Pourquoi les enfants mentent-ils ?
Dans son livre Une nouvelle autorité sans punition ni fessée, Catherine Dumonteil-Kremer propose quelques pistes pour aborder les mensonges des enfants avec bienveillance.
4 raisons aux mensonges des enfants
Pour Catherine Dumonteil-Kremer, il existe deux raisons qui expliquent pourquoi les enfants mentent :
- une tentative d’auto-thérapie
Dans ce cas, l’enfant qui ment réécrit son histoire telle qu’il la voudrait. Par exemple : un enfant dont les parents sont séparés qui affirme “Mes parents sont heureux avec moi, et tous les week-ends nous partons à la campagne avec mon chien” peut essayer de transformer sa réalité comme moyen d’exprimer ses besoins insatisfaits.
Les mensonges de ce type permettent à l’enfant de se procurer par l’imagination ce qu’il lui manque dans la réalité. Les mensonges sont des vérités sur les peurs et les espérances des enfants. Si le parent envisage le mensonge de cette manière, il pourra comprendre ce que l’enfant aimerait faire/être/avoir.
L’écoute active peut dans ce cas permettre d’engager la discussion avec l’enfant en souffrance pour lui permettre de libérer ses émotions douloureuses : “Tu aimerais bien partir en vacances avec tes deux parents. Cela te ferait vraiment plaisir de passer du temps en famille comme avant. Et ce serait encore mieux avec un chien, comme les familles qu’on voit dans les films parfois.”
- une crainte des réprimandes
Jane Nelsen le dit bien avec la formule des 4R de la punition qui poussent les enfants à mentir par peur de la punition.
1. La Rancoeur
Les enfants punis peuvent estimer que d’une part la punition n’est pas juste et d’autre part ils ne peuvent pas faire confiance aux parents.
2. La Revanche
Les enfants punis auront envie de gagner à la prochaine confrontation pour rééquilibre le jeu de pouvoir.
3. La Rébellion
La plupart des enfants punis refusent la soumission. Ils ont alors à cœur de prouver aux adultes que ces derniers ne peuvent pas les obliger à faire ce qu’ils veulent.
4. Le Retrait
Le retrait peut s’exprimer sous deux formes :
- l’élaboration de stratégies du « pas vu, pas pris »
- la baisse de l’estime de soi : « Je ne vaux rien, je suis méchant, je suis nul, je mérite de souffrir voire de mourir ».
On pourrait ajouter deux autres raisons qui expliquent les mensonges des enfants :
- la honte
Christophe André écrit que, comme toutes les émotions, la honte a une fonction : elle nous sert à ne pas oublier que, pour avoir sa place dans un groupe humain, il y a des règles et des standards à respecter. A petites doses adaptées, la honte peut m’empêcher des commettre des actes antisociaux : mentir, trahir, voler, rudoyer les faibles, récidiver.
La honte peut également faire anticiper les rejets par les autres.
La honte est toujours une honte de soi (c’est soi-même que l’on rejette) et la honte est une émotion visuelle (on se représente inlassablement la scène en imagination).
La honte est liée à la qualité de l’estime de soi et du sens de la responsabilité individuelle. Un enfant qui a une estime de soi saine n’aura pas peur de perdre sa valeur inconditionnelle en tant qu’être humain en racontant une faute ou un acte dommageable. De même, un enfant qui a un sens de la responsabilité individuelle fort sait agir en fonction de ce qui est juste et est capable de surmonter la honte.
- l’âge
Vers 6/7 ans, les enfants sont en plein dans l’âge de l’imaginaire. Les enfants de cet âge vont avoir tendance à jouer avec l’imaginaire et à ne pas toujours faire la distinction entre réel et imaginaire. Ils donnent le même niveau de réalité à leurs histoires inventées qu’aux faits réels.
Par ailleurs, les jeunes enfants n’ont pas la maturité cérébrale nécessaire pour pouvoir dire la vérité (il leur est par exemple difficile de se situer dans le temps et l’espace). Tout ce qui n’est pas vrai aux yeux des parents n’est pas forcément un mensonge de la part de l’enfant.
9 pistes pour réagir aux mensonges des enfants
1.L’écoute active et la confiance
Dans l’écoute active, le parent essaie de comprendre ce que ressent l’enfant, de saisir ce que son message veut dire. Ensuite, le parent transforme sa compréhension dans ses propres mots et retourne le message à l’enfant pour vérification.
