L’Empire n’a jamais pris fin. L’histoire des premiers anti-impérialistes (et wokistes ?)
Le livre L’Empire n’a jamais pris fin de Pacôme Thiellement est aussi puissant que perturbant. Pacôme Thiellement nous invite à considérer que l’Empire romain existe encore en nous car Jules César a colonisé les imaginaires autant que les territoires, si bien que nos structures mentales portent encore la trace de sa violence et de sa volonté de soumission.

Une histoire de tentatives d’émancipation
Pacôme Thiellement écrit que la France d’hier et d’aujourd’hui est l’héritière du culte de la grandeur de Rome et qu’elle le poursuit. Il remarque que Rome a infusé la conscience humaine parce que la propagande impériale a accompagné la force et la terreur. Malgré l’effondrement de Rome en 476, ses structures administratives hiérarchisées, autoritaires, disciplinées et centralisées, ainsi que sa conception impériale et prédatrice du monde vont perdurer.
Pacôme Thiellement ne se présente pas comme un historien, mais comme un exégète qui explique et interprète. Il admet que son analyse est subjective. Toutefois, son travail est toujours sourcé et s’appuie à la fois sur des citations de textes anciens (Bible, textes de Nag Hammadi, procès de Jeanne d’Arc…), des travaux d’historiens et de philosophes (Jules Michelet, Simone Weil, Elaine Pagels…), ainsi que des écrits littéraires contemporains aux époques évoquées (François Villon, François Rabelais, William Blake, Philipp K. Dick…)
Chapitre 1 : Jules César, l’homme qui nous « inventa »
Pacôme Thiellement rappelle que la Gaule et les Gaulois n’existaient pas avant que Jules César ne décide d’appeler ainsi les tribus qui habitaient sur les territoires au-delà des Alpes qu’il voulait conquérir. La vision construite des dits Gaulois est en réalité celle d’un colon exterminateur. Pacôme Thiellement qualifie Jules César de “sociopathe” xénophobe et de “machine à tuer” disciplinée qui ne s’intéresse qu’au pouvoir et qui adore la force. L’armée romaine pillait, égorgeait et violait sans pitié.
César a inventé les formes de notre soumission pour les siècles des siècles. Il a inventé ce monarque “jupitérien” qui soumet pour leur bien les “Gaulois réfractaires”. Il a inventé l’amour du dominé pour celui qui le domine. L’amour de la victime pour son bourreau. – Pacôme Thiellement
Pacôme Thiellement estime que les Gaulois ont été décrits par César avec mépris et une absence totale de la volonté de comprendre ces peuples. Pourtant, ce qui réunit ces populations qualifiées de gauloises, c’est le courage et la bravoure et leur refus collectif du projet romain de domination. Toutefois, Rome finit par gagner grâce à la force meurtrière dans un premier temps et à la domination culturelle dans un deuxième temps (abolissant les différentes cultures du bassin méditerranéen).
Tous les chefs d’État, d’Auguste à Macron, en passant par les rois, les empereurs, les présidents, les papes, les chefs d’entreprise – jusqu’à Mark Zuckerberg dont le premier programme informatique était un jeu imité de Risk où le joueur unique affrontait l’imbattable César -, tous s’identifieront au vainqueur de la guerre des Gaules. Et ils attendront de notre part une admiration pour César qui légitimerait en retour leurs pulsions tyranniques. – Pacôme Thiellement
Chapitre 2 : Jésus contre le christianisme
Selon Pacôme Thiellement, la parole de Jésus a été détournée par l’Église. La parole de Jésus portait un potentiel émancipateur, fraternel, non violent et révolutionnaire dans une vie de justice au service des plus démunis. En réalité, tout le contraire d’une hiérarchie de quelle que nature qu’elle soit. Jésus se méfie des riches et n’est pas impressionné par les puissants. Il prend le parti des opprimés et des vulnérables : celui des femmes contre les hommes (l’épisode de Marthe et Marie), des étrangers contre les patriotes, des pauvres contre les riches, des enfants contre les adultes.
Sa révolution est d’abord un nouveau rapport au monde. Un autre rapport à l’occupation romaine, à l’Empire. Un changement de manière d’être qui ne laisse pas de prise à l’occupation romaine. Qui la rend obsolète. – Pacôme Thiellement
Pourtant, l’Église catholique en tant qu’institution se construit sur des valeurs opposées à celles portées par Jésus. Par exemples, Paul, l’apôtre, se range du côté des dominants. Paul est favorable aux châtiments corporels sur les enfants et valorise la soumission des dominés. Pacôme Thiellement rapporte un passage de l’Épître aux Hébreux écrit par Paul : “Le Seigneur châtie celui qu’il aime. Supportez le châtiment : c’est comme des fils que Dieu vous traite ; car quel est le fils qu’un père ne châtie pas ? Puisque nos pères selon la chair nous ont châtiés, et que nous les avons respectés, ne devons-nous pas à bien plus forte raison nous soumettre au Père des Esprits ?”
