Jesper Juul : un auteur méconnu, une éthique éducative à découvrir
On peut lire sur le site familylab.fr (branche française de l’ONG Familylab Association qui vise à diffuser et promouvoir la pensée de Jesper Juul) :
Thérapeute familial, directeur de l’Institut danois de formation à la thérapie familiale pendant plus de 20 ans, conférencier de renommée internationale, Jesper Juul est l’auteur d’une vingtaine d’ouvrages destinés aux parents et aux professionnels de l’éducation et de la santé. Il a façonné le débat sur l’éducation des enfants comme nul autre en Scandinavie et en Europe centrale ces vingt dernières années.
Jesper Juul est l’un des douze penseurs, pionniers, visionnaires les plus importants de notre époque.- Die Zeit
Son ouvrage référence, Regarde…ton enfant est compétent, publié en 1995, traduit depuis dans une vingtaine de langues, s’est vendu à ce jour à près de 500000 exemplaires. Il est paru en français en 2012.
Dans son ouvrage phare Regarde ton enfant est compétent, Jesper Juul propose un nouvel objectif pour notre vie avec les enfants : une amélioration sérieuse de leur santé mentale et de leurs compétences psychosociales.
Dans son approche de l’éducation, les enfants font preuve d’une responsabilité personnelle. Ils sont capable de choisir librement quand et à qui obéir. Ils se conforment à une règle parce qu’elle est bonne, juste, ne porte pas atteinte à la dignité humaine mais sert l’intérêt collectif.
L’autorité personnelle exercée par les parents permet aux enfants de développer une santé mentale forte et durable.
L’estime de soi est saine car l’enfant est amené à penser :
- j’ai de la valeur tel que je suis,
- je suis aimé exactement pour ce que je suis,
- je serai aimé toujours aimé inconditionnellement,
- je suis capable de réaliser de grandes choses,
- mes pensées et mes rêves sont importants,
- mes actes sont utiles,
- je contribue au monde,
- j’ai le droit de me tromper.
Grâce au dialogue et à la négociation, les enfants acquièrent des compétences psychosociales solides : ils peuvent affirmer leurs besoins sans les imposer, ils savent faire preuve d’empathie, ils connaissent et comprennent leurs émotions et peuvent s’en servir de guide dans leurs choix et leurs décisions, ils savent résoudre des conflits sans violence.
Repenser l’autorité : de l’autorité traditionnelle verticale à un autorité personnelle
Jesper Juul nous propose 5 valeurs fondamentales pour faire preuve d’autorité personnelle.
1. L’authenticité
Une autorité basée sur qui nous sommes et pas sur les rôles que nous croyons devoir jouer.
Etre des parents authentique implique que nous soyons capables d’exprimer nos besoins, nos sentiments authentiques, nos valeurs et également nos limites. La Communication Non Violente (CNV) peut nous aider en ce sens. La CNV nous invite à dire nos besoins et nos sentiments face à des événements ou des comportements d’autrui.
2. L’équidignité
Jesper Juul définit l’équidignité comme le fait de tenir compte à la fois des besoins des enfants et de ceux des adultes sans porter atteinte à l’intégrité physique et psychologique des enfants.
Ce point est très important et peut être mal interprété : il s’agit d’affirmer nos propres limites tout en entendant et prenant au sérieux les besoins et les sentiments de l’enfant.
Les parents reconnaissent les sentiments et points de vue des enfants, voient et acceptent les enfants tels qu’ils sont. C’est un pré requis pour impliquer et inclure les enfants dans la prise de décision.
Cette notion d’équidignité va à l’encontre de la vision traditionnelle de la famille vue comme un système hiérarchique : les adultes sont omnipotents et les résistances sont combattues par la violence physique (fessée, tape) ou par la restriction de liberté (coin, punition, isolement, privation).
3. La responsabilité personnelle
Les parents font preuve de responsabilité personnelle quand ils sont prêts à porter la responsabilité de la qualité de l’interaction familiale au lieu d’en rejeter la faute sur les enfants ou de se la rejeter d’un parent à l’autre.
Jesper Juul insiste sur le fait que ce sont toujours les parents qui sont responsables de la qualité de l’interaction entre les membres de la famille.
4. L’empathie
Les émotions ont un pouvoir guérissant. Elles sont normales.
Il est essentiel d’écouter et accueillir les émotions des enfants sans chercher à les calmer, les minimiser, les faire taire, les nier ou encore les moquer. On peut se montrer empathiques avec des mots simples :
Tu as l’air..
