Fractures : un essai pour renouer avec un projet d’émancipation de la société (grâce au féminisme universaliste)

livre émancipation féminisme universaliste

 

L’autrice de cet ouvrage, Christine Le Doaré, a été présidente de SOS homophobie et du Centre LGBT Paris-Ile-de-France. Elle se qualifie comme féministe universaliste et laïque et expose dans son essai les dérives qui affectent les mouvements de libération homosexuelle et féministe. Elle a organisé son ouvrage autour de 4 grandes parties :

  • un avant-propos dans lequel Christine Le Doaré décrit son parcours et ce qui l’a amenée à constater les dangers qui menacent tant le féminisme que le mouvement LGBT;
  • les évolutions du féminisme français, de l’universalisme à l’intersectionnalité qui mène au relativisme culturel et à l’identitarisme;
  • les renoncements et ruptures qui ont fait passer d’un mouvement de libération homosexuelle à des amalgames identitaires minoritaires;
  • des propositions pour renouer avec des propositions émancipatrices et universalistes.

Christine Le Doaré regrette que le féminisme universaliste soit livré au relativisme qui promeut des spécificités culturelles menaçant l’universalité des droits des femmes (mais aussi des personnes homosexuelles). L’autrice défend la laïcité à la française qui protège les filles et les femmes d’une organisation sexiste de la famille. Elle revendique le droit de critiquer toutes les religions et se demande comment des mouvements de libération homosexuelle peuvent défiler au côté de fondamentalistes religieux, revendiquant leur place dans des manifestations de personnes opprimées au prétexte qu’ils sont racisés (bien que toutes les religions soient homophobes).

 

Christine Le Doaré prend soin de définir le féminisme universaliste :

  • il s’appuie sur des constats systémiques : la domination masculine opprime les femmes et les personnes homosexuelles;
  • il repose sur des principes : seul compte le fait de refuser un système d’oppression sexiste et la laïcité est un facteur d’unité (les religions doivent rester affaire privée et sont critiquables, le blasphème n’existant pas en droit français);
  • l’universalisme est un état d’esprit non violent, fondé sur le respect mutuel, l’argumentation solide, le dialogue et la recherche de solutions. La peur d’affirmer une position contradictoire n’y a pas sa place et les attaques ad hominem ne sont pas acceptables, encore moins les menaces ou le harcèlement.

Ainsi, Christine Le Doaré se demande si les choix individuels que font certaines femmes rendent ces choix par nature féministes. Par exemple, dire que le voile, qui instaure un “apartheid sexiste imposé par des religieux“, est affaire de libre choix ne revient-il pas à s’adapter à l’oppression plutôt qu’à la combattre ? L’autrice rappelle que le féminisme universaliste n’est ni xénophobe ni islamophobe mais se permet de questionner le relativisme culturel qui assigne les femmes à une culture. Les féministes universalistes ont mené de nombreuses actions de solidarité internationale, allant de la défense des femmes kurdes et iraniennes à celle de la pakistanaise Asia Bibi.

Les droits et libertés des femmes et des personnes homosexuelles sont mieux à l’abri dans une démocratie laïque, nous dit Christine Le Doaré. Elle rappelle que les attaques contre l’IVG, contre la contraception, contre le mariage pour tous viennent la plupart du temps de mouvements religieux, que ce soit en France ou à l’étranger (pensons à la Pologne).

Christine Le Doaré regrette que les accusations en -phobe soient vite brandies (transphobe, islamophobe et même putophobe) pour imposer une vision du monde qui se révèle misogyne. Il y a des intérêts derrière ces attaques sémantiques : une vision religieuse du monde, des intérêts financiers d’une industrie du sexe fondée sur l’exploitation des femmes vulnérables (et de certaines personnes homosexuelles ou de jeunes hommes précaires), une idéologie libérale où tout se vaut, masquant les questions de classe sociale et de rapport de pouvoir. Christine Le Doaré se demande ainsi comment des militants de gauche autoproclamés “anticapitalistes” peuvent soutenir l’exploitation des femmes dans la prostitution alors même qu’ils clament s’opposer à toute exploitation des humains.

livre féminisme en danger

 

Ainsi, Christine Le Doaré aborde des sujets polémiques avec des arguments rigoureux et des témoignages personnels, issus de sa longue carrière militante. Pour elle, quatre grandes tendances sociétales de fond menacent les droits des femmes et des personnes homosexuelles :

  • l’entrisme religieux et radicaliste : au nom du relativisme culturel, les femmes non occidentales devraient accepter des formes d’oppression. En effet, la liberté sexuelle et l’homosexualité sont vues comme des dépravations venues l’Occident. Le contrôle des femmes est alors présenté comme une manière de les protéger contre cette dégénérescence.

 

  • le transactivisme : les féministes universalistes ne sont pas transphobes mais s’interrogent sur le lexique utilisé par les activistes trans qui estiment que les mots “femme” ou “vagin” sont offensants pour désigner un homme se revendiquant femme. Si des mots relatifs à la biologie et à l’anatomie féminines disparaissent, comment parler des violences sexuelles faites aux femmes ou de leurs besoins médicaux spécifiques ?

 

  • la GPA (gestion pour autrui) : la GPA pose la question de la possible exploitation des femmes précaires (dont on peut questionner le choix éclairé ) mais aussi de toutes les femmes faisant cette démarche (car les contrats qui encadrent la GPA restent très contraignants). La question de la marchandisation des corps mérite d’être posée.

 

  • la prostitution : défendue comme un libre choix et un travail normal, la prostitution est valorisée par le féminisme “pro-sexe”. On retrouve ici un tour de passe-passe sémantique : les “pro-sexe” sont pour un sexe dénaturé, aliénant et dégagé de tout plaisir mutuel, comme les “pro-vie” sont pour une vie où les femmes enceintes peuvent bien mourir dans un avortement clandestin.

 

Au final, on comprend que le féminisme universaliste se retrouve coincé entre, d’un côté, l’hypersexualisation (la culture pornographique ayant contaminé la pop culture et la prostitution étant défendue comme un “travail” comme un autre) et, de l’autre côté, les injonctions religieuses (dont la pudeur ou l’assignation à la procréation). Christine Le Doaré va même jusqu’à constater que les lesbiennes ne sont plus visibles dans les mouvements féministes ou LGBT; pire, elles sont parfois accusées d’être “transphobes” quand elles ne veulent pas avoir de relations sexuelles avec des hommes se revendiquant femmes.

 

Dans son livre Fractures, Christine Le Doaré nous invite donc à nous poser des questions, sans censure personnelle ni peur intellectuelle, afin de renouer avec un projet d’émancipation de la société, défait des assignations religieuses, identitaires ou néolibérales qui parasitent nos esprits.

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Fractures : le féminisme et le mouvement LGBT en danger de Christine Le Doaré (éditions Double Ponctuation) est disponible en médiathèque, en librairie ou sur internet.

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