Ce que Cécile sait : journal de sortie d’inceste
La lecture de ce livre sur l’inceste ne vous laissera pas tout à fait indemne. Cécile Cée, artiste et militante, l’a conçu sous la forme d’un cahier illustré mêlant efficacement des anecdotes personnelles et du contenu théorique. Elle y livre un exposé éclairant sur ce qu’est le système inceste. Il ne s’agit pas simplement d’une histoire de sexe entre deux membres d’une même famille.
Un livre pour comprendre l’inceste dans son ampleur
Le plus souvent, dans l’imaginaire collectif, on se représente l’inceste sous la forme d’un père agressant sexuellement sa fille. Pourtant, Cécile Cée nous prévient dès les premières pages : “l‘inceste, c’est avant tout un rapport à la vérité et au silence.” Elle nous rappelle également l’ampleur des agressions sexuelles au sein des familles : deux à trois enfants par classe en France. Elle avance le chiffre de 99,07% des violences sexuelles sur enfant non condamnées.
L’inceste, ce n’est JAMAIS une histoire entre deux individus. C’est toujours une histoire de famille, de domination, de savoir qui commande et qui regarde ailleurs. – Cécile Cée
On comprend parfaitement grâce à la démonstration illustrée à base de récit personnel, de citations littéraires (Neige Sinno, Camille Kouchner, Vanessa Springora…) et de références théoriques qu’il n’y a pas d’inceste sans tabou, sans mensonge. Les silences sont paradoxaux dans le sens où tout est su, pas même toujours tu, mais les actes incestueux ne sont pas dénoncés comme une situation criminelle et violente. Cécile Cée écrit qu’une des caractéristiques du système incestuel est la “coupure de la pensée“, si bien que les liens entre des événements et des concepts (moraux ou légaux par exemple) sont empêchés. Or les sciences cognitives insistent précisément dans la capacité à faire des liens et des associations d’idées dans la définition de l’intelligence. C’est la lucidité même qui est empêchée et, en poussant le raisonnement, la folie est une réaction normale face à cette perte de lien avec la raison. Ce mécanisme est à l’oeuvre au niveau des foyers familiaux, mais également au niveau public. Paul-Claude Racamier, psychiatre, parle d’un “hyper paradoxe” pour désigner “l’activité en apparence anodine et publique dans laquelle s’exhibe en se cachant la relation interdite”. Cécile Cée prend l’exemple des Gainsbourg : faire passer pour de l’art les démonstrations publiques incestuelles interdit de réfléchir et de mettre au jour l’inacceptable et le régime de terreur imposé aux vulnérables.
Cécile Cée insiste à plusieurs reprises sur les chiffres de l’inceste : un enfant sur dix victimes en France, ça veut dire que cela arrive dans toutes les familles, qu’on connait tous et toutes des victimes d’incestes (et des agresseurs). Selon Juliet Drouar, autrice du livre La culture de l’inceste, 80 à 85% des agressions sexuelles seraient des incestes. Cécile Cée évoque les violences dans les familles incestueuses, les morts subites ou accidentelles, les maladies mentales (comme la schizophrénie), ou les noeuds dans les arbres généalogiques (attestant de relations filiales brouillées).
Les agressions sexuelles entre mineurs d’une même famille.
Dans son livre sur l’inceste, Cécile Cée aborde la question des agressions sexuelles entre mineurs. Elle reprend les mots de Dorothée Dussy, anthropologue et autrice du livre Le Berceau des Dominations, pour affirmer que le touche-pipi n’existe pas (entre frères et soeurs, entre cousins et cousines) et qu’utiliser cette expression, c’est euphémiser la violence sexuelle en la faisant passer pour un jeu innocent entre enfants. Or un jeu implique une réciprocité, une compréhension des règles et une possibilité de ne plus jouer. Pour les personnes qui ont étudié l’inceste, il ne peut jamais y avoir d’inceste consenti, que ce soit entre mineurs ou entre un mineur et un majeur. Le terme d’inceste heureux ne sert qu’à silencier les victimes et à brouiller la conscience des observateurs, qu’ils soient proches ou extérieurs à l’entourage.
