Enfants précoces/surdoués/ haut potentiel intellectuel : entre mythes et réalités

Dans cette présentation (43 min), Nicolas Gauvrit, mathématicien et psychologue français spécialisé en science cognitive, propose une approche basée sur des méta-analyses pour démêler les mythes et les réalités autour du haut potentiel intellectuel.

UNE définition du haut potentiel intellectuel ? 

Au cours de cette présentation, Nicolas Gauvrit admet que la définition généralement admise de la précocité intellectuelle est un quotient intellectuel supérieur à 130… mais que cette définition se retrouve comme critère de sélection des populations étudiées dans moins de un tiers des publications sur le sujet de la précocité intellectuelle.

Ainsi, les deux autres tiers des recherches n’utilisent pas cette définition consensuelle. Les éléments de divergence portent notamment sur le seuil du QI utilisé (parfois 120, parfois 140 pour isoler les surdoués du reste de la population), sur des éléments inclus ou exclus (la créativité est parfois une condition nécessaire pour considérer une personne dont le QI dépasse un certain seuil comme surdouée) ou encore sur l’hétérogénéité des résultats au test de QI (certains chercheurs, mais pas tous, excluent les personnes dont les résultats sont hétérogènes).

On comprend qu’il est difficile de parler de surdoués/ précoces comme d’un groupe homogène quand les chercheurs qui s’y intéressent n’arrivent pas à se mettre eux-mêmes d’accord sur une définition claire de cette population (seule le critère d’intelligence semble être commun mais pas toujours avec le même seuil).

Nicolas Gauvrit explique cela par le fait que les surdoués/ précoces ne sont pas un groupe homogène de personnes à découvrir. Il définit plutôt la douance comme un continuum (pas comme un groupe de personnes fixe).

Les problèmes d’échantillonage des études scientifiques influencent les résultats… et participent à la création et au renforcement de mythes sur les surdoués/précoces

Pour Nicolas Gauvrit, les personnes à haut potentiel intellectuel sont invisibles a priori car elles ne forment pas un groupe homogène. Il est donc difficile de trouver des échantillons pertinents pour réaliser des études scientifiques fiables sur les personnes surdouées/ précoces.

Nicolas Gauvrit l’explique de plusieurs manières :

  • la présélection

Les chercheurs demandent souvent à des enseignants d’identifier les enfants qui seraient, à leurs yeux, les plus susceptibles d’être surdoués. Les chercheurs font ensuite passer des tests de QI à ces enfants pour les inclure, ou non, dans leur étude.

Or il se trouve que seulement 80% des enfants surdoués/ précoces sont ainsi identifiés : les 20% qui restent sont donc ceux qui correspondent le moins aux stéréotypes sur les enfants surdoués… et sont donc ignorés par les chercheurs qui font des études sur les enfants à haut potentiel intellectuel (HPI). Cet état de fait participe mécaniquement à renforcer les stéréotypes sur les enfants HPI puisque les résultats de ces recherches seront ensuite diffusés.

  • les sous populations biaisées

D’autres chercheurs s’adressent à des spécialistes ou des associations de parents d’enfants HPI pour identifier des populations d’enfants surdoués/ précoces pour leurs études.

Or il se trouve que les spécialistes (psychologues, pédopsychiatres…) s’occupent d’enfants ayant de problèmes puisqu’ils ont eu besoin à un moment ou un autre d’aide psychologique. De même, les enfants HPI dont les parents adhèrent à des associations connaissent a priori des problèmes puisque leurs parents ont eu à un moment ou un autre besoin d’aide et de soutien qu’ils sont venus chercher auprès d’associations.

C’est ainsi que les échantillons biaisés condamnent à valider les stéréotypes du fait de la sur-représentation d’enfants avec des problèmes ou des troubles associés !

Mythes et réalité autour du haut potentiel intellectuel

Nicolas Gauvrit décortique quatre grandes idées répandues autour de la douance :

1.Les personnes HPI sont plus curieuses.

En général, il existe une différence entre les personnes HPI et les autres en ce qui concerne l’ouverture aux apprentissages et la curiosité. En moyenne, les surdoués/ précoces sont plus curieux que la population générale.

Mais il ne faut pas imaginer que les personnes HPI sont ouvertes et que les autres sont fermées : les surdoués/ précoces sont en moyenne plus ouvertes.

2.Les personnes HPI ont une pensée en arborescence.