Le plus important pour le parent est de transmettre son propre message « décodé » sans évaluation, sans opinion, sans conseil ni raisonnement ou encore analyse. Il retourne seulement ce qu’il pense être le sens véritable du message de l’enfant : rien de plus, rien de moins :-).
L’objectif de l’écoute active est d’aider l’enfant à en dire plus, à approfondir, à mieux développer sa pensée.
L’écoute active nécessite un ensemble d’attitudes pour qu’elle soit efficace. On doit vouloir :
- prendre le temps d’écouter ce que l’enfant veut dire
- aider l’enfant à résoudre son problème sans conseiller ni raisonner ou encore imposer sa propre solution
- accepter les sentiments de l’enfant sans imposer ce qu’il « devrait » ressentir
- faire confiance aux capacités de l’enfant à réfléchir et trouver ses propres solutions
- comprendre que les émotions évoluent (il n’y a pas lieu de s’effrayer des émotions qui sont exprimés car elles ne sont pas permanentes… elles passeront d’autant plus facilement qu’elles seront entendues, accueillies et comprises)
- voir son enfant comme une personne différente de soi : on se met dans la peau de l’enfant pour comprendre son ressenti, sa vision des choses, sa perception de la réalité pour la lui refléter en miroir.
- accepter de changer nos opinions et nos attitudes : adopter le point de vue de l’enfant peut nous amener à redéfinir notre propre manière de voir les choses.
L’écoute active peut passer par des expressions du type :
Tu sembles (fâché contre)…
Tu es tellement (en colère) que tu as envie de…
Tu n’aimerais pas…
Tu aimerais mieux…
Tu crois que…/ Tu as cru que…
Tu as l’impression que…
Tu te sens…
Quelque chose (te fait peur/ te met en colère/ te rend triste), c’est ça ?
C’est vraiment…. qui (te fait peur/ te met en colère/ te rend triste) ?
Tu en as assez de…
Tu aimes vraiment… ? / …, ça te plait beaucoup, on dirait.
Tu as peur de…
Tu es déçu de…
Tu veux dire que…
…., c’est ça qui t’embête ?
Tu n’as pas assez de temps pour…
Ça doit être (douloureux/ gênant) de…
Tu as ressenti (de la honte/ de la peine/ de la peur/ de la colère) ?
Tu te demandes pour quelle raison….
Il te semble (difficile/ risqué) de…
Faire comme ça/ comme ci ne te donne pas ce que tu voudrais
2.Les messages-Je
Quand un parent communique le sentiment que provoque chez lui le comportement de son enfant qui va à l’encontre de ses besoins, le message est en général un « message-je » (« je n’ai pas envie de jouer quand je suis fatigué », « j’ai peur que nous ne soyons pas prêts à temps », « je n’aime pas quand on tire sur ma manche »).
Les « messages-je » s’opposent aux « messages-tu » qui sont orientés vers ce que l’autre fait de mal (« tu ne devrais pas faire ça », « tu es insupportable », « tu ne respectes rien »).
L’important est de mettre l’accent sur nos sentiments, nos émotions et de décrire la situation sans jugement.
Voici quelques exemples de message je :
Je suis très inquiète et j’ai peur quand tu….
Je suis (terriblement) déçu.
Je suis vraiment découragé quand je vois le salon dans un tel désordre.
Je suis surpris que tu n’aies pas effectué ta part du marché.
Je crains que tu sois malade si tu manges trop de chocolat.
3.La résolution de conflit gagnant-gagnant
La solution gagnant gagnant est une méthode sans perdant. Les conflits sont résolus sans que personne ne perde : la solution trouvée doit être acceptable pour les 2. Face à un même problème, différentes familles se mettront d’accord sur différentes solutions acceptables par tous les membres de la famille.
Les enfants sont motivés pour appliquer la solution car ils ont participé à son élaboration.
Il y a de plus grandes chances de trouver une solution de bonne qualité. En coopérant, parents et enfants trouvent des solutions originales aux quelles ils n’auraient pas pensé seuls.
Les enfants sont encouragés à penser, à imaginer, à raisonner, à se mettre à la place des autres, à faire preuve de créativité.
Le niveau d’hostilité et les jeux de pouvoir diminuent. Les relations familiales sont consolidées et un climat plus serein apparaît.
Les rappels, les réprimandes et les mises en garde disparaissent quasiment.