Pacôme Thiellement oppose donc l’enseignement de Jésus Christ et la constitution de l’Église catholique en tant que domination psychique et système de jugement.
Chapitre 3 : Marie-Madeleine et les états généraux de l’Amour
Pacôme Thiellement s’appuie sur les textes gnostiques (autrement dits des Sans Roi) retrouvés à partir du XVIIIe siècle dans le désert égyptien pour repenser la place de Marie-Madeleine et des femmes dans l’enseignement de Jésus. Les Sans Rois sont des personnes qui n’ont pas voulu suivre l’Église dans sa constitution hiérarchisée. Ils souhaitent revenir à l’essence de la parole de Jésus (non jugement, non violence, protection des dominés) et à une relation individuelle à la divinité, si bien qu’ils sont progressivement considérés comme hérétiques par le clergé. La relation individuelle à Dieu démarque significativement les gnostiques de l’Église qui utilise le nom de Dieu pour en faire une divinité extérieure envers laquelle les croyants doivent se comporter comme si elle était “un chef politique, un patron, un empereur”. Les Sans Rois quant à eux sont désorganisés, libres dans leurs moeurs, égalitaires et n’ont pas une vision autoritaire de la divinité. Pour eux, l’amour n’est pas le moyen d’une fin reproductrice, mais est la “rencontre de deux lumières”. L’amour est alors pensé en dehors du mariage et de la procréation, dans une relation d’égale dignité, sans pouvoir sur le ou la partenaire ni atteinte à son intégrité. Les Sans Roi sont en réalité féministes (même si on risque l’anachronisme de le mentionner comme tel).
Repenser la place de Marie-Madeleine comme la compagne de Jésus (à tous les sens du terme) ouvre la voie à un autre rapport à l’amour, à la politique, à la grandeur et à la liberté.
Chapitre 4 : Clovis, Charlemagne et cie… Les rois de l’arnaque
Pour Pacôme Thiellement, la « France » de 1190 est un pays de non-Francs occupé et gouverné par des Francs violents et méprisants envers les faibles. Il reprend l’expression de Bruno Dumézil, historien français spécialiste du haut Moyen Âge, pour qualifier les Francs : des « cleptocrates ». La cleptocratie est une autorité déterminée par les pillages et les vols.
Pacôme Thiellement écrit que le christianisme des Francs, à commencer par celui de Clovis, ne va pas entraîner chez eux un changement dans leur manière d’être vers plus de pacifisme et d’éthique. Clovis a choisi le christianisme par souci d’efficacité dans une perspective de superstition (parce que Dieu lui aurait porté chance lors de la bataille de Tolbiac). De même, le Christianisme a choisi Clovis par pure tactique.
Pacôme Thiellement explique que les Francs mérovingiens ont été éclipsés par les Carolingiens parce que l’Église a choisi de soutenir les deuxièmes, plus conquérants. À la différence des derniers rois mérovingiens (surnommés “rois fainéants” car pas assez guerriers), Charlemagne s’est montré cruel. Par exemple, il a ordonné à Verden, actuelle Allemagne, la décapitation de 4 500 oatges. Thiellement parle de “mafia” pour qualifier les différents rois francs.
Face à l’Histoire de France, nous sommes comme des enfants abusés qui espèrent encore voir de l’amour dans le regard de leurs bourreaux. – Pacôme Thiellement
Chapitre 5 : L’extermination des cathares : perfidie française
Pour Pacôme Thiellement, l’Église catholique est une tentative de Rome de faire passer sa domination pour une aventure spirituelle. C’est en 1163 que le terme de “cathare” apparaît pour la première fois pour qualifier les hérétiques d’Europe. En France, les “cathares” désignent principalement les hérétiques situés au Sud-Ouest. Les chateaux et villages du pays d’oc échappent au pouvoir de l’Église et du roi.