Ce qui est présenté comme la pensée en arborescence correspond en fait à la pensée divergente, c’est-à-dire le fait d’avoir plusieurs idées à partir d’une idée unique.

Les personnes HPI ont en moyenne des scores plus élevés sur les composantes de pensée divergente donc elles ont, en moyenne, une capacité plus élevée à avoir plus d’idées que les autres à partir d’une idée unique.

Pour autant, la pensée divergente n’est rien de plus qu’une composante de la pensée ordinaire que chacun possède et peut développer avec de l’entrainement et des techniques de pensée créative.

3.La douance est génératrice d’anxiété.

Les méta-analyses de Nicolas Gauvrit montrent que les personnes HPI sont aussi anxieuses que les personnes non HPI (voire moins anxieuses que les autres dans certaines études).

Il existe bien sûr des cas de personnes anxieuse ET surdouées mais cela ne veut pas dire que le haut potentiel intellectuel rend anxieux.

Ainsi, Nicolas Gauvrit rapporte que, parmi ces études sur l’anxiété chez les personnes précoces, seules 2 ont conclu que les personnes HPI sont plus anxieuses que la moyenne. Ces deux études sont représentées en orange : la première a conclu que seules les filles sont plus anxieuses que la population générale (les garçons précoces n’étant pas plus anxieux que la population générale) et la deuxième a conclu que les personnes HPI ont un taux d’anxiété métaphysique plus élevé que les personnes non HPI (sur les questions relatives à la mort ou à l’infinité de l’univers par exemple).

anxiété et douance

Source : HPI Séminaire Nanterre (Nicolas Gauvrit)

4. 30% des enfants précoces/ surdoués sont en échec scolaire.

Certains enfants précoces/ surdoués peuvent effectivement être en échec scolaire mais il est faux de voir une corrélation inverse entre le QI et la réussite scolaire.

D’après plusieurs études, les enfants HPI réussissent même mieux à l’école que les autres en général. Ils redoublent plutôt moins que les enfants de la population générale.

Les enfants HPI ne sont pas tous brillants ni tous en échec scolaire mais on peut dire que, en général, les enfants surdoués/ précoces sont moins en échec scolaire que les enfants non surdoués/ précoces. Il est donc faux d’avancer un nombre égal (ou supérieur) de 30% d’enfants HPI en échec scolaire : les enfants HPI ont, en général, de meilleurs résultats scolaires que le reste de la population.

Ces quatre grands stéréotypes autour de la douance sont diffusés dans les médias auprès du grand public et dans les Ministères par les associations d’enfants HPI en souffrance (souffrance réelle et légitime par ailleurs).

Or il est contraire à la science d’affirmer que les enfants HPI sont plus anxieux, plus dépressifs ou plus en échec scolaire que les autres. Cela ne veut pas pour autant dire qu’il n’existe pas d’enfants HPI dans ces cas de figure; cela signifie simplement que, en général, les enfants surdoués/ précoces sont mieux lotis que les autres.

Nicolas Gauvrit utilise ce tableau pour démontrer ce qu’il avance. Sur ce tableau, les éléments en vert sont ceux qui ont été démontrés scientifiquement et donc valables, en général, pour les enfants HPI; les éléments en rouge n’ont pas été démontrés (voire contredits) scientifiquement.

Ainsi, on peut dire que, en général, il existe une différence entre les personnes HPI et les autres en ce qui concerne la créativité. En moyenne, les surdoués/ précoces sont plus créatifs que la population générale.

mythes et réalité enfants précoces

Source : HPI Séminaire Nanterre (Nicolas Gauvrit)

 

Pourquoi les mythes autour du haut potentiel continuent-ils à être diffusés ?

Nicolas Gauvrit regrette que les médias ne sachent pas identifier les experts et que la lumière soit braquée sur les problèmes, en les surévaluant, que sur la chance que représente le haut potentiel.

La diffusion des mythes et stéréotypes autour des enfants surdoués/ précoces a des conséquences sur l’approche de ces enfants à l’école : les informations transmises aux enseignants par le Ministère sont en effet partiellement fausses. 

Les difficultés rencontrées par certains enfants surdoués ne doivent pas pour autant être occultées, mais l’intelligence n’est pas un handicap, elle peut (et doit ?) être vue comme une chance pour un enfant, une classe et même la société.

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Nicolas Gauvrit est l’auteur de Surdoués ordinaires (éditions PUF).

Les références sur lesquelles Nicolas Gaudrit s’appuie :

DÉFINITIONS INSTABLES

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