J’ai l’impression que tu es…
Je ne pensais pas que tu y accordais autant d’importance.
C’est difficile de…
5. La volonté d’apprendre et de grandir en même temps que nos enfants
Nos enfants nous élèvent en même temps que nous les élevons. Cette volonté d’apprendre se traduit par le fait d’accepter de tromper, de s’excuser et de réfléchir à des alternatives pour les prochaines situations semblables :
- comment j’aurais pu réagir différemment ?
- quel a été l’élément déclencheur ?
- de quoi j’aurais eu besoin ?
- quel était mon besoin non comblé ?
- et le besoin non comblé de mon enfant ?
- est-ce que j’aurai pu lâcher prise ?
- comment aurions-nous pu trouver une situation qui nous aurait convenu à tous ?
- comment je pourrais réagir la prochaine fois : pour éviter la crise, pour la gérer, pour en sortir ?
L’authenticité des adultes, un repère essentiel pour les enfants selon Jesper Juul
Dans son livre « Me voilà ! Qui es-tu ? », Jesper Juul écrit :
La violence en tant que méthode éducative n’inspire pas le respect, elle crée de l’angoisse. Elle n’apprend pas aux enfants à faire la différence entre le bien et le mal, elle leur apprend qu’on a le droit d’en faire usage si on a le pouvoir. La violence n’apprend pas non plus aux enfants à respecter les limites des parents, elle leur apprend à avoir peur des conséquences.
Pendant des centaines d’années, nous avons été habitués à penser que le seul fait d’être parent nous donnait une autorité formelle, ce qui facilitait l’usage de notre pouvoir. Il n’en est plus ainsi […]. Les parents modernes doivent pouvoir développer une autorité bien plus personnelle, s’ils veulent que leur leadership porte ses fruits et que les abus de pouvoir soient évités. Les rôles traditionnels des genres ayant peu à peu été remis en question, cela vaut aujourd’hui aussi pour la réussite de la vie de couple.
Ni les parents, ni les enseignants, ni les pédagogues n’obtiennent de nos jours, comme c’était le cas auparavant, le respect de leur entourage simplement pour le rôle qu’ils incarnent. Ils l’obtiennent pour la personne qu’ils sont.
Les adultes, comme les enfants, ont tout simplement perdu le respect envers les figures d’autorité. Et nous nous dirigeons lentement mais sûrement vers une époque où le degré de crédibilité personnelle sera décisif quant au respect que nous inspirerons et au pouvoir que nous aurons le droit d’exercer envers les enfants et les jeunes, dans les relations pédagogiques comme dans les relations privées.
L’importance capitale de l’estime de soi dans le bien-être de nos enfants (et de nos sociétés)
Jesper Juul écrit dans son livre Voulons-nous vraiment des enfants forts et en bonne santé ? :
Un enfant fort et en bonne santé est d’abord et avant tout un enfant qui a une estime de soi saine et toute la confiance en soi que ses compétences et talents lui permettent de récolter. Avoir une estime de soi saine, c’est s’accepter, de manière sobre et nuancée, tel qu’on est. Avoir de soi une image réaliste sur laquelle on ne portera pas de jugement.
Avoir une estime de soi saine, c’est avoir le système immunitaire psychosocial le plus efficace que nous connaissons, et qui empêchera la toxicomanie, les troubles alimentaires, la scarification, le suicide et les comportements suicidaires, la criminalité, la violence et toutes les autres choses auxquelles nous espérons que nos enfants ne seront pas sujets.
Cela permet aussi à un enfant ou à un jeune de dire OUI et NON :
- oui à lui-même, à ses limites, à ses valeurs personnelles, à ses pensées et ses émotions,
- non à certains de ceux qui exigent l’obéissance et la soumission.
Un enfant dont on favorise le développement de l’estime de soi ne se soumettra ni à des règles ni à des sociétés qui porteraient atteinte à sa dignité humaine. En ce sens, Jesper Juul rejoint Alice Miller qui explique que la violence éducative est un terreau fertile pour des sociétés totalitaires.
Le concept de coopération par Jesper Juul
La coopération est au cœur de la manière dont Jesper Juul envisage l’enfant. Dans son livre Regarde… ton enfant est compétent, Jesper Juul entend coopérer comme synonyme de « copier », « imiter », « s’adapter » ou encore « se conformer ». Quand les enfants coopèrent, cela signifie qu’ils copient ou imitent les adultes.