L’incestuel
Cécile Cée s’appuie sur les travaux de Paul-Claude Racamier, psychiatre, pour décrire les mécanismes de l’inceste à partir du concept de l’incestuel.
L’incestuel, c’est un climat […] Des manipulations au grand jour dont l’intimité reste secrète […] L’incestuel n’est pas forcément génital, mais ne s’arrête pas non plus au fantasme; c’est un registre qui peut inclure l’activité proprement incestueuse, mais cette inclusion n’est ni nécessaire ni suffisante […] – Paul-Claude Racamier
Ainsi, l’incestuel englobe la prise de photos dans des tenues, poses ou situations qui touchent à l’intégrité de l’enfant (photo de l’enfant nu par exemple), des paroles ou textes suggestifs ou relevant de la sexualité devant les enfants (notamment le fait de laisser traîner des photos ou des magazines qui abordent des thématiques relatives à la sexualité), ou encore des demandes liées à la curiosité sexuelle de l’adulte agresseur (montrer un endroit du corps, être touché intimement, regarder faire pipi…)
La justice patriarcale
Cécile Cée souligne que les gestes sexuels sans pénétration sont moins punis que les pénétrations, non pas parce qu’ils produisent moins de traumatisme pour la victime, mais parce qu’ils procurent moins de plaisir aux hommes. C’est aussi valables pour les situations ambiguës relevant de l’incestuel qui peuvent pourtant être traumatisantes et laisser des traces dans le psychisme des victimes, d’autant plus que l’impossibilité de saisir l’incestualité peut littéralement rendre fou. C’est un de effets de la justice patriarcale.
Cécile Cée aborde la question de la dénonciation de l’inceste. La CIIVISE, Commission Indépendante sur l’Inceste et les Violences Sexuelles faites aux Enfants, estime que dans 1/3 des cas, la mère protège l’enfant. En conséquence, dans 2/3 des cas, les mères ne font rien pour faire cesser les violences sexuelles sur leur enfant. Cécile Cée rappelle que les mères sont prises dans les mêmes mécanismes psychiques, sociaux et culturels qui nous traversent en tant que membre d’une société qui ne veut pas savoir. Voir, entendre et révéler demande une posture révolutionnaire : c’est comme trahir le grand secret qui fait tenir l’édifice familial et social et c’est un ébranlement intime. De plus, une femme qui dénonce l’inceste subi par un de ses enfants a de grandes chances d’être soupçonnée de manipuler son enfant. La crainte de ne pas être crue, de se voir retirer son enfant, d’être calomniée et rejetée de la cellule familiale est un frein construit socialement. Par ailleurs, c’est facile pour le corps social de blâmer les mères qui ne dénoncent pas. Une mère qui ne révèle rien devient presque plus coupable que l’agresseur sexuel.
L’amnésie traumatique
Cécile Cée aborde également la question de l’amnésie traumatique et parle d’un crime sans coupable car la mémoire a effacé les détails du crime, mais le corps et le cerveau en portent encore les traces. Pour elle, la sortie d’amnésie n’est pas passer d’un point de départ à un point d’arrivée par une porte, mais c’est plutôt un long tunnel.
Sortir d’inceste, c’est bien plus que sortir d’amnésie. C’est sortir du déni, sortir de l’emprise, sortir de la honte, sortir de la culpabilité, sortir des récits dominants et de la viscosité. – Cécile Cée
Ce livre nous secoue et nous perturbe, il nous demande de nous interroger sur notre propre complicité, il nous invite à ne plus laisser les agresseurs agir dans l’impunité et à non seulement croire les victimes, mais aussi agir (soutenir émotionnellement les victimes adultes qui sortent d’amnésie et les mères qui révèlent, repérer les enfants victimes, signaler).
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Ce que Cécile sait : journal de sortie d’inceste de Cécile Cée (éditions Marabout) est disponible en médiathèque, en librairie ou en ecommerce.
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