Comment différencier les émotions primaires des réactions parasites et des décharges de stress chez les enfants ?
Les émotions : une définition
Isabelle Filliozat aime à le répéter : toutes les réactions des enfants ne sont pas toujours émotionnelles ! Une émotion est une réaction physiologique qui permet de se protéger et de se réparer.
L’émotion est une structure en 3 étapes :
- la charge : quand ça monte à l’intérieur, quand on ressent les sensations corporelles liées à l’émotion (gorge sèche, rythme cardiaque qui s’accélère…)
- la tension : on utilise l’énergie de l’émotion dans une action, une parole, un comportement
- la décharge : le moment où l’on pleure, crie, tremble… La décharge n’est que la 3° partie de l’émotion, c’est l’étape qui permet le retour au calme.
Quand on est face à un enfant, il s’agit alors de ne pas empêcher cette 3° étape qui est souvent confondue avec l’émotion elle-même. L’enfant a besoin de se décharger pour ne pas rester en tension. Comme cette tension n’est plus utile, elle doit pouvoir sortir du corps en s’extériorisant.
Par exemple, pleurer fait du bien suite à un choc, à une peur, à une douleur, même suite à une forte joie.
Isabelle Filliozat considère qu’il existe six émotions primaires qui ont toutes une fonction vitale et qui sont annoncées par des sensations corporelles.
La différence entre émotions primaires et réactions émotionnelles parasites
Isabelle Filliozat différencie bien ces deux choses :
1. Les émotions primaires
Les émotions primaires sont des réactions adaptatives qui viennent de l’intérieur pour s’exprimer à l’extérieur. La décharge de l’émotion est à écouter : pleurer, ça fait du bien !
2. Les réactions émotionnelles parasites
Les crises sont des réactions émotionnelles inappropriées et disproportionnées. Ce sont des décharges de stress dûes à un cerveau saturé et désorienté.
Contrairement aux émotions primaires qui sont à accueillir et écouter, les réactions parasites nécessitent une recherche de la cause pour permettre à la vraie émotion (l’émotion cachée, secondaire) de sortir. C’est à nous parents de réfléchir avec notre cerveau d’adultes :
- est-ce que mon enfant est vraiment en train de pleurer pour ça ?
- qu’est-ce qui se passe vraiment ?
- de quoi mon enfant m’a-t-il parlé avant ?
Les comportements de nos enfants ont toujours des raisons d’être : les comportements sont comme la partie émergée d’un iceberg et les raisons d’être sont la partie immergée.
En pratique, reconnaître les émotions et le stress
Isabelle Filliozat donne quelques pistes pour différencier une émotion d’une réaction émotionnelle parasite ou d’une décharge de stress :
- Une émotion primaire (saine et légitime) ne dure jamais plus de quelques minutes.
Si des pleurs, des tremblements, des « pleurnicheries » durent plus de quelques minutes, il s’agit d’une réaction parasite.
- Quand on est capable de comprendre la réaction de l’autre (qu’elle nous parait légitime, proportionnée et qu’on s’imagine avoir pu éprouver cette émotion là dans les mêmes circonstances), alors il s’agit d’une émotion.
Si on est démuni devant le comportement de l’enfant, alors il ne s’agit plus d’une émotion mais d’une réaction émotionnelle parasite ou d’une décharge de stress.
- Quand une réaction est systématique en toute circonstance (par exemple, pleurer à chaque frustration pour un enfant de plus de 3 ans), il ne s’agit pas d’une émotion à visée protectrice ou réparatrice.
Isabelle Filliozat évoque plutôt une réaction parasite liée à un manque de pouvoir personnel ou à un réservoir affectif vide (par exemple, lors de l’arrivée d’un cadet et que l’aîné se sent laissé de côté).
- Quand une écoute active et empathique (qui accueille et reflète les émotions de l’enfant) est inefficace à calmer l’enfant, il ne s’agit pas non plus d’une émotion.
Dans le cas d’une tempête émotionnelle parasite ou d’une décharge de stress, l’empathie n’est pas utile (les menaces, l’isolement et les punitions encore moins). L’enfant perd le contrôle de lui-même. Cette perte de contrôle n’est pas une colère, ni un signe de mauvaise volonté ou un “caprice”.
- Quand l’enfant s’agite dans tous les sens, se roule par terre, est comme “possédé”, il est en proie à des réactions émotionnelles parasites.
L’enfant peut pleurer, taper des pieds, crier, trembler, peut avoir envie de taper sous le coup de la colère, mais la décharge d’une émotion primaire ne part pas dans tous les sens et est courte dans le temps.
Faire face aux tempêtes émotionnelles et aux décharges de stress
Quand l’enfant ressent au cours de la journée un mille feuille d’émotions sans possibilité de les exprimer (à l’école ou à la crèche par exemple), les émotions restent en tension. Quand la figure principale d’attachement réapparaît (la mère le plus souvent), l’enfant se sent assez en sécurité pour relâcher les tensions et libérer l’expression émotionnelle.
C’est justement dans ces moments-là que nous pouvons être le plus désemparés car nous ne comprenons pas l’enfant (rappelons-nous qu’une des caractéristiques des réactions parasites est de nous rendre démunis) et car nous n’arrivons pas à calmer l’enfant avec des paroles (le stress fait “disjoncter” le cerveau et l’enfant n’a plus accès à ses capacités supérieures de réflexion… qui sont par ailleurs moins développées que celles des adultes !).
