L’empathie est politique : un livre essentiel pour comprendre en quoi l’empathie est sélective et limitée

Samah Karaki est docteure en neurosciences et s’intéresse au dialogue entre sciences naturelles et sciences sociales. Elle est l’autrice du livre L’empathie est politique : comment les normes sociales façonnent la biologie des sentiments (éditions JC Lattes). Dans cet ouvrage, elle propose de définir l’empathie et développe l’idée que l’empathie est à la fois limitée et sélective. Selon le définition qu’on donne de l’empathie, elle peut déboucher sur de l’évitement, voire du repli, ou sur de l’altruisme :

  • soit l’empathie, c’est s’imaginer à la place de l’autre dans une démarche égocentrique, entraînant une détresse personnelle et donc un évitement de la souffrance des autres pour s’éviter cette souffrance personnelle,
  • soit l’empathie, c’est imaginer ce que vit l’autre dans une démarche allocentrique, entraînant une conduite altruiste.

L’empathie ne peut pas servir de boussole morale car elle est soumise à des biais : elle varie selon les contextes et n’est donc pas universelle. Les humains sont en effet plus empathiques envers des personnes qui leur ressemblent et qui leur sont proches physiquement, concurrant à une normalisation de la hiérarchie des souffrances. Par ailleurs, l’empathie est sensible au cadrage médiatique et politique. On est empathique envers ce qui arrive à notre attention : notre capacité à accorder de l’empathie dépend donc des informations qui nous parviennent. On est également plus empathique envers ce qui est humain, si bien que Samah Karaki consacre un chapitre entier à la déshumanisation (le fait d’assimiler des groupes humains à des animaux nuisibles, à des virus, à des objets ou à leur prêter une infériorité morale). Il est ainsi possible de manipuler l’empathie en créant un groupe d’appartenance artificiel pour générer de l’empathie pour les membre de ce groupe et de l’indifférence, voire du rejet, pour les personnes qui ne font pas partie de ce groupe (notamment via la déshumanisation de ces étrangers au groupe d’appartenance).

De plus, faire preuve d’empathie peut ne jamais se transformer en actes altruistes ou en engagement. La morale peut être dévoyée pour devenir élitisme moral : envoyer des signaux de vertu permet de se signaler comme une personne morale, empathique, et ainsi obtenir de la considération (et le droit de se sentir supérieur d’un point de vue éthique). Samah Karaki parle de vertu ostentatoire, dans le sens où accorder du temps pour visionner une information, compatir dans l’instant (par exemple, en laissant un “j’aime” ou un commentaire sur une publication d’un réseau social) suffirait à soulager la conscience et à s’estimer comme une personne empathique. Le sensationnalisme entraîne l’inertie.

Enfin, Samah Karaki insiste sur l’usure de l’empathie. Elle écrit que l’empathie, comme toute capacité coûteuse psychologiquement, peut être fournie quand on est disponible mentalement pour lui offrir de l’espace et du temps. Le stress peut nuire à l’empathie, le fait d’être fréquemment témoin de la souffrance peut éroder l’empathie (notamment du personnel soignant et hospitalier). Il y a un phénomène d’habituation à la souffrance, avec de la banalisation, de la désensibilisation et du fatalisme.

Samah Karaki déplore ainsi la survalorisation de la puissance de l’empathie pour résoudre tous les problèmes. En effet, une personne peut être très empathique envers ses proches ou les personnes de son endogroupe (groupe auquel on appartient et avec les membres duquel on partage des caractéristiques communes), mais être raciste en même temps. L’empathie ne peut pas se passer d’informations sur le contexte socioculturel, ni d’une conscience historique, anthropologique.

Cet ouvrage s’inscrit résolument dans une démarche antiraciste, antisexiste, postcoloniale et prend des positions politiques fortes. La lecture de ce livre a toute sa place dans une cheminement vers la non violence éducative, car il prolonge la réflexion sur la non violence en lui donnant une dimension sociale et politique. Samah Karaki nos donne des grilles de lecture pour penser les rapports de domination et pour comprendre en quoi l’empathie n’est pas suffisante pour les déconstruire. Or les rapports adultes/ enfants sont empreints de domination, nos modes de vie génèrent de l’usure empathique, expliquant en partie pourquoi il peut être difficile d’être un parent faisant preuve de préoccupation empathique.

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L’empathie est politique : comment les normes sociales façonnent la biologie des sentiments de Samah Karaki (éditions JC Lattes) est disponible en médiathèque, en librairie ou sur les sites de ecommerce.

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