Écrans : quelles règles appliquer pour les enfants et adolescents ?
Pas de règle immuable !
Jesper Juul est un thérapeute danois qui propose une approche des relations familiales centrées sur l’équidignité qu’il définit comme le fait de tenir compte à la fois des besoins des enfants et de ceux des adultes sans porter atteinte à l’intégrité physique et psychologique des enfants. Ce point est très important et peut être mal interprété : il s’agit pour les parents d’affirmer leurs besoins et limites personnelles tout en entendant et prenant au sérieux les besoins et les émotions des enfants.
Dans l’approche de Jesper Juul, les enfants font preuve d’une responsabilité personnelle. Ils sont capable de choisir librement quand et à qui obéir. Ils se conforment à une règle parce qu’elle est bonne, juste, ne porte pas atteinte à la dignité humaine mais sert leur intérêt et l’intérêt collectif. L’autorité personnelle exercée par les parents permet aux enfants de développer une santé mentale forte et durable.
Cet article concerne surtout les enfants après 7/8 ans.
Concernant la question des écrans, Jesper Juul estime qu’il n’existe pas de règle immuable à appliquer. De toute façon, s’il y a des écrans dans la vie des enfants et adolescents, c’est bien que les adultes les y ont amenés car les écrans font partie de notre culture.
Si nous nous inquiétons des effets des écrans sur les enfants et adolescents, nous avons le droit de le leur l’exprimer : il suffit de dire comment nous jugeons nous-mêmes la question. Toutefois, s’exprimer et contrôler ne doivent pas être confondus. L’important est que les enfants connaissent les valeurs et opinions de leurs parents et que les adultes s’expriment dans un langage personnel qui n’attaque pas l’intégrité de l’enfant ou qui ne cherche pas à le contrôler.
Partager nos inquiétudes sans chercher à contrôler
Jesper Juul nous invite à expliquer simplement à nos enfants que nous craignons que cette activité leur fasse du mal (par exemple, que cela les énerve, que cela mine leur créativité ou leur niveau de vocabulaire, que cela dégrade leur capacité de concentration, que cela nuise à leur travail scolaire ou encore que cela perturbe le sommeil) même si, eux, semblent l’apprécier. Nous pouvons également partager nos inquiétudes quant au fait que les écrans induisent des compétitions dans la répartition du temps :
- compétition entre le temps d’écran et le temps d’interactions familiales,
- compétition entre le temps d’écran et le temps de sommeil,
- compétition entre le temps d’écran statique et le temps de mouvement,
- compétition entre un certain temps d’écran “futile” (jeux du type CandyCrush, temps long passé sur les réseaux sociaux à cause de mécanisme de captation du temps comme le scroll infini sur Facebook, les trois petits points sur les chats qui signalent que l’interlocuteur est en train d’écrire ou encore les étoiles sur Snapchat) et un temps de “qualité” (activités créatives manuelles, temps passé dans la nature, interactions “vivantes”, devoirs scolaires…),
- compétition entre le temps qui participe à construire l’intelligence (même sur écran à travers le visionnage de reportages, la création d’exposé sous traitement de texte, l’utilisation de logiciel de carte mentale, les applications pédagogiques…) et celui qui crée des besoins superficiels (comme des vidéos d’influenceurs qui font de la publicité déguisée sans mentionner que les produits dont ils font la pub leur sont offerts par les marques ou qu’ils sont payés pour en parler).
Nous pouvons également expliquer le phénomène de “captologie” mis en place par les entreprises de réseaux sociaux afin de retenir l’attention des utilisateurs (quel que soit leur âge) pour qu’ils passent le plus de temps possible sur le réseau (et soient donc exposés à un maximum de publicité afin d’engranger un maximum d’argent). Nous en sommes d’ailleurs également victimes en tant qu’adultes.