Les enfants n’ont pas besoin d’adultes pour leur apprendre comment s’adapter, ni comment coopérer. Ils ont au contraire besoin d’adultes pour leur apprendre comment garder leur intégrité dans les relations avec les autres.
L’intégrité des enfants est à comprendre au sens de limites et besoins personnels, émotions, réactions, valeurs, croyances.
Selon Jesper Juul, les enfants coopèrent de deux manières :
-
de façon directe
Les enfants coopèrent en faisant comme leurs parents. Ils sont des copies conformes de l’attitude extérieure des parents.
-
de façon inversée
Les enfants coopèrent en inversant et déformant le comportement des adultes.
Jesper Juul prend l’exemple de deux enfants dont la mère malheureuse refoule son chagrin. L’aîné coopère de façon directe en se montrant effacé, le visage fermé, sans joie. Le cadet cherche au contraire à exprimer son propre chagrin et sa frustration, il aspire à l’échange. La mère est alors irritée par la vivacité et les sollicitations de son deuxième fils. Pourtant, c’est lui qui détient la clé pour des relations plus saines dans la famille et qui montre la voie pour que toute la famille travaille sur son chagrin.
Les enfants coopèrent en allant à « la racine des choses ». Ils le font de manière inconsciente mais « ils mettent toujours avec une assurance absolue le doigt sur le conflit qui pour l’instant empêche l’épanouissement de la famille« . On pourrait traduire les messages des enfants qui coopèrent en langage adulte :
« Cher parent, il y a quelque chose qui ne va pas entre nous – un ou deux points ne sont pas clairs. J’attire sur eux toute ton attention et je compte bien que tu vas te charger de les régler pour que tous ensemble nous puissions nous sentir bien »
« Chers papa et maman, je n’aime pas la manière dont vous cherchez à résoudre vos problèmes. Cela me fait peur et m’attriste. Ne pouvez-vous pas procéder autrement ? »
« Chère maman, comme tu sembles un peu désemparée et incertaine sur la façon dont tu dois t’occuper de moi, laisse-moi t’expliquer quelque chose. Je protesterai quand tu feras quelque chose que je n’aimerai pas et je réclamerai quand je voudrais quelque chose. »
« C’est douloureux pour moi d’être avec vous dans ces conditions là. »
« Je perds l’appétit quand je suis à table avec ma famille. Il y a quelque chose de contraint ou de destructeur, mais comme les autres, je manque de mots pour le dire. »
Les enfants manquent de recul et de capacités de langage, c’est aux parents de les leur fournir ou de comprendre leurs messages « codés ». Les enfants ne peuvent pas dire avec des mots d’adultes ce dont ils ont besoin, mais ils peuvent sentir quand ils ne le reçoivent pas. Dans ce cas, ils savent envoyer aux adultes un message sous forme de comportement difficile (destructeur) ou d’attitude complètement passive, résignée (autodestructeur).
Quand les enfants deviennent destructeurs ou autodestructeurs, c’est parce qu’un ou plusieurs adultes de leur entourage portent atteinte à leur intégrité – verbalement ou physiquement ou les deux à la fois.
Que peut-il y avoir de plus social que de communiquer à son entourage que la relation avec eux fait souffrir et doit donc être réajustée pour que tout le monde aille mieux ? – Jesper Juul
La responsabilité des parents : pour une responsabilité parentale respectueuse fondée sur l’éthique
Jesper Juul écrit dans son livre Regarde, ton enfant est compétent :
Même si les enfants et les jeunes influencent le processus de leur interaction avec les adultes, il leur est cependant impossible d’en prendre la responsabilité. Dans les contextes où la responsabilité, pour différentes raisons, aboutit entre les mains des enfants, ils ne se développent pas sainement.
Jesper Juul ajoute qu’il nous faut du temps pour nous habituer à ce fait et pour apprendre les principes qui créent des interactions saines avec les enfants. Le problème est que la manière dont nous influençons le processus (comment nous interagissons avec nos enfants) échappe en partie à notre contrôle conscient.