L’approche gagnant gagnant plait aux enfants car ils sont traités comme des adultes
Les 6 étapes de la méthode sans perdant :
- Première étape : identifier et définir le conflit
- Deuxième étape : énumérer les solutions possibles
- Troisième étape : évaluer les solutions énumérées
- Quatrième étape : choisir la solution la plus acceptable
- Cinquième étape : établir les moyens d’appliquer la décision
- Sixième étape : réviser et réévaluer la décision
4.Des attentes claires et respectueuses en langage positif
Une attente claire et respectueuse laisse peu d’espace d’interprétation et donc d’incompréhension. Utiliser un langage positif d’action, c’est faire en sorte de donner des consignes positives à l’enfant qu’il va pouvoir respecter (au lieu d’expliquer ce que je veux qu’il ne fasse pas).
Les formulations positives permettent de transformer les interdits en consignes, en règles.
5.L’imagination et l’humour (la parentalité ludique)
La discipline telle que le conçoit la parentalité ludique est une occasion de renforcer les liens entre parents et enfants, au lieu d’élever des murs de plus entre eux.
Lawrence Cohen, créateur du concept de parentalité ludique, considère la plupart des comportements inappropriés comme des symptômes de problèmes d’attachement. C’est la base de son concept de parentalité ludique.
Au lieu de punir un enfant, au risque de créer une plus grande rupture encore, il est préférable de réfléchir à un moyen de restaurer l’attachement.
L’humour permet de faire passer les enfants de la colère à la joie en quelques instants seulement. Plus c’est rigolo, plus c’est farfelu, plus ce sera efficace pour surmonter les crises ou les blocages des enfants. Par ailleurs, ce qui est drôle et inattendu est mémorisé plus facilement. Un message passé avec humour vous facilitera la vie aujourd’hui mais aussi les jours suivants car il présente deux avantages :
- défaire les résistances des enfants,
- ancrer le message dans leur mémoire.
Le recours à l’imagination permet par ailleurs de reconnaître les désirs de l’enfant (par exemple s’il veut un nouveau jouet, des bonbons, une glace…) sans pour autant accéder à la demande.
Il s’agit simplement de prendre contact avec notre dimension enfantine, enjouée, drôle, idiote, dingue : même les parents adultes qui se pensent dépourvus d’humour ou trop sérieux peuvent parvenir à des trésors de créativité et d’ingéniosité !
6.Les conséquences
Laisser l’enfant expérimenter les conséquences de ses actes lui permet de faire l’expérience de ses choix (sauf lorsque cela est dangereux pour l’enfant ou pour d’autres). Cela nécessite de notre part de :
- résister à la tentation de lui faire la leçon, de le réprimander ou d’entrer dans un jeu de pouvoir
- éviter « Je te l’avais bien dit ! » pour le remplacer par des phrases empathiques non jugeantes : « Tu es trempé, ça ne doit pas être agréable », « Je vois combien tu es déçue de ta note »…
- insister sur la réparation et la responsabilité quand les conséquences naturelles ne sont pas possibles (« Viens me dire quand tu es prêt à jouer à nouveau avec ce jouet sans l’abîmer et tu pourras à nouveau essayer »).
Par exemple, face à un enfant qui a pris des bonbons dans l’armoire alors que c’est interdit, un aperçu de différentes réactions possibles :
- écoute active : Tu aimes vraiment ça les bonbons ! Tu aimerais en manger toute la journée si tu pouvais, c’est difficile de résister !
- message je : J’aimerais mieux que tu n’en manges pas trop, j’ai peur que tu sois malade et je tiens à ta santé.
- résolution de conflit : Qu’est-ce qu’on pourrait faire pour que cela ne se reproduise plus ? Je vois bien que tu as une grosse envie de bonbons et moi, j’ai vraiment peur que cela nuise à ta santé.
- consigne positive d’action : Demande moi à chaque fois que tu voudras un bonbon.
- parentalité ludique : Hum, tu n’as pas pu résister aux bonbons. Allez, j’en prends un avec toi ! Dans la famille, on est gourmand de père en fils, de mère en fille ! Si je pouvais, je mangerai une tonne de bonbons… non, deux tonnes !
- conséquences : Quand il n’y en aura plus, il faudra attendre les prochaines courses. ou Je ne rachèterai pas de bonbon : si tu en veux, il faudra les acheter avec tes sous.
7.Un retour sur l’histoire personnelle
On peut également réfléchir à la façon dont on perçoit le mensonge et dont nos parents le considéraient.
