Il faut couper le cordon : l’autonomie des enfants et l’incitation au détachement… à quel prix ?

Il faut couper le cordon - l'autonomie des enfants et l'incitation au détachement

Dans leur livre Comment éviter de se fâcher avec la terre entière en devenant parent ?, Béatrice Kammerer et Amandine Johais consacrent un chapitre entier à l’obsession que nos sociétés occidentales modernes ont développé autour de l’autonomie des enfants toujours plus précoce et de la nécessité du détachement parent/ enfant. Une obsession souvent résumée dans la phrase assassine lancée aux parents jugés surprotecteurs : “Mais il faut bien couper le cordon !”.

L’approche des deux autrices est vraiment intéressante car elles s’inscrivent dans une démarche de mise en perspective historique, culturelle (nous rappelant au passage que rien n’est jamais naturel chez les humains… si bien que nous sommes des êtres de culture par nature !), scientifique, psychanalytique et médiatique.

Elles se demandent notamment : que serait devenue l’humanité s’il suffisait de 6 mois d’allaitement “de trop” pour fabriquer des êtres humains névrosés ?

Elles expliquent donc cette injonction à l’autonomie et au détachement par plusieurs facteurs :

  • l’hygiénisme du XIX° siècle

Des normes de puériculture apparaissent : le corps médical sait mieux que les parents ce qu’il faut aux bébés en termes de repas (horaires, quantités, nombre de prises…) de soins, de sommeil. Quand des directives viennent du corps médical, c’est forcément pour le bien de l’enfant donc les parents les appliquent (même quand ces derniers sentent que ces directives vont paradoxalement à l’encontre du bien de leur bébé).

Par ailleurs, il est déconseillé aux mère et aux visiteurs de toucher et d’embrasser un bébé à la maternité à cause des microbes. Même l’allaitement est réglementé : 5 à 10 minutes par sein maximum selon les recommandations du début du siècle (dont certaines persistent aujourd’hui chez certaines personnes).

La croyance dans le fait que le progrès scientifique mènerait au bonheur a conduit à tout simplement ignorer les dimensions affectives que représentent le toucher, l’allaitement, les câlins.

  • la psychanalyse

B. Kammerer et A. Johais regrettent que certains professionnels aient fait un usage contestable des concepts psychanalytiques. La vision négative de l’enfant modelée par la psychanalyse imprègne encore aujourd’hui la plupart des discours sur l’enfance ainsi que la sphère médiatique (bien que les découvertes ultérieures en psychologie, éducation et neurosciences aient contribué à les faire évoluer et contre-balancent le discours psychanalytique classique.).

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  • le comportementalisme (ou behaviorisme)

Pour B. Kammerer et A. Johais, le discours comportementaliste a participé à la vogue du discours anti mauvaises habitudes.On retrouve cette influence dans les préconisations en faveur du dressage à la continence ou au sommeil (la fameuse méthode du 5/10/15 pour “apprendre” aux enfants à s’endormir).

Par exemple, la gestion des pleurs des bébé a été fortement influencée par cette approche : l’idée prédominante est de ne surtout pas prendre dans les bras un enfant qui pleure (et encore moins pour le plaisir) au risque d’en faire des pleurnicheurs (et il est bien connu que, quand on leur donne la main, les enfants prennent le bras !).

  • la presse grand public

La presse grand public, soucieuse de vendre des conseils, s’est appropriée les discours psychanalytique tendancieux (bafouant parfois la pensée initiale de Freud) et comportementaliste en mettant l’accent sur le fait d’éloigner mère et enfant au plus vite, de favoriser la reprise d’une activité sexuelle pour le couple au plus vite (mais ça, on le devine seulement entre les lignes dans les articles critiquant le cododo notamment !), d’apprendre la frustration au plus vite (pour éviter d’en faire des enfants rois).

