Pourquoi certaines personnes pensent qu’elles ont mérité les fessées et punitions reçues dans l’enfance

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La violence éducative ordinaire colonise toute la société

Alice Miller, spécialisée dans les conséquences des violences éducatives – même dites ordinaires, donne des explications au fait que de nombreuses personnes continuent à penser qu’elles ont mérité les fessées et punitions qu’elles ont reçues dans leur enfance. Elle estime que ces personnes conservent le souvenir des humiliations qu’elles ont subies comme des mesures nécessaires prises pour leur bien, que leurs parents avaient des intentions bienveillantes. Ces personnes demeurent envers et contre tout attachées à l’idée qu’elles ont été aimées par des parents qui les ont pourtant maltraitées (maltraitance physique comme une fessée, des cheveux ou des oreilles tirés, des tapes sur la main et/ou maltraitance émotionnelle comme de la répression des émotions, du chantage, des retraits d’amour, de la culpabilisation…).

Si un père ou une mère pouvait ressentir la blessure qu’il ou elle inflige à son enfant, il ou elle découvrirait du même coup les blessures qu’il ou elle a elle-même subies jadis. Quand un parent fait ce chemin, il se libère de sa compulsion de répétition.

Malheureusement, l’éducation (et la religion) interdit aux enfants (même devenus adultes) de ressentir ce qui leur arrivé et les entraînent ainsi à perpétrer à leur tour les mêmes comportements maltraitants sous couvert d’éducation (et donc de pseudo bonne conscience). Le refus de reconnaître les conséquences des dommages et blessures endurés dans la petite enfance est sous-jacent à toute la société (rappelons que, dans un sondage de 2007, 84% des grands-parents et 87% des parents français reconnaissaient avoir déjà donné une fessée aux enfants).

En règle générale, les enfants jadis tourmentés tourmentent à leur tour leurs propres enfants en affirmant que le tourment qu’ils leur infligent n’en est pas un, puisque leurs parents, qui les aimaient, leur ont fait la même chose. – Alice Miller

Prendre conscience du mécanisme de refoulement et de mémoire traumatique

La clé pour mettre un terme à la reproduction de la violence contre les enfants de génération en génération est la prise de conscience du mécanisme de refoulement et de mémoire traumatique. Alice Miller regrette que de nombreux individus pourtant très intelligents du point de vue rationnel (scientifiques, économistes, psychanalystes, écrivains…) maintiennent “cachée et enfermée à double tour la conscience de leur véritable savoir”.

Quand Miller parle de “savoir”, elle fait référence au fait que ces individus ont effectivement eu peur, ont eu envie de se révolter contre les mauvais traitements ou les injustices dans leur enfance mais que ces émotions enfantines pourtant légitimes (colère, peur, tristesse…) ont été recouvertes d’un voile et même considérées comme mauvaises à grand coup d’éducation et de leçons de morale, parfois de religion (on n’a pas le droit d’être en colère contre son parent même quand il a donné une fessée; une fessée est toujours méritée parce que c’est l’enfant qui porte la responsabilité de la qualité de la relation; le parent qui punit a toujours une intention bienveillante, à savoir des visées éducatives; sans ces mauvais traitements, les enfants finiraient forcément mal; il faut souffrir pour comprendre; on a le droit de faire du mal par amour; qui aime bien châtie bien; on peut être aimé et être maltraité).

Souvent, les reproches à l’égard des parents sont liés à des angoisses de mort non seulement à cause de menaces réelles, mais parce que c’est pour un petit enfant un risque mortel que de perdre l’amour des plus proches personnes de référence. C’est ainsi que la vieille angoisse refoulée se maintient chez l’adulte et que les signaux d’alarme enregistrés dès le plus jeune âge restent parfois actifs une vie entière. – Alice Miller

L’importance de se reconnecter à sa colère d’enfant

Certaines personnes arrivent à exercer leur esprit critique vis-à-vis de leurs parents, mais la critique dépasse rarement le domaine intellectuel. Très peu de personnes arrivent à vivre dans leur corps les émotions vives refoulées qui auraient percé le bouclier de l’autoculpabilisation, de l’attribution de la responsabilité (je les avais bien cherchées/ méritées ces claques) ou des excuses (ma mère était stressée, mon père avait eu une enfance difficile).

Tant que l’enfant qu’on a été est trahi par des tours de passe-passe, il ne peut y avoir ni libération ni reconnexion à soi. En effet, dès que l’adulte d’aujourd’hui trouve des excuses aux comportements maltraitants du parent d’alors, c’est comme s’il faisait des reproches à l’enfant d’alors et lui retirait à nouveau la parole et la véracité de ses émotions. L’adulte d’aujourd’hui laisse tomber l’enfant d’alors.

