L’écoparentalité, une notion au cœur du magazine Grandir Autrement

Je vous propose un nouveau format d’article sur le blog. Il s’agit d’interviews menées par Ingrid van den Peereboom, animatrice de l’émission radio Vers une parentalité bienveillante sur RCF et spécialiste du portage physiologique. Ses interviews donneront la parole à des penseurs et des penseuses de l’accompagnement respectueux des enfants qui aborderont des thèmes peu évoqués par ailleurs.

Aujourd’hui, Ingrid s’entretient avec Sophie Elusse, rédactrice en chef du magazine Grandir Autrement, au sujet de l’écoparentalité. Un grand merci à elles deux.

Sophie Elusse, vous êtes rédactrice en chef du magazine Grandir Autrement depuis 2012. Le magazine a évoqué pour la première fois en 2016 la notion d’écoparentalité, dans son 60ème numéro, le numéro du dixième anniversaire du magazine. 

logo grandir autrement magazine écoparentalité

Oui. On a évoqué le terme d’écoparentalité pour la première fois à ce moment-là. Le sous-titre du magazine était encore le magazine des parents nature. On avait initié une réflexion sur le fait que ce sous-titre n’était peut-être plus vraiment adapté au magazine. Le terme d’écoparentalité nous a interpellées et on s’est dit qu’en fait, Grandir Autrement était vraiment le magazine de l’écoparentalité. En toute logique, il fallait qu’on adopte ce nouveau sous-titre. Donc Grandir Autrement : le magazine des parents nature est devenu Grandir Autrement : le magazine de l’écoparentalité dans le numéro 66 de septembre 2017, un an après la première occurrence de cette expression dans les pages du magazine.

 

 

Qu’est-ce que cela a changé concrètement pour vous ?

J’avais déjà observé auparavant une forme de division au sein de l’équipe de Grandir Autrement, entre celles qui adhéraient encore à la notion de parents nature et celles qui ne s’y reconnaissaient pas, ou plus, qui disaient que, même si dans Grandir Autrement, le côté naturel tient une place importante, on n’est pas pour autant que des parents nature. On est plus que cela. Je crois alors que l’adoption de ce terme d’écoparentalité a fait consensus. Tout le monde s’y est retrouvé.

 

Quel est ce plus apporté par le terme d’écoparentalité ? Une vision plus large sur la vie et le monde que juste le quotidien dans l’intimité ? Un lien entre tout cela ?

Dans écoparentalité, il y a à la fois cet aspect écologique auquel nous tenons dans Grandir Autrement, et à la fois le terme de parentalité, qui est fondamental, puisqu’on est un magazine qui s’adresse aux parents. La notion d’écoparentalité caractérise une certaine qualité du lien familial. Et cette qualité du lien passe par différentes attitudes, différents comportements, différentes pratiques, qu’on retrouve dans le maternage proximal*.

*Note : le maternage proximal est une approche de la parentalité, en particulier de la maternité, qui place la proximité physique et émotionnelle au coeur de la relation parents/ enfants. Le maternage proximal englobe l’allaitement long à la demande (bien au-delà de la première année de vie de l’enfant), le portage physiologique (en écharpe par exemple), le peau à peau dès la naissance, la motricité libre, la diversification menée par l’enfant ou encore le cododo. Le maternage proximal, comme l’écoparentalité, se vit dans un minimalisme choisi qui met la priorité sur la connexion à la fois physique (massage, portage, aussi peu de séparation que possible) et émotionnelle (répondre aux pleurs des bébés, raisonner en termes de besoins).

 

Cela évoque aussi l’auto-détermination et la liberté.