Imposer le culte d’un homme ou d’un Dieu ayant explicitement demandé aux hommes de ne pas répondre à la violence par la violence, en plongeant de mauvais croyants dans les flammes et en violant des femmes, ce n’est pas une simple contradiction. C’est quelque chose d’autre. Quelque chose de littéralement insupportable. – Pacôme Thiellement
Mais la résistance cathare s’organise. Les cathares s’appellent eux-mêmes les “amis de Dieu” ou Les Bons Hommes et les Bonnes Femmes, démontrant que les femmes sont considérées comme des égales. Pacôme Thiellement se permet un anachronisme : les Bons Hommes et les Bonnes Femmes, opposés au pouvoir royal et clérical, étaient anarchistes, révolutionnaires, anticolonialistes et anti-impérialistes.
Chapitre 6 : Anarchy dans le royaume de France
À la fin du XVIe et au début du XVe siècle, le royaume de France est déchiré par les guerres intestinales entre Bourguignons et Armagnac, ainsi que par les Croisades. Des paysans se révoltent contre les hausses d’impôt et le l’armée du roi Charles VI restaure l’autorité en pillant, violant et massacrant les populations locales. La guerre civile fait rage, entre misère, corruption et trahison.
C’est dans cette situation désespérée qu’émerge Jeanne d’Arc.
Chapitre 7 : Jeanne la gauchiste, l’anti César
Dans son livre L’Empire n’a jamais pris fin, Pacôme Thiellement estime que la France qu’on peut aimer, ce n’est ni celle des rois, ni celle des empereurs, ni celle des papes; c’est la France des visionnaires, des poètes et des promoteurs de la justice. Jeanne d’Arc est une représentante de cette deuxième France, sa vocation venant du fait que sa vie était devenue un enfer de misère et d’oppression.
Thiellement écrit que Jeanne d’Arc est l’anti César. Elle est une excellente cheffe de guerre, mais elle n’éprouve pas le besoin d’être cruelle pour se battre et ne ressent pas le besoin de punir ou de se venger des Anglais. L’exégète assure que Jeanne d’Arc interdit à son armée de piller les pauvres, plaisante avec les soldats et refuse les gros mots. Elle estime que la guerre de libération doit être menée justement.
Jeanne la wokiste. […] Une adolescente androgyne géniale. – Pacôme Thiellement
Pacôme Thiellement dénonce le fait que l’extrême droite récupère l’image de Jeanne d’Arc. Elle était pourtant irrévérencieuse, rebelle à l’autorité, résistante contre les dominants, suffisamment intelligente pour tenir tête aux hommes de pouvoir et même anticolonialiste.
Cette Jeanne qui fuit père et mère et se fait cheffe de guerre à 18 ans, la voilà brandie par des partisans de l’autorité parentale. […] Cette Jeanne qui n’a pas dit un mot sur les Juifs ou sur les musulmans, qui ne hait même pas les Anglais, mais veut tout simplement et tout naturellement que cesse une occupation injuste et criminelle, la voici monopolisée par les boutiquiers xénophobes les plus grossiers, faibles avec les les forts et forts avec les faibles, exactement semblables aux personnes contre lesquelles elle a dû combattre toute sa vie et qui ont fini par la brûler. – Pacôme Thiellement
Lier histoire politique et éducation
Pacôme Thiellement nous rappelle que chaque humain connaît la définition du bien et du mal : chacun et chacune a choisi, choisit ou va choisir en toute connaissance des valeurs morales. À la suite des Gaulois, de Jésus, des Sans Roi, des bégaudes, des cathares, de Jeanne d’Arc, nous pouvons choisir la voie de la justice sociale et (tenter de) échapper à l’emprise du pouvoir, de la cupidité, de la xénophobie, de l’arrogance. Nous pouvons, à la suite de Simone Weil, transformer le sens du mot grandeur pour que la grandeur devienne synonyme de compassion pour la fragilité
Ce livre a toute sa place dans une démarche d’éducation bientraitante et non violente car il nous aide à comprendre les mécaniques de la domination, de l’exploitation, de la tyrannie et de la recherche de pouvoir. De plus, il nous aide à les démonter en vue de relations humaines empreintes de dignité et de pacifisme. Au-delà de son aspect politique et de sa dimension révolutionnaire, ce livre est riche en informations remettant en perspective le roman national français et sur l’histoire sombre de l’Église catholique. Pacôme Thiellement nous donne des ressources pour “écrire notre Histoire « non romaine », […] une histoire de la reconnaissance au droit de disposer de nous-mêmes et au devoir de ne pas disposer des autres.”
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L’Empire n’a jamais pris fin, Tome 1 : de Jules César à Jeanne d’Arc de Pacôme Thiellement (éditions Massot) est disponible en médiathèque, en librairie ou en ecommerce.
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