Le prix des rapports de force est lourd à payer dans l’éducation.

comment faire sans coin éducation

Crédit illustration : freepik.com

 

Le prix à payer pour les rapports de force où les forts maltraitent les faibles est toujours élevé à plus ou moins long terme à tous les niveaux. Au niveau individuel, c’est une lutte toute la vie contre la honte, une baisse de l’estime de soi, un apprentissage de la maltraitance émotionnelle comme une manière d’aimer et d’être aimé et une coupure avec la vie émotionnelle interne. Au niveau familial ont lieu une dégradation de la qualité des relations familiales, un amour remplacé par des jeux de pouvoir, une escalade dans des punitions toujours plus fortes – au risque de passer aux châtiments corporels plus violents pour la même efficacité. Au niveau sociétal, il s’agit d’un apprentissage de la loi du plus fort, où les humains en manque d’amour véritable sont plus vulnérables aux discours marketing et/ou de propagande, d’un apprentissage de la soumission et d’un brouillage du sens éthique.

On ne peut pas influencer un enfant de manière positive tant qu’on n’a pas créé une connexion authentique, sincère avec lui. La plupart du temps, il est plus efficace d’arrêter de se focaliser sur le comportement inapproprié et de plutôt penser à nourrir la relation, à restaurer le lien rompu, à penser au contexte. Nous pouvons également réfléchir aux comportements adultes que les enfants voient et entendent : ces comportements sont-ils dignes d’être copiés ?

Comment faire autrement (sans punition, ni chantage ou mise au coin) ?

Je vous propose d’explorer quelques alternatives bientraitantes à l’isolement forcé (le “coin”), aux punitions et au chantage.

-> Utiliser la “force protectrice” si besoin (Expression de Marshall Rosenberg in Les mots sont des fenêtres (ou bien ce sont des murs), Éditions la Découverte, 2016)

Un enfant qui se comporte mal n’a pas besoin d’être exclu de la relation, mais d’être arrêté, puis qu’un adulte lui indique une autre direction : « Je ne te laisserai pas frapper/insulter/casser/faire du mal. Tu peux dire les choses avec des mots, dis comment tu te sens et de quoi tu as besoin. » Quand la situation le demande, on peut prendre l’enfant dans les bras pour l’empêcher de commettre une action : frapper une autre personne, manipuler un produit dangereux, traverser une rue sans regarder… L’utilisation de la « force conservatrice » va provoquer une crise d’impuissance, de frustration et de colère que nous sommes capables d’accueillir car nous savons que ces émotions sont précisément la manière que l’enfant a de restaurer son intégrité. Les gestes calmes sont plus efficaces que les grands discours ou la violence – par exemple, retirer un objet des mains avec douceur.

-> S’assurer que le cadre et l’environnement de l’enfant sont propices à la satisfaction de ses besoins fondamentaux

La manière dont est aménagée l’environnement dans lequel évolue l’enfant doit réduire les obstacles au minimum et permettre à l’enfant d’exercer son pouvoir personnel. Une grande frustration peut apparaître chez lui quand un obstacle s’oppose à son fonctionnement intérieur (manque de place pour se dépenser physiquement par exemple), à sa volonté de réaliser une action (accrocher seul son manteau au portemanteau par exemple) ou est source de stress (être forcé à manger vite).

-> Les adultes sont responsables de la qualité de la relation avec l’enfant

Plus un adulte est empathique, bienveillant et souple sur les émotions tout en exprimant des attentes claires sur les comportements (« On marche sur le bord de la piscine; on ne court pas » ; « On caresse avec les mains »…), plus l’enfant se montrera lui-même empathique. De plus, nous pouvons nous tenir prêts à accompagner la colère de l’enfant qui a été empêché et à qui on a dit « non ».

-> Les enfants ont besoin de consignes et de démonstration des attentes en termes de comportement

On peut préciser : « Là, tu peux faire comme ça et, ensuite, tu peux… » Parfois, une règle n’est pas comprise parce qu’elle n’a pas de sens pour l’enfant. Lui demander « Sais-tu pourquoi je demande de… ? » permet de s’assurer qu’il en saisit l’intérêt pour lui et pour les autres.

-> Réorienter vers une activité autorisée qui satisfait le besoin d’expéri- menter de l’enfant

Une bassine remplie d’eau avec quelques objets à vider et à remplir peut captiver un petit enfant pendant des heures. C’est en l’observant que nous découvrirons ce qu’il préfère et que nous pourrons aménager l’espace et des activités en conséquence.