- Qu’est-ce que le fait que l’enfant mente éveille en nous ?
- Nos réactions sont-elles disproportionnées ?
- Montrons-nous le bon exemple en étant honnête en toute circonstance (ex : ne pas mentir aux enfants ou les manipuler pour les faire obéir, accepter nos propres émotions et ne pas les nier…) ?
- Sommes-nous capables de nous excuser et de réparer quand nous avons nous-même fauté ?
8.L’estime de soi
Jesper Juul écrit dans son livre Voulons-nous vraiment des enfants forts et en bonne santé ? :
Un enfant fort et en bonne santé est d’abord et avant tout un enfant qui a une estime de soi saine et toute la confiance en soi que ses compétences et talents lui permettent de récolter. Avoir une estime de soi saine, c’est s’accepter, de manière sobre et nuancée, tel qu’on est. Avoir de soi une image réaliste sur laquelle on ne portera pas de jugement.
Avoir une estime de soi saine, c’est avoir le système immunitaire psychosocial le plus efficace que nous connaissons, et qui empêchera la toxicomanie, les troubles alimentaires, la scarification, le suicide et les comportements suicidaires, la criminalité, la violence et toutes les autres choses auxquelles nous espérons que nos enfants ne seront pas sujets.
Une basse estime de soi entraine des peurs, des paralysies et de la dépendance affective. L’être humain avec une faible estime personnelle n’est plus libre de son destin, mais l’esclave de la conjoncture, de circonstances et de son ego.
Une haute et stable estime de soi motive et pousse les êtres humains vers l’excellence. Les personnes qui ont une haute et stable estime de soi reconnaissent leurs qualités sans fausse modestie ni surenchère de l’égo et sont également conscientes de leurs limites.
Il est toujours temps de travailler sur l’estime de soi des enfants et des adultes. Une haute et stable estime de soi offre un refuge accueillant pour la vie entière et des ressources intérieures inépuisables (même en cas de coups durs). C’est aussi une petite voix interne qui nous parle avec bienveillance.
L’estime de soi se nourrit quotidiennement, à travers nos interactions, du sentiment d’être aimé, du sentiment d’être utile et du sentiment d’être compétent. – Marjorie Moulineuf
Pour aller plus loin : 20 phrases à dire aux enfants pour renforcer leur estime de soi
9.Le sens de la responsabilité individuelle
Développer le sens de la responsabilité individuelle des enfants leur enseigne à dire la vérité pour sa valeur en soi plutôt qu’éviter de mentir par peur de la sanction.
Jesper Juul définit la responsabilité individuelle comme la responsabilité que nous avons de notre propre vie – notre santé et notre développement physiques, psychiques, mentaux et spirituels.
C’est la responsabilité que très peu d’entre nous ont été éduqués à prendre, mais c’est la plus effective, la plus puissante que nous connaissions quand il s’agit de reconstruire ce qui a été rabougri et d’apporter de l’énergie créative à notre communauté.
Jesper Juul déplore qu’une majeure partie des conflits dans nos sociétés se déroule de manière destructive car les protagonistes ne peuvent ou ne veulent pas assumer leur responsabilité individuelle et utilisent leur énergie à se rejeter réciproquement la faute. Selon lui, cela est dû en grande partie à ce qu’il appelle une « éducation de façade » : « Pense à te comporter de façon à ce qu’on puisse voir que tu as reçu une bonne éducation ! »
L’idée d’une responsabilité individuelle à développer chez les enfants ne doit pas non plus conduire à un « désert parental » : aucun cadre, aucune limite, aucun respect, aucune considération pour autrui, incapacité à ressentir de l’empathie.
Cela consiste plutôt à se poser cette question en tant que parents :
Allons-nous élever nos enfants pour qu’ils se construisent une solide autorité intérieure qui puisse les aider à affronter leurs propres choix sociaux et existentiels ou allons-nous leur apprendre à placer toute leur foi dans une autorité extérieure de nature politique, religieuse ou philosophique ?
Des ressources pour y parvenir : Comment développer le sens de la responsabilité individuelle chez les enfants ?
……………………………………………………………………………….
Source : Une nouvelle autorité sans punition ni fessée de Catherine Dumonteil-Kremer (éditions Nathan). Disponible en médiathèque, en librairie ou sur internet.
Commander Une nouvelle autorité sans punition ni fessée sur Amazon, sur Decitre, sur Cultura ou sur la Fnac