Elever les enfants sans récompense

Elever les enfants sans récompense

Les méfaits des récompenses sur la conception de l’amour et de l’altruisme

Dans son livre Dénouer les conflits par la Communication NonViolente, Marshall Rosenberg, concepteur du processus de Communication NonViolente, estime qu’on a tendance à confondre « recevoir une récompense » avec « recevoir de l’attention ou de l’amour », dans le sens où une récompense serait une preuve d’amour (mais un amour conditionnel). Quand elle est utilisée de la sorte dans les relations parents/ enfants, la récompense devient une drogue pour les enfants car ceux-ci n’agissent plus que dans le but d’obtenir une récompense (qui équivaut à être vu, reconnu comme un “bon” enfant, à être aimé). La personne habituée à obtenir des récompenses dès l’enfance en devient dépendante et s’assurera qu’elle obtiendra bien un cadeau, un compliment ou de l’argent avant d’effectuer une bonne action, de rendre un service, ou de travailler en vue d’une bonne note. La dépendance aux récompenses transforme les êtres humains en personnes intéressées parfois gentilles si l’acte de gentillesse leur apportera un bien moral (position sociale plus élevée, compliment…) ou physique (cadeau, séances shopping, repas au restaurant, argent…).

Enfants, on nous a fait croire que l’amour est une récompense, et nous l’avons cru. Nous avons cru que l’amour, sous forme d’attention et de proximité physique et émotionnelle, est quelque chose qu’on reçoit seulement quand on est sage et que l’amour se mérite (en fonction des notes à l’école, en fonction de la conformité aux exigences, en fonction de notre capacité à dissimuler les émotions censurées, comme la colère).

À mon sens, il n’y a rien de plus violent que de faire comprendre à un enfant : « Je t’aimerai si tu ranges ta chambre ! » En une parole, toute la beauté de l’amour est réduite à néant, car l’amour devient conditionnel. – Marshall Rosenberg

A partir du moment où l’amour est rendu hypothétique car conditionné à une récompense, cet amour se transforme en une manipulation (mais une manipulation douce donc il est facile de se donner bonne conscience).

Les méfaits des récompenses sur la notion de bien et de mal

Après une erreur, il faudrait souffrir pour apprendre et bien se comporter : c’est le principe de la punition. A l’inverse, avant les erreurs, il faudrait promettre un cadeau à un enfant pour qu’il évite les mauvais choix et les mauvaises actions : c’est le principe de la récompense.

Récompenser pervertit la notion de bien et de mal. Marshall Rosenberg écrit que ni la récompense, ni la punition ne sont des moyens éducatifs adéquats car, dans le système punition/ récompense, le droit et la justice sont liés à la nécessité de « rendre la pareille », à la notion de mérite : celui qui est bon a mérité d’être récompensé ; celui qui est mauvais a mérité d’être maltraité. A partir du moment où un adulte offre une récompense à un enfant (y compris des éloges) pour un acte de générosité, cet enfant deviendra un peu moins susceptible d’aider la prochaine fois s’il pense qu’il n’en retirera rien.

Ce qui compte, ce n’est pas ce que nous avons l’impression de donner aux enfants. En effet, tous les parents – ou presque – ont l’impression de donner le meilleur à l’enfant et d’agir pour leur bien (parce que nous pensons bien faire en récompensant les enfants vu que cela leur apprend à “bien” se comporter). Ce qui compte est bel et bien ce que les enfants ressentent (nos enfants se sentent-ils aimés inconditionnellement ? sommes-nous capables d’amour inconditionnel ?) et les motivations qu’ils vont développer comme base de leurs actions. Voulons-nous que nos enfants soient mus par la peur de ne pas être récompensé, par l’appât du gain ou plutôt par une volonté désintéressée de rendre service ou la volonté d’atteindre des objectifs personnels ?

Rien n’est plus destructeur pour les enfants que de grandir dans la croyance que les adultes ont la science infuse, qu’ils les jaugent à tout moment, qu’ils leur « mettent des notes » pour ce qu’ils ont fait de bien, de juste ou d’agréable. – Marshall Rosenberg

Les méfaits des récompenses sur l’autoappréciation 

Par ailleurs, si on pense que l’amour est une récompense, on va avoir tendance à classer les enfants, les comparer, les mettre en compétition, les sur-stimuler au risque de ne plus les aimer inconditionnellement et de ne plus apprécier leur simple présence, tels qu’ils sont. Les enfants vont également adopter cette perspective pour se voir eux-mêmes : ils ne sauront pas si ce qu’ils font a de la valeur en soi tant qu’ils n’ont pas reçu un compliment ou une récompense. Ils perdent le sens de leurs actions et de leur valeur en tant que personne humaine. 

Et si ces enfants observent qu’ils n’ont de la valeur que quand leurs parents – ou qui que ce soit d’autre – les félicitent, que pensez-vous qu’il leur reste sur le plan de l’autoappréciation ? Rien, plus rien ! Devenus adultes, ils abandonneront leur propre pouvoir et le remettront aux mains d’autres personnes. – Marshall Rosenberg

De plus, certains enfants plus sensibles que d’autres peuvent devenir stressés à l’idée de ne pas recevoir la récompense promise. S’ils ne reçoivent pas la récompense, c’est qu’ils ne sont pas à la hauteur et ils peuvent en venir à s’autodénigrer, voire à se rendre malades d’anxiété. Leur estime de soi peut donc être endommagée par les récompenses. Certains enfants peuvent même en venir à surfonctionner, à travailler jusqu’à l’épuisement pour obtenir des bonnes notes à l’école.

