La nature de la violence chez les élèves

violences des élèves

Daniel Favre est professeur des universités en sciences de l’éducation. Il travaille depuis des années sur la violence des élèves et la manière de la transformer. Dans le livre Transformer la violence des élèves, il raconte les expériences qu’il a menées dans différents établissements scolaires en France, en Suisse ou au Québec. Ces expériences ont consisté en des ateliers proposés à des collégiens identifiés pour des faits de violence et en des ateliers de formation proposés aux enseignants.

Daniel Favre en a tiré quelques enseignements au sujet de la nature de la violence des collégiens :

  • La majorité des adolescents violents présente un état anxieux et dépressif.
  • En situation de frustration, ils traitent l’information de manière dogmatique (la pensée dogmatique est le contraire de la pensée ouverte et critique).
  • Ils semblent coupés de leurs émotions, tendance plus marquée chez les garçons que chez les filles.
  • Ces élèves sont peu préparés à affronter la déstabilisation cognitive présente dans tout apprentissage (peur d’échouer, peur de faire des erreurs, peur de se trouver vulnérables en laissant voir qu’ils ne savent pas ou ne comprennent pas…).
  • Ces adolescents ne savent pas faire face à la rencontre des individus différents d’eux (en pensée, en mode de vie, en comportement…).

 

Des axes de prévention de la violence des élèves

Daniel Favre estime que les axes à développer auprès des collégiens se jouent autour de :

  • L’intelligence émotionnelle

Favre rappelle que la coupure émotionnelle s’oppose à l’empathie et se traduit par une coupure par rapport aux autres.

Plus un élève manifeste d’empathie, moins il manifeste de violence et vice versa.

Un enfant ou un adolescent coupé de ses émotions est incapable de se représenter ce qu’il ressent dans son corps, ce qu’il ressent comme émotion, ce qu’il pense mais aussi ce que les autres pensent et ressentent.

L’élève coupé de ses émotions se méprend sur les intentions des autres en les ramenant systématiquement à une attaque contre lui. Il se sent donc fatalement attaqué et en devoir de se défendre.

Un élève coupé de ses émotions peut aussi commencer à avoir peur des autres puisqu’il ne les comprend pas.

Les comportements violents risquent de devenir une solution pour exorciser la peur et, dans ce cas, la coupure émotionnelle supprime le frein naturel que constituent la contagion émotionnelle ou l’empathie. Les auteurs de violence, privés de la représentation de ce que l’autre ressent, deviennent ainsi beaucoup moins enclins à s’arrêter. – Daniel Favre

La violence peut même devenir une source d’excitation plaisante que ces adolescents ont du mal à se procurer autrement (par exemple, à travers des actions créatives, des réussites, des signes de reconnaissance positifs…). Ils peuvent même devenir dépendants à la violence (qui leur fournit une impression de pouvoir, de reconnaissance, de contrôle, de puissance).

Un déficit d’intelligence émotionnelle ne se manifeste pas seulement par une coupure émotionnelle mais également par une difficulté (voire impossibilité) à réguler la contagion émotionnelle. La contagion émotionnelle pose problème quand l’ambiance influence les individus au point qu’ils ne s’autorisent pas des émotions propres pour la seule raison que ces émotions vont à l’encontre du groupe (au risque de l’exclusion).

 

  • Le traitement dogmatique des informations

Une pensée dogmatique est caractérisée par quatre postures :

  • l’élève a recours à l’implicite pour s’exprimer (il a du mal à s’expliquer, à donner des définitions, à classifier, à trouver des mots justes),
  • ce que l’élève dit a valeur de vérité absolue et ses jugements sont définitifs (il ne pose pas – ou peu – de questions, il ne formule pas d’hypothèse potentiellement questionnable et fausse, il a du mal à émettre des jugements provisoires),
  • l’argumentation ne vise qu’à prendre en compte les faits et informations qui confirment l’a priori personnel en négligeant tous les autres (les contre exemples sont écartés, la remise en contexte est impossible),
  • les généralisations sont abusives (avec des mots comme toujours, jamais, tous/ toutes…),
  • l’élève violent occulte ses sensations et ses propres émotions mais les extériorise en les projetant sans s’en rendre compte sur les autres, voire sur des objets (le “je” disparaît au profit de l’autre – “il m’a cherché” – ou du groupe).

 

  • Un changement de paradigme au sujet de l’erreur

Daniel Favre insiste sur le fait de décontaminer l’erreur de la faute dans les apprentissages. Il rappelle que chacun (adultes et enseignants y compris) est vulnérable dans un apprentissage car la déstabilisation cognitive et affective que provoque tout apprentissage conduit à rencontrer l’erreur et le risque de doute sur soi.

Favre souligne l‘injonction paradoxale à laquelle les élèves sont soumis : les enseignants leur disent qu’ils sont à l’école pour apprendre et que les erreurs font partie de l’apprentissage mais, en même temps, les erreurs sont décomptées lors des évaluations et sont sources de punition (dans la famille) puis d’exclusion lors de l’orientation scolaire.

Il est indispensable de remettre les apprentissages au coeur de l’école plutôt que les notes. Les enseignants, en tant que personnes, peuvent changer leur propre relation à l’erreur et fournir aux élèves un modèle d’adultes qui donnent envie aux enfants et adolescents de grandir (reconnaître ses propres erreurs et les donner à voir, chercher des contre exemples, percevoir l’erreur comme de l’information, formuler de nouvelles hypothèses à partir des erreurs et les formuler à haute voix…).