L’écoparentalité est une parentalité non prescriptive. Elle propose une vision globale des relations. Donc ici, même si on parle plus précisément de parentalité, c’est en fait une vision globale des relations dont il s’agit : à soi, aux autres et à notre environnement. On peut dire que c’est l’écologie appliquée à nos relations. À nos enfants, mais pas seulement. À tous les êtres vivants. Et, pour revenir à la notion d’implication personnelle et au fait de trouver en soi les ressources pour exercer sa propre parentalité, c’est aussi ça, l’écoparentalité. On ne va pas dire aux parents : “voilà, c’est ça qu’il faudrait faire avec vos enfants, de cette manière”.

interview écoparentalité

Crédit : Patrick Lecomte

 

On fournit ou on propose des outils qu’il s’agit de s’approprier à sa guise en liberté et en conscience ? En sachant qu’une application automatique de concepts est vouée à l’échec et qu’une digestion ou réécriture personnelle, une réelle implication est indispensable ?

En effet, du point de vue du parent, il est important d’aller à la recherche des informations qui peuvent nous aider à vivre notre parentalité et après, une fois qu’on a trouvé les informations qui nous parlent, qui nous interpellent, qui nous semblent aller dans le sens de ce que l’on recherche, il est important de se laisser un temps pour digérer ces informations de manière à trouver notre propre façon d’être parent. Dans la notion d’écoparentalité, il y a une autre notion qui me semble importante aussi, c’est de considérer les enfants comme des êtres singuliers. On ne va pas chercher à les faire entrer dans une case. On n’applique pas un modèle.

 

Que pensez-vous des étiquettes ? On écrit des livres à leur sujet. Je pense notamment au titre jeunesse Pas d’étiquettes, des éditions Lire au Monde. Ne peuvent-elles être des outils, malgré tout, à manier avec des pincettes évidemment ?

La notion d’étiquette* me dérange. Par définition, une étiquette se colle. Et quand elle reste collée, on ne voit plus que ça. Mettre des mots sur quelque chose que l’on ressent, que l’on a du mal à cerner, à comprendre, qui nous met en difficulté au quotidien, que cela nous concerne nous ou notre enfant, ça aide énormément. Tout est dans la nuance.

*Note : Les étiquettes sont une forme de classification qui limite un enfant dans une catégorie déterminée (par exemple, “tu es lent”, “elle est capricieuse”, “c’est un tyran”, “il est paresseux”…). Les étiquettes ont un effet limitant et contraignant. Elles forcent les enfants à se définir par ce qu’ils ne sont pas et par ce qui leur manque, au lieu de se connaître pour ce qu’ils sont. Les étiquettes servent souvent à catégoriser les enfants qui posent des difficultés et font office d’explication”magique”, du moins pratique, pour éviter de chercher à comprendre les motivations des comportements inappropriés. Quand on pose une étiquette sur quelqu’un, et en particulier un enfant, il se met à se percevoir ainsi et, par ricochet, à se comporter réellement de la manière qui lui est pourtant reprochée (par exemple : “tu fais toujours tomber les choses, tu es maladroit”…). Les étiquettes et les comportements se renforcent les uns les autres dans un cercle vicieux auquel il est difficile de mettre un terme. Par ailleurs, poser une étiquette n’est pas aidant : ce qui est plus aidant est de raisonner en termes de besoins, d’environnement ou encore de développement (ex : si je considère que mon enfant est plus lent ou plus maladroit que la moyenne, y aurait-il quelque chose à explorer du côté d’un trouble dys comme la dyspraxie ?).

 

Ce livre est un support de réflexion. Comme Grandir Autrement se veut être un support de réflexion ? C’est la raison d’être du magazine ?

Oui, clairement ! Je dirais même que c’est là-dessus que s’est créé le magazine, sur un besoin de support de réflexion pour les parents-chercheurs, ceux qui cherchent des réponses.

 

N’y a-t-il pas quelquefois un hiatus entre l’écriture et la réception par des lecteurs du contenu de votre magazine en ce sens qu’ils ont évolué dans un monde où les spécialistes et autres experts se veulent prescripteurs ? Le magazine se veut-il acteur de changement dans le rapport expert-parents justement, loin d’une mise sur piédestal des auteurs spécialisés en la matière ?

