L’art de dire non aux enfants
Le plus important, ce n’est pas ce que nous faisons ni ce que nous disons mais comment et pourquoi nous le faisons. Il n’y a aucune raison de croire qu’un certain nombre de non par jour soit à souhaiter, mais il y a beaucoup de raisons de penser que beaucoup trop de ouis à contrecœur, de ouis réservés ou corrompus, ou bien défensifs, sont destructifs pour les relations entre parents et enfants. – Jesper Juul (L’art de dire non en ayant la conscience tranquille)
Les enfants coopèrent par nature : ils ont une faculté à ressentir ou à s’accorder sur les sentiments des parents. Mais quand les parents sont inquiets ou frustrés, oublient leurs propres besoins, hésitent sur ce que la situation demande d’eux, les enfants ne savent pas avec quoi coopérer
C’est ainsi que beaucoup de conflits familiaux surgissent quand un membre de la famille ne dit pas non quand il le pense ou quand il n’exprime pas ses besoins ou limites avec clarté. Les “ouis mais” ne sont ni des ouis ni des nons.
Le non est la réponse la plus difficile au monde car elle demande de prendre la responsabilité de soi même (ne pas attribuer la faute aux autres comme dire : “tu es pénible de tout le temps réclamer ceci”). Un non franc, sincère, authentique et personnel demande de la réflexion, de l’engagement et du courage.
Le non personnel provient de nos valeurs personnelles, de notre expérience, de nos sentiments et de nos limites. Ces valeurs, ces limites, ces opinions ne sont pas d’ordre général (ce que la société dit, ce que la télé dit, ce que la famille dit, ce que les voisins disent…) et nécessitent une réflexion sur nous-mêmes : à quoi disons-nous non de manière non négociable ? Pour certains, ce sera non au Coca-Cola, pour d’autres non à la télé; normalement pour tous, non aux coups et aux insultes.
Et comme le non personnel est aussi façonné par nos expériences, nous sommes amenés à le revoir et le mettre à jour régulièrement : parfois, la vie en commun nous oblige à le corriger.
Notre “soi” n’est pas une mesure fixe que nous pouvons connaître une fois pour toutes. Notre “soi” change avec le temps et dépend des relations auxquelles nous prenons part. Plus nous sommes provoqués, plus nous avons la possibilité d’être à jour avec nous-mêmes. – Jesper Juul
Il s’agit alors d’exprimer nos besoins, nos souhaits et nos limites dans un langage personnel (“je“) et clair (sans sous entendus culpabilisants ou reproches déguisés).
2 conditions fondamentales pour un non efficace
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1. Exprimer nos vrais besoins
Catherine Dumonteil-Kremer prend l’exemple de parents qui voulaient faire une sieste amoureuse et ont par conséquent besoin d’intimité. Ils demandent alors aux enfants d’aller jouer dehors un moment mais les enfants insistent pour rester à l’intérieur. Le père tourne autour du pot en expliquant qu’ils vont se reposer et ne veulent pas de bruit dans la maison. Or le vrai besoin n’est pas exprimé clairement : les parents sont mal à l’aise à l’idée d’exprimer leur besoin d’intimité et les enfants ne sont pas prêts à coopérer car ils ressentent ce malaise.
Comme nous n’avons pas été habitués à exprimer nos besoins, je vous propose une liste rédigée par Marshall Rosenberg de nos besoins fondamentaux, valables aussi bien pour les adultes, les enfants et les adolescents :
- Autonomie (choisir nos rêves, nos buts, nos valeurs et les stratégies pour les atteindre)
- Célébration (célébrer la vie et la réalisation de ses rêves, célébrer les pertes et le deuil)
- Intégrité (créativité, authenticité, sens, estime de soi)
- Interdépendance (amour, acceptation, appréciation, considération, appartenance à une communauté, confiance, compréhension, soutien , honnêteté, intimité)
- Nourriture sur le plan physique (air, aliments, exercices physiques, protection, repos, calme, eau, abri, toucher…)
- Jeu (amusement, rire, expression artistique)
- Communion d’esprit (beauté, harmonie, inspiration, ordre, paix)
Ce qui est crucial, c’est que les enfants grandissent dans une famille où l’on apprend à se prendre soi-même et les autres au sérieux. – Jesper Juul
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2. S’exprimer avec des messages qui prennent en charge notre responsabilité individuelle
Quand on parle de soi à la 3ème personne, quand on accuse (tu es fou, tu ne peux pas te permettre cela, pour qui tu te prends ?, si tu pensais aux autres pour changer…) ou quand on utilise des tournures impersonnelles (il faut, on doit, c’est comme ça, les gens font ainsi, c’est pour ton bien…), il y a peu de chance que les enfants respectent nos limites et nos besoins.