-> Donner des informations

On peut expliquer (quitte à se répéter souvent) :

« Le règlement est : interdit de pousser/taper/pincer/mordre. Tu peux dire les choses avec des mots » ;

« Quand tu as un problème, tu peux… ou… (t’éloigner, appeler de l’aide, dire stop, courir dehors…) » ;

« Tu peux toujours m’appeler à l’aide si tu sens l’envie de taper monter fort en toi » ;

« On ne joue à la bagarre que quand tous les participants sont d’accord et on joue pour de faux » ;

« Ah oui, c’est rigolo de… et ça, c’est dangereux » ; « Tu as l’air super fâché. Tu peux le dire sans insulter » ;

« La règle est celle-ci dans ce lieu. Avant de te laisser y aller, j’ai besoin d’avoir l’assurance que tu la respecteras » ;

« Pour éviter de dire des gros mots, je te propose de jurer pour toi tout seul dans ta tête ou alors tu peux aller dire des gros mots dans les toilettes. Qu’est-ce que tu en penses ? Tu as d’autres idées de ce que tu pourrais faire ? »

-> Être attentif aux signes de fatigue, d’excitation, de réservoir émotionnel vidé

Quand on sent une irritabilité, un enfant au bord des larmes, une excitation…, on peut anticiper d’éventuels comportements inappropriés en donnant un câlin, en changeant d’activités, en donnant à manger ou à boire, en s’aérant, en lisant une histoire, en faisant un jeu calme ou, au contraire, en se défoulant… Nous avons tendance à vouloir calmer les enfants quand ils sont agités, mais ils ont surtout besoin de libérer de l’énergie et décharger leur agressivité. Gribouiller, sauter, courir, mettre la tête en bas, s’étirer, taper des pieds, pousser fort contre un mur, crier… sont des approches efficaces pour éviter l’effet cocotte-minute.

-> Enrichir le vocabulaire des émotions des enfants

Cela leur permet de les exprimer avec le plus de précision possible.

-> Créer un espace de retour de calme avec des outils qui permettent aux enfants de se sentir mieux

On peut proposer des livres, des feuilles et des crayons, des doudous à caresser, une balle antistress à malaxer, une plume ou une paille à souffler, un dessin de postures de yoga, un casque antibruit… L’idée de cet espace de retour au calme est de proposer aux enfants de s’isoler de manière volontaire, s’ils en ressentent le besoin (seuls ou avec un adulte, mais toujours sur la base du volontariat, sans l’imposer) et de leur permettre d’avoir un lieu ressource dans lequel ils peuvent aller en toute autonomie. L’adulte pourrait alors leur demander : « J’ai l’impression que tu as besoin d’un temps calme. Est-ce que cela t’aiderait d’aller dans l’espace de retour au calme ? Si tu veux, je peux t’y conduire/t’accompagner. » L’enfant a le droit de refuser, et aussi celui de vouloir s’isoler sans personne autour de lui.

-> Anticiper les situations à risque

Par exemple, on peut prendre des coloriages ou des petits jeux dans une salle d’attente, formuler des scénarios à l’avance et trouver des solutions avec l’enfant : « Et si ta cousine te prend tes jouets, tu risques d’être très énervée. Qu’est-ce que tu pourrais faire ? Et quoi d’autre ? Qu’est-ce que tu pourrais faire quand tu es énervée au point d’avoir envie de taper ? »

-> Faire preuve d’empathie en envisageant les choses du point de vue de l’enfant, puis pratiquer l’écoute empathique

On peut lui dire : « Ça te rend furieux quand… et tu as envie de taper/crier/casser tellement tu es en colère. C’est tellement difficile de devoir partager ta chambre/supporter ton petit frère qui casse tes constructions. Tu as l’impression que ton frère prend toute mon attention / et que je ne te consacre pas assez de temps. »

-> Quand la situation devient explosive, il est possible de s’éloigner AVEC l’enfant sans le laisser seul.

L’idée est de rester aussi calme que possible et d’accompagner la crise de l’enfant avec empathie en reconnaissant ses émotions. Il s’agit de se connecter émotionnellement avant de chercher à rediriger le comportement. Cela peut se faire sous forme de suggestions : « Peut-être qu’on pourrait… / Peut-être que tu pourrais… /On y retournera quand tu seras prêt. » Ce dont les enfants ont le plus besoin quand ils sont bouleversés et submergés par leurs émotions est d’avoir des adultes calmes autour d’eux. J’aime cette phrase de L. R. Knost qui dit que, quand les enfants sont submergés par des émotions fortes, notre devoir est de partager notre calme, pas de les rejoindre dans le chaos.

