Existe-t-il de bonnes fessées ?

Je vous propose aujourd’hui une conférence de Brigitte Oriol, psychothérapeute. Elle y aborde le thème de la maltraitance dans un sens très large, et plus particulièrement celui de la fessée. Cette conférence dure plus d’une heure et je vous en propose un résumé des grandes lignes ci dessous.

Et pour poser le décor… non, il n’y a ni petite ni bonne fessée. Brigitte Oriol développe pourquoi la fessée est néfaste, pourquoi les résistances à son abandon sont si tenaces et comment mettre un terme à la violence éducative.

Comment définir la violence éducative ordinaire ? 

Brigitte Oriol utilise le mot maltraitance pour désigner toutes les méthodes éducatives qui touchent l’intégrité de l’enfant. Je lui préfère quant à moi l’expression Violence Educative Ordinaire (VEO). La VEO va bien au-delà de la maltraitance visible et prise en compte par la justice. Elle inclue les fessées, les claques, les punitions, les humiliations, le coin et l’isolement, les brusqueries, les hurlements sur l’enfant, le chantage ou les menaces.

Les parents ne voient en général pas la maltraitance dans les fessées, les claques ou les tapes sur la main car ces gestes sont assimilés à de l’éducation.

La nature humaine est bonne et l’enfant ne naît pas mauvais: c’est justement la violence éducative, les mauvais traitements et les humiliations qui contribuent à transformer l’enfant en individu perturbé.

La violence éducative ordinaire prétend enseigner les bonnes manières à l’enfant (comme la morale ou la politesse) en recourant à des moyens violents. Brigitte Oriol reprend le terme d’Alice Miller pour désigner ce phénomène : “pédagogie noire” (je développe cette notion dans cet article).

La pédagogie noire est l’abus de pouvoir de l’adulte sur l’enfant et reflète les méthodes avec lesquelles nos propres parents, nos grands-parents et les générations précédentes ont été éduqués.

Une loi contre la fessée ?

Les neurosciences ont prouvé par l’imagerie cérébrale ce qui se passe dans le cerveau de l’enfant quand il subit une fessée ou toute autre forme de violence éducative. La peur et le stress qui en résultent ont des effets dommageables sur le développement du cerveau (voir cette vidéo pour les explications neuroscientifiques).

Pourtant, les parents en France ont peu accès à ces données scientifiques. Par ailleurs, ils disposent de peu d’aide pour se faire épauler, pour parler et pour prendre connaissance d’outils éducatifs non violents.

La loi contre les violences éducatives (VEO) étant passée le 22 décembre 2016, il s’agit maintenant d’éveiller les consciences sur les méfaits des VEO.

Le deuxième alinéa de l’article 371-1 du Code civil a été complété par les mots : « et à l’exclusion de tout traitement cruel, dégradant ou humiliant, y compris tout recours aux violences corporelles ». Avec cette loi, la France est devenue le 52ème pays du monde à abolir les violences faites aux enfants.

Cette loi doit par ailleurs être l’occasion de lancer des campagnes d’informations (dans les maternités par exemple) ou de publications dans les carnets de santé, à la fois sur les méfaits de la VEO et sur des outils pour éduquer sans violence.

Pourquoi une telle résistance à la suppression de la fessée ?

Les personnes qui s’insurgent contre la loi loi anti-fessée justifient à la fois les coups reçus (je l’avais bien mérité, ça m’a remis dans le droit chemin, j’en suis pas mort, je ne suis pas traumatisé) et les coups donnés (mon enfant m’avait cherché, il me teste, il a besoin de limites, si vous aviez le même enfant que moi, vous ne pourriez pas faire autrement que moi de toute façon). 

Cette résistance est dûe à plusieurs facteurs :

  • nous sommes beaucoup à avoir reçu des fessées et nous reproduisons ces gestes
    • par imitation
    • par “fidélité” : comme il nous est impossible de se dire que nos parents nous ont fait mal sous couvert de l’amour, nous sommes dans le déni du mal que nous avons ressenti et du mal que nous faisons subir à nos propres enfants quand ils reçoivent une fessée
  • la grande majorité des parents actuels et de nos parents ont utilisé ou utilisent la fessée.

Brigitte Oriol dit que ce n’est pas très glorieux de se découvrir maltraitant et que cela nous renvoie en situation du passé. Un parent qui donne la fessée et qui entend le discours anti-fessée pourtant scientifiquement fondé et dénué de jugement moral se sent pris en faute. Les discours anti-fessée se heurtent souvent à des personnes contrariées ou vexées qui ne pourront rien retenir des arguments car elles se mettent en position de défense, tel un enfant pris en faute.