  • le système économique qui a intérêt à vendre du matériel qui se substitue aux parents et aux fonctions naturelles

Face au désarroi des parents dont l’enfant pleure ou ne se conforme pas aux normes édictées par la société/ les professionnels/ les médias, les objets de puériculture sont vécus comme des solutions (doudous, sucettes, veilleuse, transat qui berce, jouets éducatifs en tout genre…). Or ces objets sont marchands, entretenant la société de consommation.

B. Kammerer et A. Johais rapportent des écrits à propos de la différence entre la parentalité africaine traditionnelle et la parentalité européenne classique : “dans la culture sénégalaise traditionnelle, le petit enfant passe son temps sur le dos de sa mère. L’attachement est donc dilué, le bébé passant de bas en bras, de dos en dos. Là où le petit Européen possède une chambre à lui, ses vêtements, son espace, l’enfant africain, lui, est entouré de visages, de bras, de chansons, de toucher et dans ce contexte, il trouvera le sommeil. Si l’enfant s’éloigne de sa mère, c’est d’abord pour rencontrer d’autres personnes plutôt que des objets.”

  • les valeurs de notre société (efficacité, travail, productivité)

B. Kammerer et A. Johais qualifient notre société de “société de l’urgence”. Les acquisitions des enfants sont alors vécues comme le reflet d’une “bonne parentalité” et comme le facteur clé d’une future intégration harmonieuse de l’individu dans la communauté.

Dans un cercle vicieux, l’incitation au détachement parent-enfant semble avoir ancré dans l’inconscient des parents la crainte de se voir taxés de parents étouffants (ou, pire encore, laxistes). Parfois, les parents adoptant la parentalité dite “maternante” (cododo, allaitement, portage physiologique, diversification alimentaire menée par l’enfant, motricité libre…) sont même accusés d’adopter cette attitude pour combler leur propre manque affectif… et, comble du comble, ils seraient même coupables de culpabiliser les autres parents !

  • l’organisation de la société (congés maternité courts, congés paternité inexistants ou presque, épuisement professionnel, séparations précoces des enfants qui sont mis en collectivité…)

Tout ce qui génère un haut niveau de stress, de fatigue et d’irritabilité chez les parents ne peut pas leur laisser beaucoup de temps et de ressources disponibles pour construire sereinement les relations nécessaires à un attachement sécure des plus jeunes. – B. Kammerer et A. Johais

Dans le cadre d’une vie fatigante et stressante, chaque étape d’autonomie est vécue comme un soulagement (le bébé fait ses nuits = moins de fatigue pour les parents qui doivent se lever pour aller travailler le lendemain matin = on cherche tous les moyens pour faire dormir le bébé… alors qu’il n’existe PAS de solution miracle pour faire dormir un bébé).

Alors l’autonomie ne devrait pas être un objectif de l’éducation ?

Il se trouve que, si l’autonomie des enfants est bien la finalité de l’éducation, cette compétence ne se force pas, elle se développe à travers un accompagnement progressif, un étayage adapté individuellement et une présence affective inconditionnelle. On retrouve ici un des piliers de la pédagogie Montessori : “aide moi à faire tout seul”. La foi des parents dans le désir inné d’apprendre et les capacités de leurs enfants est fondamentale pour suivre le développement forcément unique de l’enfant et dépasser les projections parentales (souvent faites de peurs, de croyances et de culpabilité distillées par le regard des proches, la société, les médias, la religion, les professionnels de l’éducation et/ou le corps médical). Une présence attentive et aimante suffit en général à savoir quand l’enfant est “prêt” pour passer d’une étape à une autre. Mais cela nécessite aussi parfois de se déconditionner pour “privilégier l’humilité du chercheur, de l’observateur qui s’incline devant les faits au lieu d’imposer des points de vue personnels, moraux ou idéologiques, qui vont à l’encontre de l’observation de la réalité”.

Pour B. Kammerer et A. Johais, tant que les parents sont à l’écoute du rythme propre de l’enfant, l’autonomie reste un objectif tout à fait positif, une finalité de l’éducation même !

citation parentalité bienveillante

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Source : Comment éviter de se fâcher avec la terre entière en devenant parent ? de Béatrice Kammerer et Amandine Johais (éditions Belin).

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