Choisir de ne pas être obéi n’implique pas de ne pas être entendu par les enfants.

Choisir de ne pas être obéi n'implique pas de ne pas être entendu par les enfants.

Crédit illustration : freepik.com

 

Un mouvement de double considération : pour l’enfant et pour soi

Elfi Reboulleau est psychothérapeute spécialisée dans le soutien à la parentalité et a écrit le livre Qu’est-ce que l’âgisme ? Reconnaître et prévenir les discriminations liées à l’âge. Elle s’étonne de constater à quel point, si l’on enlève l’autorité et sa violence quand on parle d’éducation, il semble ne plus rien rester dans l’esprit commun. Selon elle, renoncer à l’autorité n’est pas synonyme d’absence. Elle insiste sur le fait que choisir de ne pas être obéi n’implique pas de ne pas être entendu. C’est précisément l’inverse : la qualité d’écoute et de présence des adultes ouvre la voie à un lien de confiance et de respect réciproque. Il ne s’agit plus de choisir des mots pour être écouté (“écouté” étant souvent juste un autre mot pour dire “obéi”) mais d’un mouvement de double considération : en même temps, considérer un enfant dans son intégrité d’humain pour entendre ce qu’il vit et aussi considérer notre propre intégrité pour lui communiquer ce que nous vivons.

Dans ce contexte, les demandes ne sont plus des ordres mais réellement des demandes qui peuvent entendre un “non”, un “plus tard” ou un “pas comme ça” (mais aussi un “oui”, ça arrive parfois !). Un enfant considéré apprend à considérer les autres. Un enfant dont l’intégrité et la dignité sont respectées apprend à respecter l’intégrité et l’intégrité des autres.

Quand les enfants ne sont pas contrôlés par une autorité qui sait mieux et l’impose par la force ou la manipulation, ils ne deviennent ni enfants-rois ni enfants-esclaves mais juste des membres d’un groupe d’individus qui avancent ensemble. – Elfi Reboulleau

C’est bien la force du mimétisme : nos actes et nos façons d’être ont plus d’influence que les discours ou les leçons de morale. Ces discours sont hors sol parce que, souvent, ils ne disent rien de plus que “fais ce que je dis mais pas ce que je fais”. C’est le cas quand nous disons aux enfants en haussant la voix  qu’ils doivent se taire ou se calmer.

Un changement complet de paradigme

Elfi Reboulleau nous rappelle que choisir de ne plus être autoritaire ne signifie pas être démissionnaire mais que c’est un changement de paradigme, une nouvelle manière de raisonner et que ce nouveau paradigme va de pair avec une exigence plus accrue. En effet, laisser de la liberté aux enfants est un positionnement à la fois exigeant en termes de travail sur soi et difficile en termes de jugement social (la liberté des enfants étant très suspecte et accusée de tous les maux de notre société… et donc les parents de laxistes, presque criminels parce que les enfants deviendront des criminels ou des assistés).

Il est en fait plus facile de ne pas s’interroger sur la légitimité des limites imposées aux enfants (“c’est comme ça et c’est pas autrement parce que les parents décident, un point c’est tout”) ou de ne pas se responsabiliser vis-à-vis de nos émotions qui émergent face aux comportements des enfants. Ce n’est pas facile de se demander :

  • en quoi mon enfant appuie-t-il là où ça fait mal ?
  • qu’est-ce que mes explosions disent de moi ? de mes croyances ? de mon histoire ? de mes blessures ?
  • pourquoi est-ce que ma mémoire traumatique s’allume à chaque colère de mon enfant ou pleurs de mon bébé ?
  • de quoi ai-je réellement peur quand mon enfant ne fait pas ses devoirs ? qu’est-ce qui m’empêche de me rendre compte que les apprentissages que fait mon enfant relèvent de sa propre responsabilité ?
  • quel est le niveau de mon énergie, de mon réservoir affectif ?
  • est-ce que je crie sur mon enfant pour sa “bêtise” ou parce que je suis fatigué, énervé, trop seul, insatisfait par la tournure que prend ma vie ?

 

Parfois, une présence adulte, même animée de bonnes intentions, peut être maladroite.

Une nécessaire confiance dans les compétences de l’enfant

La simple quantité de présence ne suffit pas, la qualité importe. Parfois, une présence adulte, même animée de bonnes intentions, peut être maladroite. Ce qui est à réévaluer, ce sont les comportements automatiques et déconnectés de la personne que l’on a en face de nous, affirme Elfi Reboulleau. Ce qui compte, c’est l’intention de prendre l’autre au sérieux (comme ne pas se moquer de ses peurs, entendre ses refus, respecter ses sensations comme la faim ou le sommeil…).  Cette intention et cette prise de l’enfant au sérieux passent par une nécessaire confiance dans les compétences de l’enfant.

J’ai observé une infinité d’interventions adultes inutiles, appuyées sur le principe qu’un enfant ne peut pas faire seul, ce qui l’empêcherait précisément de gagner en autonomie. Par exemple, sur toutes les petites choses du quotidien : refuser à un enfant la liberté de s’habiller seul, parce qu’il prendra un peu plus de temps pour le faire que si on le fait pour lui et choisira ses vêtements selon un sens du pratique ou de l’esthétique qui nous dépasse; empêcher un enfant de se nourrir seul, avec ses mains, en en mettant  un peu de partout au début, ce qui n’est pas des plus “pratique” mais lui permet de manger à son rythme; anticiper le mouvement d’un enfant qui souhaite se déplacer à sa façon d’un point A à un point B et que rapidement on porte à destination sans se soucier de son processus; intervenir systématiquement entre deux enfants qui font l’expérience ô combien instructive du conflit et qui n’ont pas cinq minutes pour essayer de négocier le partage d’un espace ou d’un jouet avant qu’un parent super-héros n’intervienne avec des solutions toutes faites. Si l’on observe bien, des interventions de ce type se trouvent un peu partout, et se font toujours sous couvert de venir en aide à l’enfant.- Elfi Reboulleau

La dimension politique de ce paradigme d’éducation

Mais cette attitude nécessite de regarder le modèle éducatif dominant avec un œil critique, quitte à être bousculé, en se laissant traverser par les peurs, la colère, la tristesse ou encore la honte que cet inconfort provoque. Ces émotions sont justement là pour nous dire que quelque chose cloche et donnent des indices sur ce qu’il y a à changer. Quand nos valeurs et nos actes seront alignés, ces émotions désagréables disparaîtront.

La démarche première consiste à se renseigner sur le fonctionnement et les besoins d’un enfant, et à accepter aussi d’entendre ce qui ne nous arrange pas forcément. – Elfi Reboulleau

Cette démarche peut amener à bouleverser les habitudes de vie bien au-delà de la manière d’éléver les enfants comme changer d’entourage direct, se reconvertir professionnellement, entrer en politique, déménager, choisir l’instruction en famille, créer une école parentale ou un écolieu… L’éducation est résolument politique.

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Source : Qu’est-ce que l’âgisme ? Reconnaître et prévenir les discriminations liées à l’âge de Elfi Reboulleau (éditions Le Hêtre Myriadis). Disponible en médiathèque, en librairie ou sur internet (site de l’éditeur)

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