Isabelle Filliozat propose plusieurs pistes pour faire face efficacement aux décharges de stress des enfants :
1.La tendresse
L’enfant a besoin de carburant dans son réservoir affectif. Pour expliquer l’attachement des enfants aux parents, Lawrence Cohen, psychologue américain, utilise l’image du réservoir d’amour à remplir chaque fois qu’il se vide. La figure primaire d’attachement de l’enfant est la station d’essence auprès de laquelle l’enfant a besoin de s’approvisionner.
Le réservoir de l’enfant est vidé par la faim, la fatigue, l’isolement, la séparation, le stress, les disputes, des blessures, des écorchures… Et une personne dont le réservoir affectif est vide aura tendance à être plus sensible, à chercher de l’affection et de l’attention par des moyens plus ou moins efficaces, à être plus irritable, moins coopérative.
La réponse en urgence face au stress est donc la tendresse : idéalement un câlin, mais un regard attentif, empathique et tendre peut déjà commencer à calmer l’enfant.
2.Des ressources : souffler
La parentalité positive, c’est fournir des ressources pour que les enfants sachent les utiliser en situation. – Isabelle Filliozat
On peut enseigner des techniques de retour au calme aux enfants. Cet enseignement se fait toujours en dehors des crises et cela prend du temps ! On peut par exemple proposer aux enfants pendant quelques temps de jouer à souffler dans une paille, puis dans un ballon, puis sur une bougie imaginaire. L’idée est d’enseigner aux enfants à maîtriser leur souffle et de leur offrir une palette de possibilités qu’ils pourront solliciter en cas de besoin.
Montrer l’exemple est par ailleurs le meilleur moyen d’inciter les enfants à gérer leurs états émotionnels : quand nous sommes énervés (voire franchement excédés), pensons à réagir de la manière dont nous aimerions que nos enfants réagissent :).
3.Plus de pouvoir personnel pour les enfants
Un enfant a besoin de pouvoir personnel. Il a besoin de se sentir utile, de prendre part à la vie sociale, d’avoir des responsabilités. Il a besoin de faire avec mais aussi de faire seul.
Les enfants ont besoin de se sentir à la hauteur, de sentir que leur contribution personnelle a de l’importance, que leur présence est désirée et utile et qu’on leur fait confiance, qu’on fait confiance à leurs capacités.
Isabelle Filliozat propose plusieurs idées pour aider les enfants à reprendre confiance en eux et à gagner en pouvoir personnel. Plus ils se sentiront forts physiquement, plus ils seront forts mentalement.
- La technique du Ninja : l’enfant est invité à couper une feuille de papier en deux (préalablement fendue en haut pour éviter les coupures) à la manière d’un Ninja qui casse des briques
- Les jeux où l’enfant gagne
- Les jeux de chahut (lire : Les jeux de chahut : un excellent moyen de renouer le contact et redonner confiance à l’enfant)
Pour autant, il ne suffit pas de faire faire des exercices psychologiques à une personne pour lui redonner confiance en elle, il est aussi nécessaire de modifier la structure d’un groupe et les règles de son fonctionnement. Des questions clés que nous pouvons nous poser peuvent nous guider dans cette voie :
- Comment donner plus de pouvoir personnel à un enfant dans la famille ?
- Quand je prends le pouvoir sur mon enfant, comment sa dépendance me rassure-t-elle ?
4.La prévention
Les situations à risque
Les crises de décharge apparaissent quand l’enfant a été sous stress (en raison d’une accumulation d’émotions, de contraintes trop fortes comme la contrainte à l’immobilité, d’une sur-stimulation en termes de bruit, de lumière…).
Les soirées (comme les mariages), les fêtes foraines, les supermarchés sont des sources de sur-stimulation pour les enfants : le cerveau des jeunes enfants n’est pas préparé à trier toutes les stimulations auxquelles il est exposé (bruits, tentations, odeurs…). Comme le cerveau est débordé, il est sous stress et les risques de crise émotionnelle sont grands.
Dans la mesure du possible, il vaut mieux éviter les situations à risque.
L’alimentation
Isabelle Filliozat expose le lien entre alimentation et certains problèmes récurrents que peuvent rencontrer les enfants : hyperactivité, problèmes comportementaux, difficultés à manger, envies de sucre, etc.
Isabelle Filliozat souligne plusieurs problèmes liés à l’alimentation dans le développement des enfants :
- les allergies
- le rôle excitant du sucre
- la nocivité des additifs et des phosphates dans l’hyper activité et le déficit de l’attention
- les perturbateurs endocriniens
- le gluten et la caséine qui peuvent déclencher de l’agressivité
Le fait d’éviter les plats préparés, les bonbons, les gâteaux industriels, le sucre blanc et les sodas peut avoir un effet positif sur le comportement des enfants.
La parentalité ludique
Le jeu est un outil magique avec les enfants ! Le jeu est un outil de reconnexion, d’apaisement et d’expression émotionnelle, à condition de rire avec les enfants (et non pas rire des enfants).
Souvent, les transitions sont les moments les plus difficiles à gérer avec les enfants (ex : passer à table, aller au bain ou au lit, partir à l’école…). La parentalité ludique offre une approche pour désamorcer les crises potentielles lors de ces moments : jouer à aller à la cuisine en marchant comme un éléphant, le premier arrivé à la salle de bain…
Pour aller plus loin : Parents : communiquez par le jeu ! (5 idées pour relâcher les tensions)
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Source : Au Coeur des Émotions de l’Enfant : conférence d’Isabelle Filliozat à Pertuis (Mars 2017 – 1h30min)