Ce serait un échec de vouloir enseigner le langage oral aux bébés

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John Holt était enseignant puis chercheur en sciences de l’éducation. Il fut un grand avocat des apprentissages autonomes et des apprentissages en dehors de l’école telle qu’elle est conçue dans nos systèmes traditionnels.

Dans son livre Comment l’enfant apprend, John Holt consacre un chapitre au langage dans lequel il s’interroge sur la manière dont les enfants apprennent à parler. Il affirme que, si nous nous mettions en tête d’apprendre (au sens d’enseigner comme à l’école) aux enfants à parler, ils n’apprendraient jamais rien.

 

Que se passerait-il si on enseignait le langage oral aux bébés comme on enseigne la lecture aux enfants ?

Comment s’y prendraient des pédagogues bien attentionnés pour apprendre à parler aux bébés et jeunes enfants

John Holt décrit la manière dont les pédagogues experts s’y prendraient pour enseigner le langage aux enfants (sur le modèle de ce qui a été fait pour l’enseignement de la lecture) :

Supposons que nous décidions qu’il faut enseigner aux enfants comment parler. Comment s’y prendrait-on ? Tout d’abord, un comité d’experts analyserait le langage et le découperait en un certain nombres de “compétences de langage”. On dirait probablement que, puisque le langage est composé de sons, on doit enseigner aux enfants à produire tous les sons de leur langue avant qu’on puisse leur enseigner comment parler la langue elle-même.

Nul doute qu’on listerait ces sons, d’abord les plus faciles et les plus courants, ensuite les plus compliqués et les plus rares. Puis on enregistrerait ces sons aux bébés en commençait par le début de la liste. Il se pourrait, pour ne pas perturber l’enfant, qu’on ne le laisse pas entendre beaucoup de discours anodin et qu’on ne l’expose qu’aux sons qu’on essaierait de lui enseigner.

A côté de la liste de sons, on aurait une liste de syllabes et une liste de mots.

Quand l’enfant aurait appris à produire tous les sons de la liste, on commencerait à lui enseigner comment combiner les sons en syllabes. Une fois qu’il saurait prononcer toutes les syllabes de la liste, on commencerait à lui apprendre les mots dans l’ordre de la liste. Dans le même temps, on lui enseignerait les règles de grammaire grâce auxquelles il pourrait combiner en phrases ces mots qu’il viendrait d’apprendre.

Tout serait planifié, sans aucune place laissée au hasard; il y aurait de nombreux exercices, de multiples révisions et interrogations orales pour s’assurer que l’enfant n’ait rien oublié.

Parallèle avec la lecture

Pour John Holt, les conséquences d’une telle manière d’envisager l’enseignement du langage oral seraient aussi catastrophiques que celle qui conduit de nombreux enfants à rejeter la lecture et à mal lire. Il écrit :

Supposons qu’on se lance là-dedans : que se passerait-il ? Tout simplement, la plupart des enfants se sentiraient vite déconcertés, découragés, humiliés et effrayés et cesseraient tout effort pour respecter les consignes. S’ils vivaient une vie d’enfant normale en dehors des salles de classe, nombre d’entre eux ignoreraient probablement notre enseignement et apprendraient d’eux mêmes à parler. Sinon, si notre contrôle sur leur vie était complet, ils se réfugieraient dans l’échec délibéré et le silence, comme ils sont nombreux à le faire quand on veut leur enseigner la lecture.

 

Comment le langage vient-il aux bébés et jeunes enfants ?

Selon John Holt, les jeunes enfants apprennent les mots en dernier. Il regrette que les adultes partent du principe que, puisque les mots sont les éléments du langage les plus petits et les plus simples, les humains apprennent les mots en premier quand ils apprennent à parler.

Pour John Holt, on apprend d’abord l’idée globale de communiquer par le langage, on apprend que tous ces bruits qui sortent de la bouche des gens ont une signification.

Ensuite, d’après le ton de la voix et le contexte dans lequel les gens parlent, on capte une idée très générale de ce qu’ils disent, exactement de la même façon qu’on peut dire dans un pays dont on ne parle pas la langue si un parent est en train de gronder son enfant, si des gens plaisantent ou de disputent, ou si quelqu’un donne une explication ou un ordre à quelqu’un d’autre.

Ensuite on commence à percevoir l’idée générale de la grammaire de la langue – c’est-à-dire sa structure.

Enfin seulement, on commence à apprendre des mots et à placer ces mots au bon endroit selon le modèle de grammaire très grossier qu’on a inventé.

 

Abandonner les intentions pédagogiques et juste vivre des interactions

John Holt formule quelques recommandations. D’après lui, les adultes doivent s’adresser aux bébés et aux enfants comme à des véritables personnes au lieu de leur parler comme des enseignants qui cherchent à enseigner à parler. Il faut d’abord que les bébés et les enfants réalisent à quoi sert le langage.

Si un discours est malhonnête, qu’il n’y a pas de sentiments authentiques derrière, ils ne le verront pas comme quelque chose qu’ils peuvent ou veulent utiliser eux-mêmes (et par conséquent ils apprendront peu de ce type d’interactions). Quand nous nous mettons en tête qu’il faut que les enfants “apprennent” quelque chose, il nous devient très difficile d’avoir des conversations authentiques, juste vivantes qui s’inscrivent dans des relations normales (et non pas des discours à visée pédagogiques et donc non spontanés “pour enseigner”).

John Holot insiste sur le fait que les bébés et les jeunes enfants aiment entendre les conversations des adultes et qu’ils restent souvent tranquillement assis pendant longtemps, simplement à les écouter. Si nous voulons aider les petits enfants quand ils apprennent à parler, nous pouvons leur parler – à condition de le faire de façon naturelle, sans but pédagogique – et les laisser rester près de nous quand nous parlons avec d’autres personnes.

 

Les hypothèses de John Holt ont été confirmées par les dernières découvertes en sciences cognitives (voir les travaux d’Alison Gopnik sur les compétences précoces des bébés) et les expériences des écoles misant sur les apprentissages autonomes (voir l’expérience de Bernard Collot à l’école publique française et les écoles démocratiques inspirées du modèle Sudbury).

Pour aller plus loin : Qui a le plus besoin de parler à l’école ? Et qui parle effectivement le plus ? (de la confiscation de la parole des enfants à l’école)

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Source : Comment l’enfant apprend de John Holt (éditions L’Instant Présent). Disponible en médiathèque, en librairie ou sur internet.

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