Les conséquences des violences éducatives ordinaires (VEO)
Quelles sont les conséquences des violences éducatives ordinaires dans l’enfance, mais aussi à l’âge adulte ? Les Violences Educatives Ordinaires (VEO) sont les négligences et privations, les violences physiques, verbales ou bien psychologiques qui sont utilisées, tolérées et parfois même recommandées contre les enfants pour corriger un comportement que l’adulte juge inadapté ou inapproprié :
- Les violences physiques : fessée, gifle, oreille tirée, tape sur la main, pincement, cheveux tirés…
- Les violences verbales : cri, hurlement…
- Les violences psychologiques : chantage, menace, moquerie, dénigrement, humiliation, culpabilisation, retrait d’amour, menace d’abandon, isolement…
- Négligences et privations : privation de nourriture, de soins, d’affection, absence de communication…
Ces différentes formes de violences dites “éducatives” sont utilisées par de nombreux parents qui ne se rendent pas compte des impacts de ces violences et qui les prennent pour des mesures éducatives appropriées, normales, indispensables même parfois pour éviter que l’enfant ne tourne mal.
Quelques chiffres pour la France d’après des données de 2016 (source) :
- 22,4% des adultes ont subi des violences physiques dans l’enfance.
- 36,3% ont subi des violences psychologiques et 16,3% des négligences graves.
- 87 % des parents français admettent exercer des violences physique sur leurs enfants.
- 99% des parents français ont recours à des menaces verbales et/ou psychologiques.
Mieux comprendre le développement de l’enfant est déjà un premier pas vers l’abandon de ces pratiques.
Conséquences des violences éducatives ordinaires sur le développement cérébral
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Cortex pré frontal
Plus l’enfant est accompagné avec respect par ses parents, plus ses besoins sont respectés, plus le cortex préfrontal de l’enfant se développe harmonieusement. Le cerveau pré frontal est le siège des différentes fonctions cognitives dites supérieures, tels que le langage, la mémoire de travail, le raisonnement, la planification, le sens de l’humour ou encore l’empathie.
Plus un enfant subit de violences (même dites “ordinaires”), plus la zone du cerveau pré frontal va s’atrophier à cause de la libération prolongée et fréquente de cortisol dans son organisme (le cortisol étant une hormone du stress). Les enfants qui ont la chance de connaître des conditions favorables au développement harmonieux de leur cortex préfrontal vont être mieux capables de reconnaître, utiliser et réguler leurs émotions, de faire preuve d’empathie, de réfléchir et trouver des solutions à leurs problèmes sans se laisser déborder par leurs impulsions violentes.
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Hippocampe et amygdale
L’hippocampe est une le centre de l’apprentissage et l’amygdale est le centre de la peur.
Quand un enfant subit une violence physique ou psychologique, l’hippocampe est inondé de cortisol, détruisant des neurones et activant le centre de la peur. Or un enfant paralysé par la peur n’est pas en capacité apprendre.
Par ailleurs, le centre de la peur peut être déréglé à long terme et entraîner des troubles psychologiques à l’âge adulte.
Les situations d’impuissance ou de danger du passé peuvent se retrouver dans le présent de l’adulte, par exemple dans des expressions psychosomatiques. Un enfant qui a été enfermé dans un placard enfant et qui a refoulé ce souvenir (il ne s’en rappelle pas de manière consciente une fois arrivé à l’âge adulte) peut souffrir de claustrophobie dans l’âge adulte sans comprendre l’origine de cette phobie. Un adulte à qui les parents ont répété avec dureté « on ne répond pas à ses parents » pourra souffrir de sidération chaque fois que quelqu’un l’intimide.
Voici le processus qui empêche à une violence ou une menace d’être encodée et traitée par le cerveau comme une situation autobiographique : le cerveau ne peut pas décoder ce qui se passe quand on vit une agression.
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Plasticité neuronale
Tout ce qu’on fait à un enfant,tout ce qu’il voit va s’encoder dans son cerveau. Les comportements des adultes influencent la construction des enfants car ils s’impriment dans leur cerveau comme un modèle, comme des réactions normales.
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Troubles psychosomatiques
Selon Muriel Salmona, psychiatre spécialisée en psychotraumatologie et victimologie, les troubles psychosomatiques sont une blessure, une fracture faite au cerveau. Ce ne sont pas les enfants qui fabriquent leur propre malheur : on l’a fabriqué pour eux. Si on prend en charge les enfants victimes de violences, on évite qu’ils s’en prennent à eux-mêmes et aux autres.
On est dans un déni de la réalité et un manque de formation pour dépister et soigner les enfants victimes de violences. Plus on parle de ces violences, plus les victimes pourront se confier et plus les auteurs de violence seront repérés.
3 symptômes post traumatiques consécutifs à des violences éducatives, y compris ordinaires
Muriel Salmona mentionne trois symptômes post traumatiques consécutifs à des violences éducatives (qu’elles soient dites “ordinaires” ou non) :
1. La mémoire traumatique
La mémoire traumatique est une mémoire sensorielle, émotionnelle, physique qui n’est pas intégrée par le circuit de la mémoire. Cette mémoire reste bloquée dans un espace du cerveau et ré-envahit la personne au moindre lien avec l’événement traumatique. La mémoire traumatique ne peut pas mentir car elle se reproduit à l’identique.
