La persévérance est un concept amoral : mise en perspective éthique de la persévérance

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Les concepts de persévérance et d’auto discipline prennent trop d’importance quand on parle d’éducation

Alfie Kohn est conférencier et auteur américain. Il a écrit le livre Le mythe de l’enfant gâté dans lequel il affirme que les concepts de persévérance et d’auto discipline prennent trop d’importance quand on parle d’éducation. Le problème, selon lui, est que la persévérance et l’auto discipline sont vue comme des qualités, des vertus en tous points de vue mais ne sont jamais étudiées dans une perspective d’éthique et de bonheur des enfants.

L’amoralité du concept autorise l’immoralité de certains individus qui l’illustrent. Après tout, la plupart des tyrans ont de la ténacité à revendre. – Alfie Kohn

Kohn regrette que le fait de glorifier la persévérance relèguent les activités elles-mêmes à l’arrière plan. Toutes les activités ne se valent pas du point de vue moral et du point de vue de la santé mentale et affective. Ce qui est important n’est pas tant pourquoi une personne s’acharne ou sur quoi mais plutôt pourquoi elle le fait.

  • Rester dans un travail qui vole l’âme ou persévérer dans des études non désirées a-t-il un sens ?

 

  • Est-ce signe de bonne santé (mentale et physique) que de persévérer dans une voie qui rend malheureux… même si cette persévérance est louée par des personnes extérieures (les parents, par exemple, qui veulent absolument que leur enfant fasse des études de médecine) ?

 

  • N’est-ce pas une bombe à retardement ?

 

Flow, plaisir et persévérance 

Kohn remarque, à juste titre, que celles et ceux qui s’accrochent à quelque chose par réel plaisir ont moins besoin d’auto discipline et d’activités pour développer la persévérance. On peut faire le parallèle avec la parentalité.

Si vous avez un bébé qui pleure au beau milieu de la nuit, et que vous comptez uniquement sur la volonté pour vous lever pour lui donner à manger, ce bébé va mourir de faim. Vous le faites par amour. – Annie Dillard

La théorie du flow (ou expérience optimale) va d’ailleurs dans ce sens. Csíkszentmihályi a conceptualisé cette idée selon laquelle l’expérience en elle-même est si agréable que les gens la font dans la seule finalité de la faire.

Une personne dans le “flow” entreprend une activité seulement pour l’intense satisfaction qu’elle procure.L’expérience optimale est une situation dans laquelle l’attention est librement investie en vue de réaliser un but personnel parce que rien ne dérange ni menace le soi. Les personnes qui atteignent fréquemment le flow développent un soi plus fort, plein de confiance et efficace parce que leur énergie psychique a été investie avec succès dans la réalisation des objectifs qu’elles avaient l’intention de poursuivre.

Il est très probable que les personnes qui vouent aux nues la persévérance, la ténacité et l’auto discipline ne prennent pas le temps de se demander si ceux qui en font preuve agissent ainsi parce qu’ils aiment ce qu’ils font, ou bien parce qu’ils ont perdu contact avec leurs aspirations profondes, parce qu’ils sont soumis au regard social, parce qu’ils éprouvent un besoin désespéré de prouver quelque chose, qu’ils cherchent la reconnaissance à tout prix (au sacrifice de leur santé parfois).

  • Sommes-nous censés éprouver de la fierté et de l’approbation tant que les enfants repoussent leurs limites, quelle que soit l’activité et quel que soit leur état de santé (physique et mentale) ?

 

  • Sommes-nous même assez capables de sensibilité pour savoir quand les enfants font les choses de bon coeur et quand ils les font par peur pathologique de perdre ou de décevoir, par besoin compulsif de triompher sur les autres, de compenser leur manque de pouvoir personnel ou d’affection ?

 

  • Jusqu’où sommes-nous prêts à aller pour “endurcir” les enfants ?

 

Un manque de persévérance lié à un manque de liberté et de pouvoir personnel

Les humains persévèrent quand ils ont l’occasion de prendre des décisions

La plupart d’entre nous voulons encourager les enfants à trouver ce qu’ils aiment faire – et les aider à déclencher cet amour. C’est très différent que de leur dire qu’ils doivent finir tout ce qu’ils entreprennent même si cela les rend malheureux. – Alfie Kohn

Notre rôle de parents, d’enseignants, d’éducateurs serait peut-être alors de permettre aux enfants de faire des essais, d’expérimenter plein de choses, de les laisser choisir, essayer, renoncer puis réessayer (peut-être, s’ils le souhaitent).

