Éteindre les écrans, un sujet de tension récurrent entre parents et enfants : quelles solutions pour limiter l’escalade émotionnelle ?
Repenser les règles au sujet des écrans à la base
Le temps passé par les enfants et adolescents sur les écrans est un sujet récurrent de tension dans les familles. Souvent, les parents ont ont fixé un temps total d’écran et un horaire arbitraire d’arrêt (« Je veux que tu éteignes à 21 heures »). Il est rare que ces horaires aient été discutés et décidés de façon bilatérale, en sollicitant l’avis des enfants sur leurs besoins, leurs préférences et les manières qui leur seraient utiles pour être capable de respecter ces règles.
Il est possible de repenser les règles à la base, en privilégiant des mesures coconstruites en concertation avec l’enfant. L’idée est de trouver une solution gagnant-gagnant avec l’enfant, pour fixer une heure limite, en mettant en commun les besoins. Cela signifie que les parents vont exprimer leurs peurs (pour la santé de l’enfant, pour la quantité et la qualité de son sommeil, pour sa scolarité), leurs exaspérations (le retard aux repas, l’immobilisme face aux demandes de contribution aux tâches ménagères) et leurs envies (la volonté de passer du temps ensemble, de faire des activités familiales). Les enfants vont également exprimer leurs envies et besoins. Les parents pourront s’intéresser sincèrement à ce que vit l’enfant quand il parle de ce que les écrans lui apportent. Ils peuvent assister par exemple à une partie de jeux vidéo ou regarder une vidéo d’un YouTubeur apprécié par l’enfant.
Etablir les règles AVEC les enfants (plutôt que miser sur les punitions ou les récompenses)
Thomas Gordon, auteur de Éduquer sans punir, énumère les avantages à établir les règles AVEC les enfants (ce qui est différent de : « les enfants ont le droit de donner leur avis mais ce sont les adultes qui décident à la fin » ou même de « votons pour retenir la meilleure solution »). En effet, les enfants sont davantage portés à appliquer ou à respecter les règles qu’ils ont contribué à établir. Deux têtes (ou 3 ou 4) valent mieux qu’une seule tête. Par ailleurs, les décisions prise en commun tiennent compte non seulement des expériences et besoins des adultes, mais aussi de ceux des enfants. Des relations plus étroites et chaleureuses s’établissent entre adultes et enfants quand les enfants sont intégrés au processus de prise de décision. Ce procédé accroît l’estime de soi, la confiance et le sentiment de maîtriser son destin chez les enfants. De plus, la participation à l’élaboration des règles collectives développe le sens des responsabilités et de l’auto-discipline chez les enfants
Thomas Gordon propose de résoudre les problèmes en 6 étapes avec la solution gagnant-gagnant :
1. Identifier le problème
2. Rechercher des solutions possibles et les différentes options
3. Évaluer les solutions
4. Choisir la ou les meilleure(s) solution(s)
5. Appliquer la solution
6. Évaluer les résultats
Si la proposition de l’enfant n’est pas recevable (par exemple, passer 6 heures par jours sur les écrans ou éteindre à minuit), les parents vont partir de cette proposition en rappelant leur désaccord, sans pour autant humilier ou critiquer l’enfant, et voir quelle négociation est envisageable. Par exemple, les écrans peuvent être éteints à 20h la semaine et 22h le vendredi et le samedi soir. Par ailleurs, les “écrans” est un mot fourre-tout : peut-être que la console sera éteinte plus tôt mais la télévision peut être regardée jusqu’à 22h30 le samedi soir quand le programme est regardé en famille. Des règles différentes peuvent être envisagées en fonction du type d’écran, ou bien un temps global est défini par jour et les enfants répartissent à leur guise ce temps entre les différents écrans dont ils disposent. Il n’y a pas UNE bonne règle à appliquer par toutes les familles, quel que soit l’âge des enfants et la personnalité des parents, mais un processus qui peut aider à établir des relations familiales plus chaleureuses.
Lire aussi : Le vide relationnel provoqué par les parents distraits par les écrans (et comment déconnecter en famille)
Anticiper les manquements aux règles coétablies
Ce processus aboutit à un accord commun. Cet accord risque toutefois de ne pas être respecté par les enfants car c’est réellement difficile de résister aux écrans (qui sont comme des “desserts pour le cerveau“, expression d’Elena Pasquinelli). De plus, les écrans peuvent participer à assouvir des besoins fondamentaux des enfants (besoin d’appartenance à un groupe via des jeux en réseau, besoin de détente…). Les parents peuvent cependant déjà se réjouir que l’enfant ait pu valider une limite et ait entendu les craintes de ses parents.
Afin de faciliter le respect de la règle coconstruite, mieux vaut chercher avec l’enfant si certaines stratégies pourront l’aider à s’y tenir. Cela peut consister en un minuteur ou un réveil qui sonne une dizaine de minutes avant l’heure limite pour qu’il se mette en mode “terminaison de l’activité”. Ainsi, le parent n’a pas à revêtir le rôle de gendarme, ce rôle engendrant des disputes autour des écrans. On peut également envisager de demander à l’enfant de déposer sa tablette ou son téléphone à l’heure dite dans un lieu de la maison, à préciser ensemble. Nathalie Franc et Haim Omer, spécialistes de l’opposition chez les enfants, estiment que, une fois que le contrat est fixé, il faut laisser une chance à la solution coélaborée et évaluer les efforts faits par l’enfant pour le respecter. Il n’y a pas à éprouver de déception si cela ne fonctionne pas car c’est prévisible. L’enfant n’est pas “infernal” ou ne “teste pas” ses parents en les poussant à bout : cela appartient au mode de fonctionnement de tous les enfants. L’objectif n’est pas forcément que l’enfant respecte à la lettre le contrat, mais que les parents puissent s’appuyer sur ce contrat non respecté pour rappeler les engagements de l’enfant et revenir sur ce qui rend difficile le respect de ces engagements. De nouvelles stratégies peuvent être envisagées et testées. Rappelons-nous cette maxime pleine de bon sens : “Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage.”
Il est utile de rappeler que les adolescents savent contourner les techniques de contrôle mises en place par les parents (comme les appareils conçus pour brouiller les ondes internet). Mieux vaut donc miser sur la confiance mutuelle et les essais/ erreurs que sur le contrôle coercitif (du type punition ou récompense, qui sont toutes les deux à éviter et qui finissent toujours par montrer leur inefficacité). Souvent, ce ne sont pas les écrans en eux-mêmes qui posent problème mais l’escalade de violence qui intervient entre parents et enfants quand les premiers demandent aux derniers de les éteindre.
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Source : Accompagner les parents d’enfants tyranniques : programme en 13 séances (Les ateliers du praticien) de Nathalie Franc et Haim Omer (éditions Dunod).
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