Le langage personnel est le seul apte à établir un bon contact personnel. Des indications claires et personnelles (“je vois bien que mes lunettes sont très intéressantes pour jouer mais je ne le veux pas“) facilitent plus la coopération que des indications éducatives et impersonnelles (“les lunettes, ce n’est pas pour jouer, elles sont très chères. Maman ne veut pas que tu prennes ses lunettes“).
Même dans le cas d’un non personnel et authentique, on pourra s’attendre à une décharge de frustration et de déception de la part de l’enfant. Cette réaction émotionnelle est naturelle et nécessaire. Il s’agit alors de l’accueillir et de reconnaître cette frustration : “je vois que tu es déçu/ c’est difficile pour toi/ tu es triste car tu voulais tellement cette chose là“.
Un non sain est un non qui remplit 2 conditions en même temps :
- il ne nuit pas au développement psychique des enfants (le non n’empêche pas la satisfaction d’un besoin fondamental de l’enfant),
- il ne détériore pas non plus les relations entre parents et enfants (les parents expriment leur responsabilité personnelle et ils reconnaissent les points de vue des enfants puis accueillent leurs sentiments, qu’ils soient agréables ou désagréables).
Ainsi, refuser d’acheter du Coca ne porte pas atteinte à l’intégrité des enfants (boire du Coca ne satisfait pas un besoin fondamental). Pour autant, boire du Coca peut dans certaines circonstances satisfaire un besoin d’appartenance à un groupe (lors d’une fête ou d’une sortie par exemple). Tout l’art de dire non tient alors dans la manière de maintenir la qualité de l’interaction pour protéger la relation parents/ enfants. Le non peut être maintenu et soutenu par l’expression personnelle des parents, mais il peut aussi devenir négociable. Comme écrit plus haut, la vie en commun peut nous obliger à adapter nos positions. La question devient alors : comment tenir compte à la fois des besoins des enfants et de ceux des adultes ?
Quand le non devient négociable
Pour Jesper Juul, le non peut devenir négociable si 2 conditions sont remplies :
1. Le non est négociable aux yeux des parents.
Certains nons ne sont pas négociables et il n’y a rien à faire (on en revient au fait de boire du Coca dans certaines familles ou, de manière plus générale, à l’interdiction de taper).
2. Il s’agit d’un dialogue et d’un échange réel
Si l’enfant cherche à faire céder le parent par la manipulation, la culpabilisation, la supplication ou encore la pression, il ne s’agit plus de négociation mais de prise de pouvoir d’un membre de la famille sur un autre. Un côté destructif s’est mis en place dans la culture familiale et c’est de ce problème dont il faut s’occuper.
Un adulte qui soutient ou lâche son non après une négociation sérieuse gagnera bien plus de respect chez l’enfant que celui qui se vante de ne pas se laisser influencer par la réalité des autres. – Jesper Juul
Dans la vie de famille, l’important n’est pas d’avoir un gagnant mais que tous puissent avoir le plus possible de ce dont ils ont besoin.
Les règles souples et négociables dépendent de plusieurs paramètres : l’humeur des membres de la famille, l’environnement, l’emploi du temps… Catherine Dumonteil-Kremer prend cet exemple :
Si ma fille de 6 ans veut aller faire du vélo cet après midi dans notre quartier, c’est tout à fait possible (il y a peu de circulation et la rue est une impasse). En revanche, si elle veut faire du vélo alors que nous sommes chez ses grands parents, nous refuserons car ils habitent une grande ville. Ou alors nous chercherons une autre solution qui convienne à tout le monde : la négociation devient possible. On pourra la conduire au parc, rentrer plus tôt à la maison, lui proposer de faire du vélo d’appartement de mamie ou encore maintenir le non si rien de cela n’est possible tout en accompagnant et accueillant la frustration de l’enfant.
Dans la catégorie des “nons négociables”, tout est possible en ce qui concerne la recherche de solutions.
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Pour aller plus loin, je vous conseille la lecture du livre L’art de dire non en ayant la conscience tranquille de Jesper Juul (éditions Chronique Sociale). Disponible en médiathèque, en librairie ou sur internet.
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