De la brutalité temporelle sur les enfants : ralentir et réfléchir à une éducation lente sont indissociables de la bientraitance éducative
Pacifier notre rapport au temps pour être bientraitant (envers les enfants comme envers nous-même)
Dans l’introduction de mon essai La co-éducation émotionnelle (éditions Hatier), je cite Thomas d’Ansembourg, formateur en Communication NonViolente, qui déclare qu’un des premiers enjeux de la non violence est de pacifier notre rapport au temps. Il ajoute d’ailleurs que les enfants ne s’appellent pas Dépêche-toi ! J’estime que ralentir et réfléchir à une éducation lente sont indissociables de la bientraitance éducative.
« Dépêche-toi, on va être en retard ! », « Mais tu n’as pas encore fini de manger ? », « On a rendez-vous chez le médecin, pas le temps de jouer ! »… Ces petites phrases quotidiennes pèsent lourd pour les enfants, et sont pour eux une source de pression supplémentaire qu’ils ont parfois du mal à comprendre. À ce titre, le Dr Catherine Dolto n’hésite pas à parler de « maltraitance temporelle » : « C’est une maltraitance de ne jamais prendre le temps, jamais avoir le temps. » – Aline Nativel Id Hammou (dans son livre La charge mentale des enfants)
Les conséquences de la brutalité temporelle sur les enfants
Nous avons rarement conscience que nous faisons aussi peser une brutalité temporelle sur nos enfants qui peut leur nuire à plusieurs titres :
- non respect de leur propre rythme d’apprentissage (Quand les adultes planifient à l’excès le temps des enfants, ceux-ci n’ont plus la possibilité de l’organiser ni de le gérer eux-mêmes pour faire les activités qu’ils souhaitent et dont ils ont naturellement besoin);
- stress chronique et fatigue intense;
- conflits et disputes entre parents et enfants, dégradant la qualité de la relation et l’ambiance familiale;
- perte de confiance en soi car l’enfant comprend qu’il est “trop” lent, “pas assez” doué;
- concentration fragilisée (Maria Montessori insiste sur les connexions faites dans le cerveau quand un enfant est concentré, dans le “flow”. L’enfant a besoin de répéter pour acquérir la maîtrise. L’enfant réalise la construction de sa personnalité quand il travaille tout seul sans crainte d’interruption ou de critiques.);
- croyances limitantes à long terme car l’enfant peut intégrer le fait que les choses doivent toujours être faites vite et se sentir contraint à se dépêcher toute sa vie (il peut aussi attendre des autres qu’ils se dépêchent et ne jamais les trouver à la hauteur de ses attentes);
- des confusions dans l’acquisition de la notion de temps et une perte de repères structurants car le repérage dans le temps est une construction sociale complexe que l’enfant va acquérir progressivement et dont il va se servir tous les jours (connaître son âge et sa date d’anniversaire, de savoir répondre à la question « quand ? », de planifier une action, de faire du lien avec et entre les événements, d’estimer une durée, de respecter des règles, comme être à l’heure…);
- impossibilité d’apprendre à gérer son temps quand on n’en dispose pas.
L’éducation requiert des moments sans temps
Le plaisir de vivre sans contrainte temporelle
Nous avons parfois tendance à oublier que prendre le temps de faire ses lacets, le temps de manger son petit déjeuner, le temps de dessiner, le temps de marcher sans sa poussette, le temps de dire au revoir à ses amis à la sortie de la garderie ou de l’école, le temps de se faire un câlin… est essentiel pour les enfants. L’éducation requiert des moments sans temps comme par exemple : lire pour le simple plaisir de lire, pas pour remplir une fiche ou faire un résumé. Le temps ne doit pas toujours être organisé, rentabilisé, utile ou éducatif. Les temps visiblement “non productifs” sont essentiels pour consolider les apprentissages et simplement vivre.
Du temps familial en quantité autant qu’en qualité
Par ailleurs, on peut parler de brutalité temporelle quand le rythme quotidien empêche les membres de la famille non seulement de passer du temps en quantité mais également en qualité. S’y l’on n’y prend pas garde, le temps passé en famille peut se réduire à des “temps d’action” : certes, on est présent aux côtés des enfants pour les faire manger, les emmener à l’école, suivre les devoirs, leur faire prendre le bain…mais y-a-t-il du temps et de l’espace pour des gestes tendres, lents, nourrissants l’âme ? On peut lire dans certains magazines que ce n’est pas la quantité de temps passé avec les enfants, que ce serait plutôt la qualité mais, si on y réfléchit bien et qu’on transpose la situation à la relation de couple, accepterions-nous aussi facilement cette allégation : “ce n’est pas grave si vous ne passez pas beaucoup de temps avec votre conjoint, parlez 10 minutes chaque soir avec lui et cela suffira à remplir son réservoir affectif (et le vôtre)” ?
Les enfants ont des besoins affectifs et émotionnels, au-delà des besoins physiologiques et des contraintes scolaires. Ils ont besoin d’être simplement avec leurs parents, sans rien « faire » de particulier, mais juste pour partager, jouer, rire ensemble, parler de manière informelle de tout et rien…
Lire aussi : 14 propositions pour remplacer les “Dépêche-toi” et autres “Moi, je m’en vais !”
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Pour aller plus loin : La charge mentale des enfants : quand nos exigences les épuisent de Aline Nativel Id Hammou (éditions Larousse). Disponible en médiathèque, en librairie ou sur internet.
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