Comment en arrive-t-on à nier la réalité de violence éducative ordinaire ?

Le déni de la réalité est un mécanisme de défense.  A partir du moment où un être humain se sent menacé ou en danger (par exemple un enfant face à une main levée ou un hurlement), il met en place ce mécanisme de défense et se coupe de son état de peur. L’occultation des mauvais traitements subis est une stratégie de survie.

Par nature et pour une question de survie, un enfant ne peut pas se sentir en danger avec ses parents donc il préfère se couper de lui-même. Le déni sauve la vie des enfants victimes de violence éducative.

Mais la persistance de ce déni dans la vie adulte empêche de vivre une vie sereine, équilibrée et empathique.

Un parent qui a reçu des fessées enfant n’en donnera pas à ses propres enfants si et seulement s’il a pris conscience de la douleur ressentie alors. C’est quand une personne reconnaît les mauvais traitements ou les carences affectives dont elle a été victime qu’elle pourra éviter ce sort à ses enfants et se mettra en recherche d’informations et de ressources alternatives.  Or ce travail sur soi est extrêmement douloureux car c’est reconnaître que les parents ont pu tromper et faire mal.

Pleurs, caprices et fessée méritée ? 

Les parents qui recourent à la fessée la justifient par le fait que les enfants sont insupportables, les testent, les poussent à bout, ne font que pleurer ou réclamer de l’attention.

Mais l’enfant est totalement dépendant de ses parents et a un besoin vital de contact, de proximité physique et de compréhension de la part de ses parents. Quand l’enfant est en situation de détresse, d’alarme, de peur ou de stress (par exemple suite à une longue journée en collectivité), il se met à pleurer ou à réclamer de l’attention de la part de ses parents dont le rôle est de le protéger, de lui accorder de l’attention et de le comprendre.

>>>Voir cette vidéo pour plus de détails au sujet de l’attachement.

Les crises des enfants ne sont pas des caprices mais seulement le reflet de 2 choses : l’immaturité du cerveau des enfants et son besoin vital d’attachement. L’enfant ne fait pas exprès de s’enrager : il ne peut pas agir autrement pour dire à ses parents qu’il a besoin d’être rassuré par la présence de ses parents.

Quand les parents prennent les pleurs de détresse, de décharge de stress ou de demande de contact pour de la manipulation, ils commencent à ne plus écouter leur instinct. En conformité avec ces croyances, ils commencent à ne pas répondre aux pleurs, voire à taper face à ce qui est considéré comme un caprice.

5 conséquences de la violence éducative ordinaire 

Les croyances éducatives traditionnelles affirment que les fessées n’ont pas de conséquences néfastes, qu’elles ont au contraire des vertus éducatives et servent à faire filer l’enfant droit.

1. Dysfonctionnement du système émotionnel

Or l’éducation par la violence éducative ordinaire, et notamment la fessée, n’éduque pas mais crée des blocages émotionnels car l’enfant est obligé de se couper de ses émotions, de son monde interne. Il apprend à faire dysfonctionner son système émotionnel.

L’enfant ne pourra plus se fier à ses sentiments, ses émotions et ses sensations puisqu’il aura entendu qu’il n’a aucune raison de pleurer pour si peu, que par contre son parent va lui donner une bonne raison de pleurer, qu’il n’a pas mal après être tombé, qu’il n’a pas le droit d’avoir envie de bonbons…

L’enfant perd la réceptivité à ses signaux d’alerte qui sont censés le guider dans sa vie : il perd sa boussole. Si l’enfant apprend que les sentiments et les émotions n’ont aucune importance et qu’il faut obéir aux adultes dans tous les cas, les résistances intérieures et profondes, de même que les intuitions, seront ignorées par l’enfant en cas de danger sans adulte référent “qui sait mieux ou qui sait pour lui”.

 

2. Apprentissage de la violence comme un modèle de relation sain

Quand on interagit avec violence (physique ou verbale) avec un enfant, l’enfant enregistre cette violence comme un mode de relation bon et sain. Ce mode de relation ne peut être que bon puisque ce sont ses parents qui le lui ont offert. L’enfant ne peut pas s’imaginer que ses parents lui font du mal puisqu’ils lui font croire que cette violence est pour son bien. Ce serait trop douloureux pour l’enfant de se rendre compte que ses parents sont capables de lui faire du mal et de constituer un danger pour lui.

Quand l’enfant emmagasine trop de stress, il va devoir le relâcher à un moment et notamment avec des plus faibles qui lui font moins peur que ses parents.