Pourtant, il est normal et sain d’éprouver de la colère face à une injustice, face à un manque de respect, face à une atteinte de l’intégrité physique et/ou morale. Il est dans la nature humaine d’éprouver de la colère dans ces cas parce que la colère a une valeur réparatrice. L’enfant d’alors avait le droit d’éprouver et d’exprimer ces émotions face aux violences éducatives même dites ordinaires, de se révolter et de défendre son intégrité. C’était le devoir des adultes de prendre en compte ces réactions émotionnelles pour repenser la relation et abandonner les jeux de pouvoir, les maltraitances physiques et/ou émotionnelles et endosser à nouveau la responsabilité de la qualité de la relation (plutôt que d’en charger l’enfant).

Or notre système de valeurs, influencé en grande partir par les religions, a tendance à protéger les parents : ce sont les enfants qui cherchent les parents et c’est normal que les parents réagissent avec violence (comme s’il était inconcevable que des parents puissent réagir avec bientraitance et accueil émotionnel aux colères des enfants; comme si c’était une fatalité qu’un enfant bientraité devienne un délinquant ou un paresseux !).

 

Remettre en cause le système de valeurs de toute une société

La difficulté à reconnaître la véritable nature des violences éducatives ordinaires

Quand un adulte revient sur son enfance et relate des faits de violences éducatives ordinaires, il est très rare qu’il rencontre une validation de son vécu d’alors. Cet adulte va plutôt rencontrer des discours qui vont atténuer la responsabilité des parents (ils n’avaient pas les moyens de faire autrement à l’époque; ce n’est pas si grave en comparaison des “vrais” enfants battus; les parents ont fait ce qu’ils ont pu; il faut comprendre les parents parce qu’eux-mêmes ont eu un passé difficile…).

Ce type de raisonnement pose problème sur deux plans :

  • l’adulte d’aujourd’hui ne peut pas se libérer et reconnaître sa réalité puisqu’elle n’est pas accueillie; l’adulte n’est pas validé dans ce qu’il ressent et vit alors que son corps lui dit qu’il avait une bonne raison d’être en colère/ triste/ d’avoir peur à l’époque;
  • le cercle de la violence se perpétue parce que chercher à expliquer et vouloir pardonner aux parents maltraitants empêchent de mettre au jour les mécanismes de refoulement et de mémoire traumatique à l’origine du cercle vicieux de la violence collective.

Le pardon, une mystification

Souvent, chercher à comprendre pourquoi les parents ont agi de telle ou telle manière est sous tendu par l’envie de leur pardonner. Mais les personnes qui agissent ainsi continuent à se culpabiliser et à se voir comme mauvaises (si les parents ne sont pas responsables de la maltraitance reçue, il faut bien qu’il y ait un coupable : c’est donc forcément l’enfant et, par conséquent, c’est que je suis mauvais, je l’ai été dès l’enfance et je le suis toujours).

On se coupe alors de la compréhension de mécanismes de la perpétuation de la violence mais surtout de la compréhension de nos propres conditionnements, de la formation de notre caractère en lien avec l’éducation reçue et de notre capacité à aller mieux.

Par ailleurs, expliquer et comprendre tout ce que font les parents annihile toute raison de se mettre en colère contre eux. La colère justifiée et réparatrice est refoulée, et sous cette forme refoulée elle ne fait qu’enfler de manière incontrôlée jusqu’à la violence contre soi (maladie, fuite dans des dépendances, auto destruction) ou contre les autres (de la violence verbale à la violence physique en passant par la manipulation et la maltraitance émotionnelle).

 

Affronter ses blessures d’enfance, un chemin personnel pour briser le cercle de la violence éducative (et ne plus les reproduire)

Un travail de deuil qui passe par une condamnation ferme des violences de toute nature

Alice Miller écrit que seule la découverte de ses propres traumatismes, la possibilité de vivre sa douleur, sa colère, sa révolte, son humiliation et son égarement permettent d’effectuer un travail de deuil sur ce qui s’est passé dans l’enfance (parfois, cela ne concerne pas que les parents mais aussi les frères et sœurs qui ont pu être maltraitants, les grands parents, les cousin.e.s, les enseignants… mais quoiqu’il en soit, la responsabilité de la validation des émotions et de protection revient aux parents).

C’est seulement à partir du moment où nous osons voir les maltraitances et négligences commises à notre égard, que nous n’avons plus besoin de nous en protéger en les reproduisant et en qualifiant les maltraitances que nous produisons nous-mêmes comme “inoffensives”(ex : fessées, claques, punitions, répression émotionnelle, chantage, menace, retrait d’amour…).