Nous devrions toujours garder à l’esprit que nous disposons de dix ans maximum pendant lesquels nous prenons des décisions pour nos enfants. Ensuite, ils devront prendre eux-mêmes un nombre infini de décisions. Pourquoi ne pas laisser votre fils jouer à l’ordinateur et lui demander ensuite comment c’était et comment il se sent ? – Jesper Juul
Limiter le temps d’écran pour les enfants et adolescents ?
Nos messages contradictoires de parents
Jesper Juul remarque qu’il existe un grand paradoxe dans la manière qu’ont les adultes d’aborder la relation des enfants aux écrans. Il apparaît d’ailleurs difficile de définir précisément ce qu’on entend par écran : regarder un film à la télé, jouer à des jeux vidéo, utiliser une application pour apprendre à lire sur smartphone, échanger avec des amis sur les réseaux sociaux, lire un livre sur liseuse…
La plupart des adultes passent toute la journée avec les médias et devant l’ordinateur et cela ne leur nuit pas, mais ils jugent que les enfants ne doivent pas agir de même. C’est aussi le cas pour l’argent de poche. Les parents devraient se demander si cet argent de poche appartient bien à leur enfant ou toujours aux adultes. – Jesper Juul
Quand on interdit à un enfant d’accéder aux écrans, nous pouvons nous interroger sur notre propre consommation d’écran : quel exemple donnons-nous aux enfants en matière de consommation d’écrans ? qu’est-ce qui rend les écrans si désirables aux yeux des enfants ? serions-nous prêts à accepter les mêmes restrictions que celles que nous imposons aux enfants ?
Nous, les parents, aimerions que notre enfant pense par lui-même et décide librement mais, souvent, nous mettons en œuvre des moyens pour contrôler sa décision et la corriger si elle n’est pas conforme à ce que nous jugeons correct. En agissant ainsi, nous envoyons un message contradictoire : “tu peux choisir librement comment passer ton temps… mais uniquement à mes conditions !“.
Les parents ont évidemment le droit d’exposer leurs convictions mais vouloir contrôler la manière dont les enfants passent leur temps ne peut que donner naissance à des conflits. Nous pouvons plutôt exposer nos besoins et par exemple dire à l’enfant/ ado qu’il nous manque et que nous aimerions passer plus de temps avec lui (sans profiter de ce temps pour lui faire des leçons de morale).
La violence domestique est plus grave que la violence médiatique.
Parfois, c’est la question de la violence qui nous inquiète. Non seulement, ce n’est pas la violence que les enfants voient qui est déterminante mais celle qu’ils subissent, mais, de plus, le respect des logos Pegi permet de s’assurer que le jeu vidéo ou le film est approprié à l’âge du joueur.
Si vous trouvez que les images véhiculées dans ses jeux vidéo rendent votre enfant agressif, sachez que les cris et les paroles humiliantes que vous pouvez proférer au prétexte de le faire cesser de jouer sont plus nocifs que les images elles-mêmes ! – Edwige Antier (J’aide mon enfant à avoir confiance en lui)
Pour Jesper Juul, il n’existe que deux options :
- conserver une relation intacte avec les enfants et accepter qu’ils fassent leurs propres expériences;
- obliger les enfants à mentir par peur des représailles ou leçons de morale (et à faire leurs coups en douce comme le fait de passer des heures à jouer aux jeux vidéo chez les copains).
Tout le monde peut définir des règles et des limites, ce n’est pas sorcier. Tout l’art consiste à se comporter intelligemment quand les enfants enfreignent ces règles ou ne respectent pas les limites. – Jesper Juul
De tout temps, les parents ont nourri des craintes pour la santé (physique et mentale) de leurs enfants. Ainsi, au siècle dernier, les parents avaient peur que leurs enfants tombent malades s’ils écoutaient la radio et les journaux consacraient des articles à cet éventuel danger. Encore plus loin dans le temps, Socrate avait peur du papier car il estimait que, si les gens notaient les idées sur papier, alors la mémoire humaine serait inutile et disparaîtrait.
