PORNLAND : un essai percutant sur les effets du porno sur la culture dominante et nos imaginaires
Présentation de l’éditeur
L’âge moyen du premier visionnement de films porno est, à ce jour, d’approximativement 11 ans. Avec Internet et les smartphones, il n’est pas étonnant que les jeunes consomment de plus en plus de porno de plus en plus tôt. Et, comme le montre Gail Dines, le porno d’aujourd’hui est étonnamment différent du Playboy des années 1950. Alors que la culture pornographique s’est immiscée dans la culture pop, une nouvelle vague d’entrepreneurs crée un porno qui est encore plus dur, violent, sexiste et raciste.
Au fil des ans, à mesure que la culture pornographique se fondait dans la culture pop et qu’elle changeait de forme, c’est l’ensemble de notre société que la pornographie a changé, avec des conséquences pour le moins désastreuses. Dans cette investigation incisive, Gail Dines examine le processus ayant permis au porno de s’immiscer dans la sphère grand public, son contenu et les conséquences de son expansion. Le porno nous désensibilise et limite notre liberté sexuelle. En montrant comment et combien le porno dégrade et mutile les femmes qu’il exploite, nous désensibilise, nuit à notre sexualité et à nos relations sociales, Gail Dines expose indéniablement son omniprésence désormais banale comme un problème de santé publique majeur que nous ne pouvons nous permettre d’ignorer.
Les points forts
Ce livre met en lumière les effets cachés de l’industrie pornographique, tant sur les adultes que sur les jeunes, tant sur les femmes que sur les hommes, tant sur les consommateurs que sur les actrices. Gail Dines, enseignante, sociologue et féministe, est spécialisée dans l’étude de la pornographie. Dans son livre Pornland (éditions Libre), elle rejette le mythe selon lequel la pornographie ne serait qu’un fantasme amusant et inoffensif.
J’ai retiré plusieurs points marquants de la lecture de cet ouvrage :
- Ce n’est ni être anti-sexe ni être une “féministe prude/ mal baisée” que de dénoncer les méfaits de l’industrie pornographique : c’est être anti-violence.
- L’accessibilité facile des images pornographiques tend à étioler l’imagination des hommes et des femmes et leur capacité à être sexuellement créatifs, tendres, proches, en fournissant des images et scénarios au “contenu répétitif et abrutissant“.
- Les hommes d’affaires qui produisent du contenu pornographique cherchent à se faire passer pour des libérateurs sexuels alors qu’ils sont à la tête d’une industrie prédatrice qui a tout intérêt à rendre ses consommateurs dépendants. Ces hommes d’affaires savent qu’ils doivent produire des images de plus en plus extrêmes pour gagner des parts de marché et résister à la concurrence, ce qui prouve une certaine insensibilisation des consommateurs à la violence sexuelle et un besoin de pratiques de plus en plus violentes pour susciter de l’intérêt.
- Le porno, et le gonzo en particulier qui est sa forme la plus extrême en matière de pratique sexuelle, affiche un mépris manifeste pour les femmes (pour leurs corps, leurs limites, leurs émotions) et contribue à fabriquer un récit culturel, selon laquelle les femmes aiment être humiliées, qu’elles sont toujours prêtes pour une relation sexuelle car leur non cache toujours un oui.
- Les images de l’industrie pornographique font l’impasse sur les messages de prévention sexuelle : maladies sexuellement transmissibles, SIDA, grossesse non désirée, douleurs physiques à prendre en compte (tant chez l’homme que chez la femme)… On ne voit jamais les partenaires échanger sur le mode de contraception en place et pas (ou très peu) des relations sexuelles pratiquées avec un préservatif.
- C’est l’effet cumulatif des messages sous-jacents du système d’images qui créent une certaine perception du monde. Dines rappelle qu’il est exagéré de dire que tous les hommes apprécient le porno et que les hommes ne sont pas des “misogynes nés“. Tous les hommes qui regardent des films pornographiques ne sont pas des violeurs et tous les hommes consommateurs de porno n’acceptent pas l’entierté des mythes véhiculés par cette industrie. Toutefois, il existe un processus de socialisation qui prépare les hommes à apprécier le porno de plus en plus hard et les images pornographiques deviennent un “étalon pour le sexe”.
- Certains hommes développent des complexes envahissants (pénis considéré comme trop petit, endurance moins longue que celle des acteurs porno, éjaculation considéré comme trop précoce…) et de la honte de ne pas réussir à draguer et à obtenir du sexe qui parait pourtant si facile à obtenir dans les films porno. De l’ennui au lit et de la déception, voire de la colère, peuvent apparaître contre la partenaire qui n’accepte pas aussi facilement des pratiques sexuelles extrêmes que les actrices dans les films.