Les méfaits des récompenses sur la motivation interne

Ce sont les actions que les enfants (et les adultes) réalisent par vocation, par passion, par envie qui font bénéficier le monde d’un progrès. Quand on pousse ce raisonnement, on s’aperçoit que les récompenses sont des punitions puisqu’elles détruisent la joie et font perdre le contact avec la force de la vie. La punition ultime devient le découragement.

Quand un enfant semble avoir besoin de récompense pour réaliser un travail, peut-être que l’enfant prenait plaisir à cette activité jusqu’à ce qu’on lui donne une récompense qui a détruit la motivation interne. 

Une alternative à l’utilisation des récompenses

S’exprimer de manière personnelle et authentique

Marshall Rosenberg propose une autre manière de s’adresser aux enfants, plutôt que les récompenser. Nous pourrions exprimer, à partir de notre coeur, à quel point nous nous sentons bien face aux gestes d’un enfant, et quels besoins sont satisfaits chez nous. Cela revient à exprimer une profonde gratitude si les actes de l’enfant nourrissent en nous des besoins essentiels et sont alignés avec des valeurs et aspirations qui nous sont chères. Il ne s’agit pas de manipulation ou de renforcement positif mais simplement d’être en lien, de parler de soi au sein de la relation.

Exprimer de la reconnaissance en Communication NonViolente s’appuie sur trois temps :

  • décrire les actes concrets d’autrui qui ont contribué à notre bien-être,
  • exprimer les besoins que nous éprouvions et que ces actes ont satisfaits chez nous,
  • exprimer le sentiment de plaisir né de la satisfaction de ces besoins.

Un enfant qui reçoit un remerciement de cette façon peut l’accueillir sans éprouver de sentiment de supériorité et sans fausse modestie. De plus, il n’y a pas eu de discussion préalable donc pas d’attente de part et d’autre : on est simplement dans le pur don. Il ne s’agit pas de dire qu’il ne faut jamais offrir de cadeaux aux enfants mais simplement de ne pas en faire une condition. Il est toujours agréable pour tous les membres de la famille d’aller au restaurant fêter le brevet ou le bac de l’aîné, sans qu’il y ait eu négociation les 6 mois précédents sur la mention ou la note minimale à obtenir pour déclencher ce plaisir partagé.

Raisonner en termes de besoins pour comprendre les motivations des actes des enfants 

En tant que parents, nous pouvons par ailleurs chercher quels sont les besoins qui sous-tendent les actions d’un enfant, au lieu de le persuader qu’il appartient à la catégorie « Méchants (à punir, humilier et bannir) » ou « Gentils (à mettre au dessus des autres et à récompenser) ». Plutôt que promettre une chose que l’enfant valorise pour influencer son comportement, nous pourrions nous adresser à ses besoins et examiner avec lui par quelles autres voies il pourrait remplir ces mêmes besoins.

Par exemple, nous pourrions demander à un enfant s’il préfèrerait s’habiller ou se laver quand il l’a décidé et non pas quand son parent le lui demande. Nous pouvons adapter notre langage à la situation et aussi au vocabulaire dont dispose l’enfant et formuler des propositions pour qu’il puisse satisfaire ses besoins tout en satisfaisant les nôtres (ou laisser l’enfant proposer ses propres solutions).

Voici quelques exemples pour apprendre à raisonner en termes de besoins :

Apprendre à raisonner en termes de besoins

 

La confiance et le respect, pierres angulaires des relations saines 

Ce qui sous-tend cette approche sans récompense est la confiance et le respect : faire confiance aux enfants (pour agir de manière socialement appropriée et pour se corriger en cas de comportement inapproprié) et les prendre au sérieux. En tant que parents, nous pouvons avoir tendance à penser que les enfants doivent mériter notre confiance et à considérer de prime abord que les enfants ne sont pas dignes de confiance. Pourtant, la confiance doit être première pour induire un comportement digne de confiance. La confiance n’a pas à être la conséquence d’un comportement fiable mais, à l’inverse, donner un gage de confiance sans conditionni attente peut changer la dynamique d’une relation.

Si on a besoin de contrôler pour faire confiance, ce n’est pas de la confiance. La phrase “La confiance n’exclut pas le contrôle” est un non-sens : il s’agit soit de confiance, soit de contrôle mais les deux sont irréconciliables. Ainsi, la confiance suppose une force en soi, une robustesse personnelle car accorder sa confiance, c’est prendre le risque d’être trahi, d’être blessé, de voir des espoirs déçus. Ce risque est pourtant fécond en opportunités et en apprentissages (et en est même la condition).

Lire aussi : 3 manières de faire face aux mensonges, tricheries et vols des enfants sans punition

 

Pour aller plus loin :

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Source : Dénouer les conflits par la Communication NonViolente de Marshall Rosenberg (éditions Jouvence). Disponible en médiathèque, en librairie ou sur internet.

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Pour compléter, la lecture de mon livre vous donnera des pistes pour raisonner autrement face aux comportements des enfants qui nous mettent en difficulté (avant de chercher à plaquer des astuces et conseils au risque de constater que “l’éducation positive, ça ne marche pas”). J’y aborde les méfaits des récompenses et des alternatives pour élever les enfants sans récompense ni punition. Il est disponible en médiathèque, en librairie ou sur internet.

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