Pour autant, nous sommes les seuls à pouvoir nous confronter avec notre propre passé, et personne d’autre ne peut parcourir ce chemin à notre place. C’est bel et bien en levant les blocages et en vivant les souffrances jadis refoulées, que nous pourrons libérer l’enfant maltraité autrefois qui ne voulait faire de mal à personne lors de sa venue au monde, l’enfant qui voulait aimer et être aimé tel qu’il était… mais n’a trouvé personne qui lui offrit un amour inconditionnel, à la fois bienveillant et bientraitant.

Tout mauvais traitement de l’enfant doit être jugé et il n’y a pas lieu de le comprendre. Il ne peut s’expliquer que par la perversion personnelle des parents du coupable mais il n’est pas pour autant excusable. Seule une claire condamnation des mauvais traitements infligés aux enfants permettra à la société et à l’individu de prendre conscience de ce qui se passe réellement et de ce à quoi cela mène. – Alice Miller

Un enfant aimé inconditionnellement créera un monde pacifique dans lequel il sera capable d’utiliser l’énergie de sa colère pour servir ses besoins avec assertivité (plutôt que faire preuve de violence) et pour défendre l’éthique humaine. Car notre mission biologique est de vivre et de protéger la vie humaine mais non de la détruire.

Les freins à une prise de conscience individuelle et collective

Or, d’après Alice Miller, les freins sont grands à cette prise de conscience individuelle et collective. Elle dénonce les injonctions morales et religieuses du type « Tu honoreras ton père et ta mère » (le Quatrième Commandement) qui prennent systématiquement le parti des adultes contre les enfants.

De même, Miller estime que le pardon prôné par toutes les religions est une mystification pour éviter de remettre en cause les parents, pour maintenir l’ordre moral aux dépens des enfants et pour assurer la domination des religieux. Cette sacralisation du pardon apparaît comme la plus grande opération de mise sous clé de la mémoire traumatique. Quand on arrive à se débarrasser des sentiments de culpabilité, on ne se donne plus de mal pour pardonner des maltraitances qui apparaissaient jusque là justifiées, même normales, absolument non questionnables. On gagne alors en liberté et en bien-être parce que le corps n’a plus besoin de se manifester pour attirer l’attention sur ce qui bloque son élan, sur ce qui attaque son intégrité. Le corps récupère de l’énergie.

Toutes les autorités religieuses prêchent aux fidèles, depuis des millénaires, le respect des parents. Ces exhortations seraient superflues si les hommes avaient grandi entourés d’amour et de respect car ils les respecteraient alors tout naturellement, en réponse à ce qui leur a été donné. C’est uniquement lorsque l’individu n’a aucune raison de respecter ses parents qu’il faut manifestement l’y contraindre. Et cette contrainte a le redoutable effet de frapper du sceau du péché toute critique à l’égard des parents, ce qui engendre de lourds sentiments de culpabilité. – Alice Miller

Ainsi, il apparaît que la première étape avant de chercher à trouver des recettes du bonheur pour adultes ou des recettes éducatives pour enfants serait d’affronter les blessures de l’enfance et de dénoncer les violences éducatives même dites ordinaires. La psychologie positive, la méditation ou encore la dite pensée positive ne peuvent être que des pansements sur une jambe de bois tant que ce travail n’a pas été amorcé. De même, vouloir réaliser des exercices de psychologie positive avec les enfants n’a aucun sens si, à côté de cela, on continue à les punir de télé pour une mauvaise note, à leur dire que ce n’est rien quand ils tombent ou d’arrêter de pleurer quand ils sont tristes, à les isoler dans leur chambre ou les envoyer au coin quand ils sont en colère.

 

[EDIT] Suite à plusieurs commentaires sur les réseaux sociaux, je tiens à préciser qu’on peut être athée/ agnostique et avoir recours aux violences éducatives; de même qu’on peut croire en un dieu (quel qu’il soit) et ne pas avoir recours aux violences éducatives. En revanche, ce serait un biais que de croire que les religions n’influencent pas les valeurs morales d’une société et, bien qu’on trouve des passages incitant au respect de l’enfant dans les textes sacrés, ce qui a été collectivement retenu relève plutôt de la pédagogie noire telle que décrite par Alice Miller. De plus, les textes nous disent d’aimer les autres comme nous nous aimons nous-mêmes mais comment faire quand la plupart des gens ne s’aiment pas, n’ont aucune estime d’eux-mêmes, n’ont jamais fait l’expérience de l’amour inconditionnel ? Par ailleurs, les religions incitent à des pratiques qui vont à l’encontre du respect des enfants. Alice Miller fait par exemple référence à la circoncision. Pour creuser le sujet, je vous invite à lire le livre d’Olivier Maurel sur la religion chrétienne : Vingt siècles de maltraitance chrétienne des enfants (éditions Encre étole)

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Source : La Connaissance interdite – Affronter les blessures de l’enfance dans la thérapie de Alice Miller (éditions Flammarion). Disponible en médiathèque, en librairie ou sur internet.

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