 

3. Répercussions dans la vie adulte

  • Expressions psychosomatiques

Les situations d’impuissance ou de danger du passé peuvent se retrouver dans le présent de l’adulte, par exemple dans des expressions psychosomatiques. Un enfant qui a été enfermé dans un placard enfant et qui a refoulé ce souvenir (il ne s’en rappelle pas de manière consciente une fois arrivé à l’âge adulte) peut souffrir de claustrophobie dans l’âge adulte sans comprendre l’origine de cette phobie. Un adulte à qui les parents ont répété avec dureté “on ne répond pas à ses parents” pourra souffrir de sidération chaque fois que quelqu’un l’intimide.

Voici le processus qui empêche à une violence ou une menace d’être encodée et traitée par le cerveau comme une situation autobiographique : le cerveau ne peut pas décoder ce qui se passe quand on vit une agression.

violence éducative ordinaire

  • La violence comme seul mode d’expression et de communication

Dans une crise de violence, on peut devenir aussi méchant que nous avons eu peur face aux agressions des adultes qui nous entouraient enfants. On attend le moindre faux pas de l’autre (enfants, conjoint, amis, collègues, connaissances virtuelles…) pour décharger sur eux tout ce que l’on a accumulé jadis sans rien dire.

Brigitte Oriol affirme que plus on est capable de s’énerver contre nos enfants, plus on a eu peur enfants, plus on s’est senti en danger avec nos propres parents (ou toute autre personne qui s’est occupé de nous enfants). On va maquiller cette violence en amour ou en nécessité d’éduquer et c’est ce maquillage qui va permettre de prôner l’éducation à la baguette.

 

4. Perte des repères innés nécessaires à une vie équilibrée

Brigitte Oriol cite 3 repères innés nécessaire à la survie et à une vie équilibrée qui sont perturbés par une éducation par la fessée (et tout autre forme de VEO) ;

A. Le besoin d’attachement

Les êtres humains sont programmés pour chercher la proximité d’un adulte autour d’eux en situation de détresse pour les rassurer tout au long de leur vie (bébé, enfant, adolescent et même une fois adulte, nous recherchons autour de nous compréhension, soutien et contact en cas de problème).

La satisfaction du besoin d’attachement joue un rôle fondamental dans notre perception de la relation à l’autre (j’ai confiance en l’autre en cas de problème) et dans la construction de notre estime de soi (j’ai de la valeur, je peux m’affirmer sans m’imposer).

B. La sauvegarde

En cas de stress, nous sommes programmés pour plusieurs options : s’immobiliser (faire le mort pour ne pas attirer l’attention), fuir ou attaquer. C’est grâce à la production d’hormones dans notre organisme (adrénaline et cortisol) que ces comportements de survie sont déclenchés. Or un enfant tapé ou menacé par ses parents ne peut ni prendre la fuite, ni se défendre. Les hormones déchargées dans l’organisme deviennent alors inutiles et attaquent l’organisme vu qu’elles ne peuvent pas jouer leur rôle normal (voir le schéma ci-dessous : risque de crise cardiaque).

C. L’imitation

Le cerveau comporte des neurones miroir qui s’activent quand nous observons quelqu’un agir. Quand les neurones miroir s’activent, le cerveau a l’impression que nous sommes nous-mêmes en train de faire l’action, pas seulement la regarder.

Quand l’enfant voit ses parents taper, ses neurones miroir s’activent. Frapper un enfant, c’est d’abord lui apprendre à frapper.

 

5. Une société empreinte de violence et amputée de liens empathiques

Ce sont donc bien les coups, les humiliations, les punitions ou encore l’isolement qui pervertissent la nature bonne de l’enfant. C’est toute la société qui paie le prix de la violence éducative ordinaire, que ce soit par le manque d’affirmation de soi de certains individus ou au contraire leur rigidité, par la violence comme mode de relation, par l’apparition de problèmes psychosomatiques, ou encore par la transformation de certains individus perturbés en criminels.

La violence éducative ordinaire fabriquent de véritables handicaps relationnels qui nous empêchent certains de se défendre dignement quand ils en ont besoin, d’autres de garder leur sang froid ou encore de s’exprimer avec affection avec les autres.

Comment sortir de la violence éducative ordinaire ?

Il est impossible d’avoir cette écoute, cette patience, cette disponibilité 24h/24. Ce n’est pas un hasard si un proverbe africain affirme qu’il faut tout un village pour élever un enfant.

  • Connaître les besoins et le fonctionnement des petits

Il n’y a pas plus épuisant que les alertes émotionnels de nos bébés et de nos enfants mais le simple fait de savoir comment fonctionne les enfants permet déjà d’envisager de passer le relais quand on sent qu’on va craquer plutôt que prendre le risque de s’énerver ou encore de réparer la relation si on est passé à l’acte.