- La culture pornographique a pu contaminer la culture pop car notre société discrimine les femmes, de manière générale. Dans une société égalitaire, il n’y aurait littéralement pas de place pour le porno (ni dans les imaginaires ni dans les porte-feuilles car personne ne serait prêt à payer pour ce type d’images violentes et dégradantes, les hommes comme les femmes leur préférant des relations porteuses de sens et de joie). Il n’y aurait pas non plus de femmes traumatisées (notamment victimes de violences sexuelles dans leur enfance) dont la mémoire traumatique les amènerait à jouer dans des films pornographiques ou de femmes tellement précaires financièrement que leur seule issue serait l’industrie pornographique (au mépris de leur santé tant physique qu’émotionnelle).
- Les filles et les femmes n’ont pas besoin de regarder du porno pour qu’elles en soient affectées car les images et les messages de l’industrie pornographiques sont transmis aux femmes à travers la culture pop. Les femmes intériorisent l’idéologie de la pornographie sous la forme de conseils pour être sexy, cool, rebelle et attirer (puis garder) un homme. Notre culture façonne notre l’idée qu’ont les femmes du corps idéal. Gail Dines regrette que les femmes aient tellement intériorisé le regard masculin qu’elles soient devenues leurs propres pires critiques. Pour la plupart des femmes, acheter des vêtements ou se regarder dans un miroir est indissociable du fait de se disséquer centimètre carré par centimètre carré. Il y aura toujours un problème (fesses trop grosses ou trop plates, seins trop petits, ventre trop gros…) et il en résulte un dégoût de soi, un “véritable mépris”.
- Gail Dines estime qu’un partie des filles et des femmes sont actuellement agressées par la culture dans laquelle elles évoluent.
Plus une certaine façon d’être femme s’élève au-dessus des autres, plus une part importante de la population gravitera vers elle, par attraction pour ce qui est le plus socialement accepté, toléré et récompensé. Plus l’image hypersexualisée évince les autres représentations des femmes et des filles, moins les femmes disposent d’options pour résister au “charme de l’éloquence de l’image” d’après la formule de Neil Postman. – Gail Dines
Gail Dines propose de construire une “riposte culturelle” contre l’idéologie du porno qui envahit la culture pop et les imaginaires. Cela peut passer par des actes individuels, insuffisants mais nécessaires (comme le fait pour un homme de boycotter le porno; pour une femme de refuser de sortir avec un partenaire qui consomme du porno; pour des parents de parler du porno avec leurs enfants avant qu’Internet ne s’en charge…). L‘éducation populaire doit également être un levier de changement, à la fois en termes de dénonciation (exemple : organiser des conférences pour dénoncer les effets de la culture hypersexualisée) mais aussi en termes de vision positive et stimulante pour contrer les discours dégradants pour les femmes et exploitant le retard émotionnel des hommes (comme le fait de valoriser les images et récits d’une sexualité fondée sur l’égalité, la dignité et le respect).
Les filles et les femmes qui résistent doivent se forger une identité en opposition à la culture dominante et cela a un coût (risque d’exclusion sociale, énergie cognitive nécessaire pour résister, mise en place de stratégies, renoncement aux avantages acquis via l’adoption de comportements hypersexualisés…) Ces filles et femmes ont tendance à avoir quelqu’un dans leur vie (comme une mère, une femme plus âgée qui les guide, un prof, un père ou frère résistant…) qui leur procure une forme d’immunité contre les messages culturels dominants, soit dans la manière de mener leur propre vie, soit via un contre discours efficace.
Selon Gail Dines, pour continuer à résister à la culture hypersexualisée et sexualisante, les hommes et les femmes ont besoin :
- d’un groupe de pairs partageant les mêmes idées,
- d’une idéologie dénonçant la “nature artificielle, aliénante et consumériste” de la féminité telle que façonnée par le porno et la culture pop,
- d’une culture moins virile où aucun homme ne pourrait être excité par des images de femmes se faisant violenter. Comme les hommes seraient rebutés et scandalisés et que la société entière dénoncerait ces contenus, aucun homme d’affaire n’aurait d’argent à gagner dans cette industrie, aucun homme ne pourrait se vanter d’être un acteur porno, aucune femme ne serait traitée de pu*te pour ses pratiques sexuelles. Les hommes n’auraient pas besoin d’artifices audiovisuels pour se sentir puissants et n’auraient besoin ni de béquilles pour vivre des relations riches, authentiques dans toute leur complexité, ni de masques pour cacher leur vulnérabilité. Le porno ne semble attrayant que parce que tout pousse les garçons dans notre culture à prouver par tous les moyens leur virilité.
Pornland est un essai qui mérite d’être lu par tout un chacun, qu’on soit parent ou pas, qu’on soit homme ou femme, quelque soit son âge ou sa profession.
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Pornland : comment le porno a envahi nos vies de Gail Dines (éditions Libre) est disponible en médiathèque, en librairie ou sur internet (site de l’éditeur).
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