“Nous n’avons nul devoir de gratitude envers des parents qui nous ont maltraités, encore moins celui de nous sacrifier pour eux.” – Alice Miller

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Pourquoi alors de nombreuses personnes (forcément nombreuses puisque la violence éducative ordinaire est pandémique dans la société française) continuent à se sacrifier et à se montrer loyales, dévouées, attachées à des parents idéalisés ? Elles espèrent qu’un jour, le comportement parental toxique (culpabilisation, chantage émotionnel, critiques, humiliation, négation des émotions et du récit du vécu…) cessera pourvu qu’elles trouvent le mot juste, l’attitude appropriée, qu’elles sachent enfin faire preuve de la compréhension (à sens unique…) attendue par les parents.

Mais cela signifierait encore se soumettre, comme c’était la règle dans l’enfance, pour obtenir des miettes d’affection (qui plus est conditionnelle).

Une fois arrivés à l’âge adulte, nous devenons conscients de cette perversion de la nature des échanges entre parents et enfants. Et pourtant, nombre d’entre nous s’obstine à croire que des gens qui n’ont pas pu aimer finiront par le faire…

Un amour imposé n’est pas de l’amour. – Alice Miller

Cela représente en effet un travail immense et un courage incroyable que d’abandonner cet espoir et admettre que l’amour inconditionnel tant espéré ne se manifestera jamais. Il s’agit d’un véritable deuil. Pourtant, abandonner cet espoir ouvre la voie vers la fin de la croyance selon laquelle nous n’étions pas dignes d’être aimé.e.s. Nous n’étions pas en cause car le fond du problème était la situation de nos parents (ce qu’ils avaient fait de leurs traumatismes d’enfance, dans quelle mesure ils étaient parvenu à les intégrer psychiquement).

Nous devons nous débarrasser de l’état de confusion intérieure du petit enfant, qui résulte de son effort pour se résigner aux mauvais traitements et leur trouver un sens. – Alice Miller

Or ce travail intérieur est rendu difficile par :

  • les règles morales qui régissent notre société et qui nous maintiennent sous une emprise moralisatrice.

Alice Miller les regroupent sous la mention “le Quatrième Commandement” : “Tu honoreras ton père et ta mère”. Elle fustige la moral qui a, de tout temps, pris le parti des adultes contre les enfants.

  • la peur du petit enfant et ses émotions refoulées qui, n’ayant pas pu être exprimées, sont restées dans la mémoire traumatique

Pour Alice Miller, devenir adulte, c’est justement cesser de nier la vérité et se défaire de ce lien appelé “amour” mais qui n’en est pas un, puisqu’il est mêlé de gratitude, de pitié (via des excuses telles que le fait que les parents étaient débordés par leurs tâches éducatives),de déni, d’attentes, d’illusion, d’obéissance indiscutable, de peur et de crainte du châtiment.

  • l’idée que le pardon amènera la paix intérieure et la guérison.

Alice Miller considère que le pardon ne permet pas la reconnaissance pleine et entière des souffrances légitimes de l’enfant intérieur… et ne peut que conduire à une guérison temporaire. L’indice qui met sur la voie de la non guérison à long terme est la vérité du corps. Alice Miller aborde notre corps comme un allié qui sait comment nous venir en aide en nous alertant, via des symptômes, de la répression d’émotions pourtant vitales.

L’émotion douloureuse initiale est un signal important du corps et, si on ignore son message, ce dernier devra en envoyer de nouveaux pour se faire entendre et provoquer l’abandon des attentes infantiles et illusoires à l’égard de nos parents. Cela implique de nous autoriser à vivre sans culpabilité nos émotions dites négatives : “oui, j’ai le droit d’être en colère contre ma mère”, “oui, ce qu’a fait mon père est injuste et ignoble, il n’a aucune excuse”, “oui, ils m’ont fait.e souffrir, j’avais peur, j’étais terrorisé.e”.