 

Des antidotes à la violence des élèves

Daniel Favre envisage la perspective d’un nouveau pouvoir personnel donné aux élèves violents : l’affirmation de soi non affaiblissante pour autrui. 

  • La pensée ouverte

La violence se nourrit et croît plus facilement dans la pensée dogmatique où implicite, certitude et projection s’engendrent mutuellement, accompagnés par l’émotion grisante d’être dans la vérité. L’éducation à la pensée ouverte peut constituer un bon antidote. – Daniel Favre

La pensée ouverte sollicite la prise de conscience et de distance. Elle peut passer par :

60 questions pour entraîner l'esprit critique des enfants et adolescents

Une éducation favorisant le développement d’une sensibilité à l’activité de sa propre pensée est possible et efficace. L’école peut développer la pensée ouverte pour interrompre l’amplification émotionnelle liés aux généralisations abusives et résister aux phénomènes de contagion émotionnelle.

Par exemple, enseigner la pensée ouverte peut passer par le fait d’éviter les généralisation en évitant les mots toujours, jamais, tous/ toutes les… Plutôt que dire “Je n’arrive jamais à me contrôler”, on peut enseigner à un élève à penser “C’est vrai que souvent, je n’arrive pas à me contrôler mais quelques fois, maintenant, j’y arrive !”.

 

  • L’alphabétisation émotionnelle

L’alphabétisation émotionnelle passe par le fait de connaître toutes les dimensions de l’émotion :

  • les sensations corporelles,
  • la nature de l’émotion,
  • l’intensité de l’émotion,
  • les pensées et la petite voix,
  • les tendances à l’action (les comportements).

Une fois ces dimensions connues, il est possible de fournir des mots aux élèves pour les identifier (pour eux en discours interner) et les exprimer (aux autres avec des mots prononcés).

Les élèves sont capables, avec de l’entraînement, de progresser en intelligence émotionnelle :

  • reconnaître les sensations corporelles annonciatrices d’émotions,
  • identifier la petite voix qui leur parle (“des petites voix dans ma tête me disent…”),
  • se sentir responsables de leurs émotions et de leurs comportements (ce n’est pas l’autre qui cherche ou ce n’est pas le groupe qui oblige à agir ainsi),
  • exprimer ce qu’ils ressentent avec un vocabulaire adéquat (la bonne émotion ressentie avec la bonne intensité),
  • parler avec des messages Je (plutôt que dire “c’est l’autre qui…”),
  • trouver des solutions (parler à l’autre, s’éloigner, chercher de l’aide…).

 

  • Dépasser la peur de l’erreur

Se tromper reste toujours possible et c’est heureux puisque la science n’avance que par rectification d’erreurs. – Gaston Bachelard

Dépasser la peur de l’erreur, c’est cultiver le doute et la critique, c’est donner le droit d’essayer et d’échouer, c’est voir l’erreur et l’échec comme une partie du chemin

Daniel Favre croit beaucoup au rôle des enseignants : les enseignants sont faillibles et doivent en tirer profit pour mener les élèves sur le chemin de l’apprentissage. Il invite les enseignants à travailler leur propre relation à l’erreur et les valeurs qui s’y rattachent afin de constituer un changement culturel qui se propagera aux élèves et aux parents.

Ce changement de paradigme au sujet de l’erreur va de pair avec un changement de posture au sujet de l’autorité et de la discipline.

Pour aller plus loin : Enseignants efficaces (Thomas Gordon) : enseigner et résoudre les conflits avec bienveillance

 

  • Un changement de valeurs

Prévenir la violence correspond à la mise en place d’une culture où le renforcement de l’existence de l’autre, en particulier des élèves, est plus importante que leur affaiblissement. Il s’agit de distinguer les valeurs collectives qui visent l’affaiblissement mutuel de celles qui visent la coopération donc le renforcement mutuel. – Daniel Favre

Ces valeurs de solidarité et de coopération passent en partie par la formation des enseignants et des personnels encadrants.

Il parait difficilement envisageable de stimuler l’intelligence émotionnelle des élèves en n’ayant pas travaillé sa propre intelligence émotionnelle.

Il paraît difficilement envisageable de stimuler la coopération dans une pédagogie qui reste magistrale où les relations élèves-enseignants se résument soumission-domination.

Il paraît difficilement envisageable de dépasser la peur de l’erreur quand un enseignant ne donne jamais à montrer qu’il est lui même faillible, qu’il est plus chercheur que savant, qu’il peut rire de lui-même quand il se trompe.

Mais les enseignants ne sont pas hors sol. Ils s’inscrivent dans un système éducatif et une société portée par des valeurs liées à l’ordre, à la compétition, au mérite, à la lutte contre le laxisme, à la nostalgie de la tradition, à la sécurité.

Daniel Fravre nous invite tous et toutes à nous demander :

Suis-je un adulte qui donne envie à un adolescent de mûrir ? 

Rendons-nous service aux jeunes en cherchant à les adapter à une société dépressive faute de sens et donc vulnérables à la tentation de chercher des solutions dans le passé ?

 

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Source : Transformer la violence des élèves de Daniel Favre (éditions Dunod)

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