Neuromythes : 4 risques quand on s’intéresse à la neuroéducation
La science et l’intuition se rencontrent et s’opposent : certains disent qu’il faut se fier à l’instinct (aux sensations, aux émotions, à ce que ça fait à l’intérieur) et d’autres disent que les décisions (politiques, sociétales, marketing, économiques, éducatives) doivent être guidées par les sciences. Aujourd’hui, nous avons la possibilité de nous informer rationnellement pour confirmer ou infirmer les informations envoyées par nos sensations et nos émotions. Pour autant, toutes les informations disponibles qui se réclament scientifiques ne sont pas pour autant dénuées de biais.
Elena Pasquinelli, chercheuse en philosophie et sciences cognitives, professeure à l’école normale supérieure de Paris, nous invite donc à la prudence en ce qui concerne l’application des découvertes en neurosciences à l’éducation et à la pédagogie (la neuroéducation).
La rencontre heureuse entre le monde de l’éducation et les neurosciences doit se poursuivre mais il existe pour autant des risques de la rencontre entre sciences et pratiques éducatives. Elena Pasquinelli liste quatre risques majeurs à prendre en compte quand nous nous intéressons à la neuroéducation.
Risque 1 : l’utilisation du savoir scientifique comme prescriptif.
Un domaine comme l’éducation répond à plusieurs valeurs qui ne se limitent pas à de meilleurs résultats à la fin d’une année dans une matière précise.
Il est par exemple également important de former des enfants, filles et garçons, qui sont capables d’interagir ensemble de manière pacifique et guidés par des valeurs éthiques, capables de faire preuve de sens critique et d’exercer leur liberté tout en respectant celle de l’autre.
Les sciences ne nous disent donc pas ce qu’il faut faire mais nous permettent éventuellement de fonder nos décisions sur la base de la connaissance de ce qui se passe.
Ainsi, Elena Pasuinelli cite une étude (par ailleurs démentie plus tard) selon laquelle les filles apprendraient mieux quand elles sont isolées des garçons en classe. Cette étude amènerait donc à plaider en faveur d’écoles non mixtes pour favoriser la réussite des filles. Mais d’un point de vue politique et éthique, est-ce réellement ce que nous souhaitons ?
Risque 2 : croire qu’on peut passer du laboratoire à la société directement.
Des études bien menées et bien confirmées ont montré que la répétition aide la mémorisation. Il est plus efficace de lire un texte cinq fois de manière espacée que de lire ce même texte cinq fois d’affilée. La répétition est donc une “bonne” indication cognitive.
Mais ces études n’ont pas été menées dans le cadre d’une classe où des éléments de motivation et de dynamique de groupe entrent en jeu.
L’application des sciences de la cognition et du cerveau est particulièrement difficile dans un environnement de groupe classe.
Risque 3 : Le jargon neuroscientifique et les images produites par les neuroscientifiques ont un effet persuasif.
Le fait même d’intégrer des images du cerveau et d’IRM ou des références à une aire précise du cerveau dans un document le rend plus convaincant. L’indication de la localisation cérébrale est souvent confondue avec l’explication d’un phénomène mental.
Risque 4 : la création de neuromythes.
Des idées fausses circulent dans le domaine de l’éducation. Les neuromythes sont des croyances fausses exprimées dans un langage scientifique, souvent inspirés par des études scientifiques mal interprétées, simplifiées, extrapolées ou parfois même dépassées/”périmées”. Ces neuromythes résistent à l’information disponible.
Elena Pasquinelli en cite plusieurs :
- l’effet Mozart (l’idée selon laquelle, si on écoute de la musique classique, on a des chance de devenir plus intelligent)
- le mythe des trois premières années (les trois premières années représenteraient des fenêtres précoces d’apprentissage : or on sait que, même dans le cerveau adulte, des neurones apparaissent et des zones du cortex peuvent se réarranger)
- la plasticité cérébrale absolue (le cerveau ne peut pas changer ses fonctions, ses limites ou sa constitution : on devrait plutôt parler de plasticité synaptique, c’est-à-dire de la force de la connexion entre les neurones et cette plasticité synaptique est suffisante pour qu’on puisse apprendre tous les jours)
- on peut faire plusieurs choses à la fois (en réalité, le cerveau “switche” car il est strictement unitâche : il se concentre un peu sur une tâche puis un peu sur une autre et ensuite de suite)
- le cerveau est comme un muscle (Les humains sont en effet très curieux et nous sommes conçus de manière à prendre du plaisir à résoudre des problèmes mais cela ne signifie pas que l’entrainement cérébral tels que des sudokus ou des mots croisés nous rendent plus intelligents. Les personnes qui augmentent leur capacité de mémorisation utilisent en fait des stratégies comme le fait de regrouper des informations en une seule pour augmenter “artificiellement” le nombre d’éléments stockés dans la mémoire à court terme. )
- nous n’utilisons que 10% de notre cerveau (ce mythe est lié à celui sur le cerveau muscle puisque, si le cerveau est un muscle, on peut l’entraîner pour gagner sur les 90% du cerveau non utilisé)
- cerveau droit/ cerveau gauche (même s’il est vrai que les deux hémisphères du cerveau ne sont pas identiques – ils n’ont même pas la même dimension ! – et qu’ils font des choses différentes, les hémisphères travaillent naturellement ensemble et n’ont pas besoin d’être “reconnectés”. Les exercices de Brain Gym sont basés sur un neuromythe et, de la même manière que le fait d’écouter de la musique classique ne fait pas de mal mais ne rend pas plus intelligent non plus, pratiquer des exercices de Brain Gym ne fait pas de mal mais ne rend pas plus efficace pour les apprentissages scolaires).
Elena Pasquinelli nous invite donc à la prudence quand il s’agit de prendre des décisions ou d’investir de l’argent dans du matériel pour l’école. En effet, les neuromythes peuvent conduire à des arbitrages budgétaires dommageables pour les élèves mais également, à terme, enlever la confiance dans la science.
Source : vidéo Les neuromythes – Elena Pasquinelli
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Pour aller plus loin : Du labo à l’école : science et apprentissage de Elena Pasquinelli (éditions Le Pommier)