Savoir que la nature de l’enfant est bonne et comprendre les besoins d’attachement prévient les pensées du type “il me cherche”, “il me teste”, “il le fait exprès”.

l'enfant est bon

 

  • Comprendre et accueillir la souffrance et les émotions de l’enfant

L’écoute active par miroir est ce dont l’enfant a besoin. Souvent, cette écoute empathique suffit à désamorcer les crises car le besoin d’attachement et de compréhension de l’enfant est comblé.

Par exemple, face à un enfant qui vient nous voir en disant que sa mère lui a donné une claque, on pourrait essayer de comprendre ce que l’enfant a vécu plutôt que lui dire qu’elle était méritée :

Tu as eu mal, ça a dû être douloureux. Tu as eu peur ? Tu en veux à maman car tu trouves que c’est injuste ? Tu veux un câlin ?

 

  • Provoquer une dialogue avec l’enfant

Pour Brigitte Oriol, les parents devraient trouver le courage d’avouer leurs fautes à l’enfant. Dans un véritable dialogue, on pourrait dire :

On t’a battu car nous aussi avons été battus. Nous pensions que c’est cela qu’il fallait faire. Mais maintenant, nous savons que nous n’aurions jamais dû nous autoriser à faire cela et nous sommes désolés de l’humiliation et des douleurs que nous t’avons infligées. Nous ne recommencerons pas. 

Si on pense qu’on ne sera pas capable de se maîtriser, on peut ajouter :

Je me rends compte que j’ai tendance à lever la main quand je suis énervé(e). J’ai besoin que tu me dises : – STOP, j’ai peur

L’honnêteté des parents aura un effet libérateur sur l’enfant. Comme il apprend de l’attitude de ses parents, il n’y a que des effets positifs à attendre de telles paroles. En effet, ce sont seulement les blessures refoulées qui provoquent des comportements perturbés.

En revanche, il ne s’agit pas d’attendre un pardon de la part de l’enfant car le but n’est pas de se libérer de notre culpabilité mais de réparer la relation sans rien faire porter à l’enfant.

 

  • Accepter que le fait de perdre les habitudes de violence éducative prend du temps et peut être douloureux

La violence éducative ordinaire n’est pas normale mais elle est guérissable. Cela demande du temps car cela nécessite de revenir sur ses blessures passées, d’ouvrir les yeux sur ses propres parents et de consoler son enfant intérieur.

Je vous propose plusieurs articles pour amorcer ce travail sur soi :

4 pistes pour amorcer un travail sur soi

Emotions, colère, culpabilité : 3 exercices pour travailler sur notre histoire en tant que parents

5 étapes pour guérir son enfant intérieur

 

  • Demander (ou accepter) de l’aide

Demander de l’aide ne veut pas dire être incompétent. C’est une preuve de courage et il est difficile de sortir de la violence éducative ordinaire sans soutien.

Cela peut prendre plusieurs formes :

– des amis ou de la famille

– des ateliers de soutien à la parentalité

– des groupes de soutien sur Internet

– un suivi psychothérapeutique

– une visite à la PMI ou dans une maison des enfants (comme la maison verte à Paris)

– une baby sitter : un temps à vous pour souffler, vous changer les idées, penser à vous, combler vos besoins non assouvis

– l’intervention d’un TISF à domicile (Technicien d’intervention sociale et familiale)

 

  • “S’outiller” avec des nouvelles manières de communiquer et de vivre avec nos enfants

Je conclurai en disant que l’éducation bienveillante (ou non violente, ou positive, ou consciente… quel que soit le nom qu’on lui donne) n’est pas une méthode mais une philosophie, une pensée à incarner. Il existe des outils et des ressources dont on peut prendre connaissance et que chacun adaptera… il n’y a pas de recette miracle à appliquer par tous les parents qui deviendraient alors des robots déshumanisés.

Par ailleurs, les enfants ont besoin de parents authentiques, pas de parents parfaits. Jesper Juul écrit que les enfants savent très bien ce que c’est d’être irrationnel et qu’ils ne profiteront aucunement d’être avec des adultes qui essaient d’être différents de ce qu’ils sont vraiment. Il propose même l’instauration dans la déclaration des droits de l’enfant que les enfants puissent exiger un accompagnement régulier avec des adultes qui ne se prétendent pas surhumains.

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Source vidéo : Conférence de Brigitte Oriol : Y-a-t-il de bonnes fessées ? (février 2013)