Pour aller plus loin : Les écrans ont-ils un effet causal sur le développement cognitif des enfants ? (sur le blog de Franck Ramus)
Un risque d’addiction des enfants et adolescents aux écrans ?
La mise en place d’une addiction est complexe
L’addiction est une maladie complexe car de nombreux facteurs doivent être présents pour qu’il y ait installation d’une conduite addictive. Les facteurs de risque dépendent de beaucoup de choses :
- développement (les troubles du comportement précoce sont liés à l’installation d’un comportement addictif (anxiété, troubles du sommeil, troubles dépressifs…).,
- neurobiologie,
- cerveau,
- génétique (les facteurs génétiques expliqueraient entre 40 et 70% des troubles addictifs -> traits de personnalité, TDAH par exemple),
- environnement,
- psychologie.
Les interactions gènes/ environnement participent de manière indissociable à l’expression de la vulnérabilité aux addictions. Ainsi, les facteurs environnementaux jouent un rôle crucial dans l’installation des conduites addictives :
- stress environnemental (en lien avec les notes scolaires par exemple ou les disputes parentales),
- disponibilité des moyens permettant l’installation de l’addiction (ex : présence d’écran personnel),
- éducation (notamment la qualité du lien d’attachement avec les parents qui impacte la capacité à gérer le stress; négligence et violence éducative même ordinaire qui entraînent la mise en place d’une mémoire traumatique qui va générer des comportements d’évitement via le refuge dans les écrans),
- présence ou absence et qualité de l’entourage (famille, amis).
Les interactions humaines et la qualité des relations, au-delà des discours anti écran
Ainsi, il est important de ne pas traiter seulement les symptômes (l’enfermement dans un monde virtuel ou le fait d’être scotché aux écrans) mais d’évaluer les racines. Il est intéressant de comprendre que l’éducation joue un certain rôle dans l’installation d’une addiction.
Quand l’enfant se sent entouré, soutenu, compris, aimé; qu’il se sent exister dans les yeux de ses parents; qu’il a du pouvoir personnel dans sa vie et qu’il peut prendre des décisions souveraines; qu’il a des occasions de jouer librement et de rencontrer des amis, de se sentir partie intégrante d’une communauté, alors l’enfant a moins de chance de développer une addiction aux écrans. Les écrans vont évidemment faire partie de sa vie puisque les écrans sont omniprésents dans notre culture mais ils ne seront qu’un outil culturel au même titre que les livres ou les stylos. Toutefois, d’autres facteurs peuvent entrer en jeu dans la surconsommation d’écran d’une personne (la présence de troubles autistiques par exemple).
De plus, pour une même activité et un même temps passé sur les écrans, les effets seront différents selon que les enfants sont seuls devant l’écran ou que les parents s’asseyent à côté de leurs enfants pour regarder la télévision ou les regarder jouer et parler du contenu avec eux.
Un humain n’existe pas seul et c’est le contact avec les autres qui forme notre humanité. Toute activité qui ne laisse pas de temps pour des interactions sociales humaines réelles (ou qui est un refuge consécutif à l’absence de lien chaleureux familial ou amical) est nuisible pour le développement et cela ne vaut pas seulement pour les écrans (c’est aussi le cas pour la pratique sportive solitaire ou l’immersion dans la lecture par exemple).
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Sources :
5 piliers pour une vie de famille épanouie par l’expert danois de l’éducation de Jesper Juul (éditions Poche Marabout). Disponible en médiathèque, en librairie ou sur internet. Commander 5 piliers pour une vie de famille épanouie sur Amazon, sur Decitre, sur Cultura ou sur la Fnac
Addictions, dites-leur adieu ! de Laurent Karila (éditions Mango). Disponible en médiathèque, en librairie ou sur internet. Commander Addictions, dites-leur adieu ! sur Amazon, sur Decitre, sur Cultura ou sur la Fnac