La mémoire de ce qui se passe reste en l’état hors temps et fait revivre les événements traumatiques comme une machine à remonter le temps. Ces souvenirs peuvent hanter les enfants et les enfants doivent mettre en place des stratégies de survie :
- évitement : phobie, alcoolisation à certaines périodes de la journée correspondant à des heures de violences subies, crises de panique, douches à répétition…
- contrôle
- conduites à risque : mises en danger qui provoquent la « disjonction du système » pour éviter de revivre l’événement traumatique. Il est préférable pour un enfant de se scarifier que de revivre des violences extrêmes.
Ces manières de revivre les événements traumatiques peuvent être prises pour des hallucinations (auditives, visuelles, olfactives…) et des diagnostics de schizophrénie peuvent être posés alors qu’il s’agit de mémoire traumatique.
2. La sidération
Il y a paralysie des fonctions supérieures.
3. La dissociation traumatique
La personne est déconnectée de ses émotions et du stress : elle est comme anesthésiée et en dehors d’elle-même (en mode automatique).
Par exemple, 60% à 90% des prostituées sont des personnes qui ont connu des violences sexuelles dans l’enfance et qui sont dissociées.
Un état de dissociation traumatique pose problème car la personne dissociée ne ressent rien et peut parler de sujets graves qui la touchent intimement sans paraître impliquée.
L’enfant dissocié n’a pas une déficience mentale mais il ne peut pas utiliser son intelligence, au risque de revivre sa mémoire traumatique.
On comprend donc que la sidération bloque l’enfant qui se fige et que la dissociation est comme une anesthésie émotionnelle (l’enfant ne paraît ne rien ressentir). Les adultes ont alors l’impression que les punitions, les fessées, les claques, les humiliations “marchent” d’un point de vue éducatif alors que la violence n’a fait qu’arrêter l’enfant par peur intense.
Les états de dissociation et de sidération peuvent mener à une non réaction des enfants, qui ont l’air d’ignorer ce que les adultes leur disent. Les adultes peuvent prendre cela pour de l’indifférence, du défi à leur autorité et risquent de justifier le cycle des violences éducatives par cet état.
Par ailleurs, certains enfants vont répondre différemment aux violences éducatives ordinaires : par la rébellion, par la revanche, par la rancoeur, par la reproduction de la violence… Ces enfants sont alors considérés comme “entêtés”, “difficiles”, “terribles” et les adultes vont se montrer encore plus violents dans une optique éducative. En ce sens là, les violences éducatives sont d’autant plus dangereuses qu’elles mènent à une escalade de la violence pouvant mener à de la véritable maltraitance : quelle est en effet la limite entre une violence “acceptable”, “éducative”, “qui ne fait pas vraiment mal”, qui est pour le “bien” des enfants et une “vraie” violence maltraitante dont tout le monde s’indigne ?
Enfin, les violences éducatives ordinaires sont un déni du sens de la responsabilité individuelle des enfants. Non seulement les enfants ne peuvent pas apprendre les comportements appropriés quand ils sont dans un état de peur permanente mais ils ne peuvent pas non plus développer une auto discipline, un sens éthique interne, un soin apporté à la qualité de la relation avec les autres.
Conséquences des VEO sur la santé
Les conséquences des VEO sont des risques accrus de dépression, de suicide, de troubles de la personnalité, de comportements anti sociaux, de maladies auto immunes.
Par ailleurs, toutes les maltraitances commencent par des violences éducatives qui ne “marchent” pas parce que l’enfant est trop difficile, trop têtu, trop lent, trop agité, qu’il ne comprend rien… Quand on sait qu’un enfant meurt tous les 5 jours en France de maltraitance, on comprend l’urgence à lutter contre les violences éducatives ordinaires.
Conséquences des violences éducatives ordinaires sur le sens éthique
Le recours à la violence brouillent les repères du bien et du mal. Il existe en France un préjugé qui persiste malgré les nombreuses données autour des conséquences de la violence éducative et malgré les nombreuses ressources pour apprendre à penser et faire autrement : “Tant qu’on ne frappe pas, on n’éduque pas”.
La violence éducative apprend aux enfants qu’on a le droit de faire du mal à ceux qu’on aime, qu’on peut être tapé par les personnes qui sont supposées nous aimer le plus au monde, que les plus grands ont le droit de faire du mal aux plus petits, que la violence est un moyen légitime de résoudre des problèmes.
Sans violence éducative ordinaire, comment faire ?
Comprendre les conséquences des violences éducatives ordinaires, c’est se demander comment faire autrement? Je vous propose quelques ressources pour cheminer vers une éducation non violente.
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Sources :
Muriel Salmona au colloque de L’Afpssu 2016 « Enfants orphelins ou brisés par la vie »