de psychologues a adopté un singe et l’ont élevé en même temps que leur fille. Jusqu’à ses deux ans, la petite fille s’est révélée moins habile et moins “intelligente” que le singe (notamment pour attraper des objets).

Mais, à partir de deux ans, elle dépassa le jeune singe par son adresse et sa maîtrise. Les deux psychologues en ont déduit que c’est précisément l’acquisition du langage qui a permis à leur fille d’intérioriser et de conceptualiser le monde tandis que le singe en était incapable.

Entre 2 et 3 ans, un enfant va alors expérimenter les prémices du raisonnement logique et de la prévision d’un futur proche. Son imagination va suivre les progrès de sa vie mentale : ses jeux et ses interactions vont s’en trouver modifier. “Et ça,qu’est-ce que c’est ?” sera la question type.

Le Dr Dodson conseille aux parents (dans la mesure du possible !) de répondre à toutes les questions de l’enfant dans cette phase-là. C’est par ce biais que les parents aideront leur enfant à développer son langage, son vocabulaire, sa puissance de raisonnement et son intelligence en général.

vocabulaire enfants

 

 

Les paroles : des moyens puissants pour être compris

Plus proche de nous (le livre du Dr Dodson date des années 70), Alain Bentolila, linguiste, estime que :

“La langue est faite pour parler à des gens qui ne me ressemblent pas, qui ne pensent pas comme moi, qui ne croient pas au même dieu et qui n’ont pas les mêmes convictions.”

“La langue sert à franchir une distance significative afin de transmettre des informations à des personnes qui ignorent qui je suis et ce que je pense.”

Il estime que la richesse de la langue et du vocabulaire sont des moyens puissants pour être compris au mieux par des interlocuteurs avec qui on a peu de choses en commun. Il insiste alors sur l’importance que revêt l’apprentissage du vocabulaire pour les enfants :

“Les enfants doivent être formés à ajuster leur discours ou leur texte selon le degré de connivence qui caractérise leur rapport à l’autre. Et pour pouvoir s’ajuster, il faut avoir recours à un plein “sac” de moyens linguistiques.

Quand parler est un défi, il faut puiser dans les mots rares, justes, adaptés.

Quand on dit des évidences ou des banalités, on se contente de mots plus flous.”

Une tâche incombe alors aux parents : apprendre à l’enfant à ne pas se contenter de gestes ou d’un charabia compréhensible seulement par les proches. Selon le linguiste, “Je t’aime et je n’ai pas compris ce que tu veux me dire” est un service à rendre aux enfants. L’enfant est alors invité à reformuler avec ses mots, des mots au plus proche de ses intentions et les parents peuvent être force de proposition pour l’aider à préciser sa pensée.

 

La deuxième naissance : la mise au monde linguistique.

Alain Bentolila parle de deuxième naissance : la mise au monde linguistique.

“Chaque fois qu’à la maison ou à l’école on renonce à l’explication pour l’imprécision, chaque fois que l’on privilégie la connivence contre la distance, chaque fois que l’on préfère le préjugé à la découverte, on affaiblit le pouvoir d’ouverture, d’explication paisible et de critique lucide de la langue.”

Cela passe également par le fait de surveiller son propre langage et c’est loin d’être toujours évident ! Les enfants ont tendance à copier nos mauvaises habitudes (la faute aux neurones miroirs :-) ).

Dans l’idéal, évitons de désigner les objets par des « ça », des « trucs » ou des « machins ». Appelons les objets et les gens par leurs noms. Cela est également valable pour les « ouai », les « nan » et les « s’cuse » (je parle par expérience… quand ma fille revient de chez son père, je vois une vraie différence dans sa manière de parler : l’imprégnation a un effet immédiat !).

le verbe c'est l'autre citation bentolila

 

 

Un lien entre mauvaise maîtrise de la langue et violence ?

La thèse d’Alain Bentolila est que le fait de ne pas pouvoir mettre en mots sa pensée pour l’autre conduit à des passages à l’acte violents. Il explique la violence des jeunes de quartiers sensibles par leur incapacité à transformer pacifiquement le monde et les autres par la force des mots. Il emploie le terme de “langue illettrée” : moins une personne a de mots à sa disposition, plus elle risque de parler par l’action et la violence.

 “La vraie violence se nourrit de l’impossibilité à convaincre, de l’impossibilité d’expliquer. La vraie violence est muette.”

Bien que cette thèse soit réfutée par de nombreux scientifiques, qui estiment que la seule pauvreté du vocabulaire n’explique pas toutes les violences dans les milieux sensibles, il semblerait que la richesse du vocabulaire soit un atout à cultiver chez nos enfants !

 

Pour aller plus loin,

11 jeux et activités pour enrichir le vocabulaire des enfants

Comprendre le développement de la pensée des enfants 

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Sources : Entretien avec Alain Bentolila – L’école des parents Janvier/Février 2011 & “Tout se joue avant 6 ans” – Dr Fitzhugh Dodson (* Je ne recommande pas l’achat de ce livre qui se révèle clairement dépassé, sexiste et homophobe. En revanche, je retiens quelques passages intéressants dont celui auquel je fais référence ici. Si jamais vous le trouvez d’occasion – c’est mon cas, je l’ai payé 0,99€ -, cela vaudra peut-être le coup de satisfaire votre curiosité mais je ne suis vraiment pas convaincue que ce soit un achat indispensable.)

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