Au lieu de chercher à éliminer ces pensées et émotions censurées dans l’enfance par les parents, il s’agit d’en déchiffrer les causes et de les transformer en messages porteurs de sens. Les émotions ne se fixent dans le corps que quand elles sont réprimées, niées, minimisées, contre balancées.

Ce tragique constat n’est possible que lorsque nous cessons de peser les bons et les mauvais côtés des parents maltraitants, car, sous le prétexte d’une approche nuancée de la situation, cette démarche nous fait retomber dans la pitié et le déni des sévices. – Alice Miller

Ce dont les personnes ont besoin pour renoncer à un attachement destructeur est de l’empathie pour l’enfant d’alors dont personne n’a vu la souffrance. Cette empathie peut prendre plusieurs formes :

  • celle d’une thérapie centrée sur la personne (au sens de Carl Rogers),
  • celle d’une écoute bienveillante et empathique par une personne (ami.e, conjoint.e…) ou un groupe de pairs,
  • celle de l’auto empathie pour l’enfant intérieur maltraité en reconnaissant sa vérité et ses émotions comme légitimes (via l’auto parentage).

Une fois ce travail de reconnaissance intérieure, Alice Miller encourage à dire la vérité de l’enfant intérieur aux parents maltraitants, sans pour autant s’attendre à ce que ces derniers se répandent en excuses et en compréhension. C’est souvent le contraire qui se passe : le parent accuse l’enfant devenu adulte de le culpabiliser voire de mentir; le parent nie ou minimise…

En revanche, quand la discussion est possible et que le parent est dans une démarche authentique de repentir, Alice Miller reconnaît que le pardon (dans ce cas-là précisément) peut avoir un effet libérateur. C’est ici la reconnaissance des erreurs éducatives et de la souffrance de l’enfant intérieur qui fait toute la différence.

De même, ici et maintenant, en tant que parents avec nos propres enfants, nous avons le droit de ne pas être parfaits mais nous avons le devoir de reconnaître sans restriction la douleur que nous avons causées à notre enfant quand nous l’avons peut-être fessé, humilié, puni, et de nous en excuser ainsi que de s’engager activement dans la recherche de solutions pour que cela ne se reproduise pas.

Par ailleurs, ce travail individuel revêt une importance sociétale. Briser le cercle de la violence éducative (j’inclus ici la violence éducative ordinaire, telles que les fessées, les claques, les privations en tout genre) est un enjeu de santé publique. En effet, les enfants maltraités dont la souffrance n’a jamais trouvé ni écho ni empathie ont tendance à se montrer eux-mêmes violents une fois parvenus à l’âge adulte : violents contre eux-mêmes et/ou violents envers les plus faibles qu’eux (perpétuant le cercle vicieux de la violence éducative ordinaire).

Les enfants battus, torturés, humiliés, auxquels nul témoin secourable ne tend la main, présentent généralement, quand ils ont grandi, une forte tendance à tolérer la cruauté quand elle émane de figures paternelles et une frappante indifférence au sort des enfants maltraités. Ils ne veulent pas admettre à aucun prix qu’ils ont été eux-mêmes dans ce cas, et leur indifférence les préserve du risque d’ouvrir les yeux. C’est ainsi qu’ils se feront les avocats du Mal, tout en étant pleinement convaincus de leurs intentions humanitaires. 

Dès leurs premières années, il leur faut apprendre à réprimer et à ignorer leurs véritables sentiments, à ne pas se fier à ceux-ci, mais uniquement aux prescriptions des parents, des professeurs et des autorités religieuses. Adultes, ils sont absorbés par leurs vies et n’ont plus le temps de percevoir leurs propres sentiments. Sauf si ceux-ci correspondent exactement au système de valeur patriarcal dans lequel ils vivent : ainsi, par exemple, la pitié pour le père, aussi destructeur et dangereux fût-il. – Alice Miller

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Source : Le corps ne ment jamais de Alice Miller (éditions Flammarion). Disponible en médiathèque, en librairie ou sur internet.

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