Le fait que des lecteurs puissent se sentir parfois culpabilisés par nos articles est directement issu de ce réflexe de prescription. Ils écoutent alors les informations selon un schéma expert-prescripteur-parents. Ils reçoivent nos articles comme une injonction qui viendrait leur dire : voilà ce qu’il faut faire pour être un bon parent.

 

Certains auteurs renchérissent en ce sens, disant que la parentalité positive, par exemple, ou le maternage proximal, autre exemple, mènent au burn out. Est-ce le résultat de la même incompréhension, du fait de ne pas s’autoriser à penser par soi-même d’abord et avant tout ?

Je pense que c’est effectivement le résultat de la même incompréhension. En tout cas c’est l’une des causes possibles du burn out, quand les parents visent la perfection, qu’ils veulent cocher toutes les cases de la liste des recommandations ou prescriptions, ou ce qu’ils reçoivent comme tel en tout cas, qu’ils ont pu lire ici ou là, et qu’ils essaient d’appliquer. Or, ce n’est pas possible. En outre, l’isolement des jeunes parents et le manque de soutien de l’entourage et de la société en général met les parents en difficulté. Si on cumule isolement, manque de soutien et qu’on vise en plus la perfection, on ne tient pas.

 

D’autant plus que dans le soutien, il y a deux aspects non négligeables : le soutien moral d’une part, l’implication dans le concret d’autre part.

Oui. Et les deux manquent la plupart du temps. Parce que quand on fait des choix qui sont quand même majoritairement à contre-courant de ce que nous invite à faire la société, le soutien moral, on ne l’a pas. Le regard des autres est rarement bienveillant. L’implication dans le concret manque aussi, parce qu’on n’a pas forcément des personnes proches qui peuvent être présents dans le quotidien pour nous soutenir ou nous soulager. Ou alors, quand ces personnes existent, si elles ne partagent pas notre vision de la parentalité, on n’aura pas forcément envie de faire appel à elles du fait de cette incompréhension. Je pense notamment aux parents qui sont en rupture avec leur famille, on en tout cas en désaccord. Dans ce cas, même si leurs propres parents sont proches et seraient disponibles pour venir aider, par exemple, ces jeunes parents préfèrent y renoncer tellement leur façon d’envisager la parentalité est éloignée de celle de leurs  parents.

 

La bienveillance, c’est l’absence de jugement selon vous ? C’est l’amour qui franchit des ponts qui semblaient infranchissables ? C’est reconnaître l’altérité de ceux qu’on aime et les accueillir tels qu’ils sont ?

Oui, la bienveillance, c’est effectivement l’absence de jugement. Quand on aime quelqu’un, on ne le juge pas, quoi qu’il arrive. On peut poser des questions si on ne comprend pas, s’interroger, mais en aucun cas juger. Et ça me fait penser, quand on parle de bienveillance et de jugement, que c’est quelque chose qu’on retrouve aussi dans le milieu du maternage et de la parentalité bienveillante. Certains parents ont des propos très durs les uns envers les autres. Quand on ne coche pas toutes les cases de la liste, on a quelquefois droit à des critiques virulentes de la part d’autres parents qui sont arrivés plus loin que nous. Et qui, au lieu de nous regarder avec bienveillance et de nous tendre la main, nous critiquent, nous dévalorisent et nous disent : peut mieux faire !!!!! C’est sûr qu’on peut toujours mieux faire, mais on peut l’aborder plus positivement ! On devrait s’encourager et se soutenir les uns les autres, plutôt que de se dénigrer et regarder ce que fait son voisin, ce qu’il fait de mieux ou de moins bien. Parce que ce n’est pas cela qui compte. Ce qui compte, c’est d’avancer, de progresser, un pas après l’autre. La route peut être sinueuse et cabossée, mais quelle satisfaction de se voir franchir une nouvelle étape et de se retourner pour voir le chemin parcouru !

 

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Le site internet d’Ingrid van den Peereboom : Ingrid van den Peereboom

Le site internet du magazine Grandir Autrement, magazine de l’écoparentalité : grandirautrement.com