Ensuite seulement, nous pourrons leur proposer de l’aide pour faire efficacement ce qui a du sens, de la valeur pour eux : une organisation soigneuse, une capacité à travailler avec autrui, du courage, un bon équilibre entre la confiance en soi et l’humilité… et la ténacité, entre autres qualités.

Alfie Kohn avance l’hypothèse selon laquelle, si les élèves jettent l’éponge après avoir raté quelque chose ou abandonnent une activité, c’est peut-être moins parce qu’ils ne savent pas persévérer que parce qu’on leur a ordonné de le faire. Ils n’ont pas eu leur mot à dire sur le contenu ou le contexte de l’activité.

Les gens de tous âges sont plus susceptibles de persévérer quand ils ont l’occasion de prendre des décisions sur ce qui les concerne. Donc si les élèves ne persévèrent pas, c’est peut-être parce qu’ils ont été exclus de toute prise de décision, plutôt que parce qu’il faut corriger leur attitude, leur motivation ou leur caractère. – Alfie Kohn

 

A qui profite le crime (= les louanges de la persévérance comme vertu et facteur de réussite à développer chez les enfants) ? 

Kohn se demande alors à qui profite le crime, crime consistant à dire que la réussite des enfants dépend essentiellement de leur ténacité, de leur persévérance, de la force de discipline (sans jamais mentionner l’intelligence émotionnelle, l’empathie, l’altruisme ou encore la coopération).

Il écrit que plus on reproche aux gens de manquer d’auto discipline, moins on a besoin de questionner les structures (politiques et sociales donc) qui façonnent leurs actes.

En suivant ce raisonnement, certains auteurs sont même allés jusqu’à affirmer qu’il n’y a pas d’outil anti pauvreté plus utile à offrir aux jeunes défavorisés que le développement de qualités personnelles telles que la persévérance, la ténacité, la flexibilité et l’optimisme.

La question n’est pas pour Kohn de remettre en question ces qualités mais d’en questionner l’instrumentalisation au profit d’une pensée qu’il qualifie de conservatrice.

En effet, l’idée sous-jacente à l’idéalisation de la persévérance vise à résoudre le problème suivant : comment faire en sorte que les élèves prêtent attention à leur enseignant au lieu de rêvasser, persévèrent dans des travaux assignés en dépit de l’ennui et de la frustration et se comportement correctement en classe (ne pas parler, ne pas poser de question hors sujet, ne pas bouger) ?

La réponse est la même qu’à la question de savoir si les devoirs à la maison sont utiles : on s’en fiche. L’important, c’est d’obtenir l’obéissance – idéalement, l’habitude d’obéir. Voilà l’état d’esprit qui sous tend tout cet enthousiasme pour la persévérance acharnée et l’auto discipline, même si c’est rarement dit ouvertement. – Alfie Kohn

 

Repenser l’école et les valeurs éducatives 

Si vous pensez encore à la lecture de cet article qu’il faut bien que les enfants exercent leur auto discipline en faisant ce qu’on leur demande à l’école, je vous invite à vous renseigner sur les approches des écoles démocratiques dans le privé et de l’école du troisième type de Bernard Collot dans le public. Vous serez étonnés de savoir qu‘il est possible de laisser les enfants s’instruire eux-mêmes et que ces enfants font effectivement preuve de persévérance dans les projets qu’ils initient.

Et entre nous, je vous l’avoue, ma fille n’a jamais terminé ses années d’activité sportive, que ce soit le judo, la gym ou le cirque (enfin si, elle a fait toute son année de natation). Elle a exploré, pour reprendre les termes d’Alfie Kohn. Je ne voyais pas au nom de quoi je l’aurais forcée à pratiquer une activité qui ne lui plaisait pas (parce que je voyais bien que, moi-même, je n’avais jamais eu à me forcer pour pratiquer la gymnastique rythmique pendant 12 ans en atteignant un niveau national et que mes parents m’avaient autorisée à laisser tomber le basket et la danse avant).

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Source : Le mythe de l’enfant gâté de Alfie Kohn (éditions L’instant présent). Disponible en médiathèque, en librairie ou sur internet (site de l’éditeur).

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