-> Donner des signes non verbaux plutôt que de vouloir parler à tout prix

Parfois, les enfants sont dans une telle rage qu’ils refusent tout contact physique. Il est toutefois possible de passer le message d’amour aux enfants avec des expressions faciales exprimant l’empathie et la chaleur (sourire, regard droit et pas fuyant…), une voix douce. Une des façons les plus rapides d’inspirer la confiance et l’absence de menace consiste à se positionner en dessous du niveau des yeux de l’enfant et à choisir une posture corporelle décontractée et apaisante. Sans même ouvrir la bouche, nous en disons déjà long. Souvent, une présence silencieuse et patiente est la meilleure façon de développer l’intelligence émotionnelle, car nous offrons la démonstration qu’il est possible de ne pas se laisser emporter par les émotions fortes.

Bien sûr que cela peut être difficile et il est conseillé, quand les émotions parentales sont trop fortes, de passer le relais. Quand c’est impossible, il nous reste l’option de signifier nos limites personnelles et nos besoins dans le respect de l’enfant : « Je sens la colère monter en moi et j’ai besoin de calme. Je sors quelques instants pour me calmer et je reviens quand ça ira mieux. » L’approche est totalement différente d’une mise au coin ou d’une exclusion : le parent à bout se protège lui-même ainsi que son enfant en exprimant ses limites personnelles et ne prive pas ce dernier d’amour.

-> Trouver des solutions (un apprentissage plus efficace que la répression)

Apprendre aux enfants à chercher des solutions plutôt que les punir ou les isoler présente plusieurs bénéfices. D’abord, ils apprennent l’entraide dans le but d’améliorer leur comportement de façon plus respectueuse envers l’ensemble du groupe (fratrie, famille et plus globalement société) et pas seulement pour leur propre bénéfice. Puis ils réfléchissent en termes de règles bonnes pour le vivre ensemble. La délation et les accusations sont donc remplacées par la recherche de solutions. Ainsi, les enfants déploient leur créativité dans cette recherche – et non pas dans des mensonges ou des stratégies d’évitement des punitions –, apprennent que tout le monde a le droit de faire des erreurs et que l’important est de trouver des solutions à la fois pour réparer et pour éviter que le problème ne se représente à nouveau. Ils se voient comme faisant partie de la solution (plutôt que juste comme des problèmes) et ils se concentrent sur l’avenir – pas d’accusation ni de discussion à propos du passé, mais une solution pour le futur.

Il est important d’impliquer (et pas juste de consulter) les enfants dans la recherche de solutions. Le point crucial est de trouver une solution acceptable pour tout le monde, enfants inclus. Parents et enfants doivent pouvoir exprimer leurs peurs, leurs réticences et leurs oppositions face à une proposition. Trouver des solutions peut passer par des échanges de ce type :
 • « Toi, tu préférerais faire ceci et, moi, je préférerais faire cela. Nous avons un problème ! Je crois que nous avons besoin de trouver une solution. »
 • « Nous avons besoin de trouver comment réagir quand cela se passe comme cela. Est-ce que tu as une idée ? »
 • « Que pouvons-nous faire pour que tu puisses… et, en même temps, pour que je sois certaine de… ? »

Plus nous pratiquerons cette approche, plus elle nous semblera familière et moins nous aurons besoin de passer par un temps de recherche de solutions trop formel. Cette démarche de résolution de conflit est efficace à deux conditions :
• ne pas s’attendre à ce que les enfants fassent exactement ce à quoi ils s’étaient engagés, parce qu’ils ont besoin de temps pour apprendre de nouvelles habitudes et que leur impulsivité est incompatible avec des engagements fermes (surtout avant 7 ans, le fameux « âge de raison », mais cela reste vrai après cet âge) ;
• réfléchir à ce qui peut être fait en cas d’échec, sans que cela passe par une leçon de morale ou une punition – si les enfants n’arrivent pas à appliquer les solutions qu’ils avaient eux-mêmes trouvées, c’est bien qu’il y a une raison : une insuffisance normale de maturité, une impulsivité encore trop grande, un manque d’entraînement, un défaut de sens sur les conséquences, un développement moteur qui ne leur permet pas encore de rester tranquilles ou de maîtriser tout à fait les gestes…

En cas de problème insoluble, de résistance ou d’échec dans l’application de la solution, le raisonnement en termes d’émotions et l’écoute empathique restent toujours efficaces et peuvent soutenir la recherche de solution.

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Cet article est un extrait de mon livre La co-éducation émotionnelle : s’élever en même temps qu’on élève les enfants (éditions Hatier). Il est disponible en médiathèque, en librairie ou sur internet.  La lecture de mon livre vous donnera des pistes pour raisonner autrement face aux comportements des enfants qui nous mettent en difficulté (avant de chercher à plaquer des astuces et conseils au risque de constater que “l’éducation positive, ça ne marche pas”).

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