Nous influençons les interactions avec les enfants de plusieurs manières :
- notre personnalité
- nos tourments (ruminations mentales, soucis professionnels…)
- nos conflits familiaux (avec le conjoint/la conjointe, les parents, les beaux parents…)
- notre humeur momentanée (stress, fatigue, ennuis financiers…)
- notre zèle à bien faire (liés à des croyances rigides sur ce qu’il faut faire)
- notre angoisse de mal faire (liée à un manque d’estime de soi)
- les conseils lus ou entendus (magazine, famille, amis, livres, médias…)
- notre inconscient (héritage d’une histoire personnelle et d’injonctions sociales/culturelles)
Jesper Juul fait référence aux parents des générations précédentes qui, souvent, ne voyaient pas que la qualité des interactions était déterminante pour la réussite de leurs bonnes intentions éducatives (enseigner aux enfants à ne pas voler, ne pas mentir, à faire preuve de politesse, bien se tenir à table…). Encore actuellement, nous avons tendance à nous focaliser sur ce qui est important de « bien » faire et, quand cela échoue, nous pensons que quelque chose ne va pas chez l’enfant. Or nous gagnerions à raisonner en termes de comment nous avons fait les choses (le processus) plutôt qu’à ce que nous avons fait (le contenu).
Le contrôle du contenu consiste à atteindre un idéal d’adaptation totale de l’enfant par une autorité imposée qui « sait » et qui a le droit de faire du mal « pour le bien » de l’enfant : l’important est que les enfants soient gentils appliqués et doués à l’école et, par ailleurs, qu’ils fassent ce que les parents disent.
Mais cela se passe souvent différemment. Pour Jesper Juul, quand un enfant commence à se comporter de façon autodestructrice (faible estime de soi, retrait, douleur infligée à soi-même) ou destructrice (rébellion, vengeance, revanche), on peut être sûr de trois choses :
- ce n’est pas le premier de la famille qui agit de façon destructrice ou autodestructrice. Ce sont toujours les adultes qui commencent,
- les adultes de la famille ne sont pas en règle générale eux-même conscients de leur conduite destructrice/autodestructrice,
- sa conduite destructrice/autodestructrice s’est développée pendant plusieurs mois/ années. Même si on peut peut-être discerner un événement précis de sa vie qui s’est produit récemment, il n’a le plus souvent fait que révéler cette conduite.
Nous devons donc développer une éthique dans les rapports avec les enfants, où nous aurons les yeux et les oreilles en alerte par rapport aux bévues que nous commettrons inexorablement et nous devons ouvertement en assumer la responsabilité. Seule cette pratique éthique rendre les enfants libres de se développer à nouveau sainement. L’aide est là : les messages compétents des enfants qui nous ramènent là où nous-mêmes nous nous sommes arrêtés.
L’art de dire non aux enfants
Le plus important, ce n’est pas ce que nous faisons ni ce que nous disons mais comment et pourquoi nous le faisons. Il n’y a aucune raison de croire qu’un certain nombre de non par jour soit à souhaiter, mais il y a beaucoup de raisons de penser que beaucoup trop de ouis à contrecœur, de ouis réservés ou corrompus, ou bien défensifs, sont destructifs pour les relations entre parents et enfants. – Jesper Juul (L’art de dire non en ayant la conscience tranquille)
Les enfants coopèrent par nature : ils ont une faculté à ressentir ou à s’accorder sur les sentiments des parents. Mais quand les parents sont inquiets ou frustrés, oublient leurs propres besoins, hésitent sur ce que la situation demande d’eux, les enfants ne savent pas avec quoi coopérer
C’est ainsi que beaucoup de conflits familiaux surgissent quand un membre de la famille ne dit pas non quand il le pense ou quand il n’exprime pas ses besoins ou limites avec clarté. Les « ouis mais » ne sont ni des ouis ni des nons.
Le non est la réponse la plus difficile au monde car elle demande de prendre la responsabilité de soi même (ne pas attribuer la faute aux autres comme dire : « tu es pénible de tout le temps réclamer ceci »). Un non franc, sincère, authentique et personnel demande de la réflexion, de l’engagement et du courage.
Le non personnel provient de nos valeurs personnelles, de notre expérience, de nos sentiments et de nos limites. Ces valeurs, ces limites, ces opinions ne sont pas d’ordre général (ce que la société dit, ce que la télé dit, ce que la famille dit, ce que les voisins disent…) et nécessitent une réflexion sur nous-mêmes : à quoi disons-nous non de manière non négociable ? Pour certains, ce sera non au Coca-Cola, pour d’autres non à la télé; normalement pour tous, non aux coups et aux insultes.
Et comme le non personnel est aussi façonné par nos expériences, nous sommes amenés à le revoir et le mettre à jour régulièrement : parfois, la vie en commun nous oblige à le corriger.
Notre « soi » n’est pas une mesure fixe que nous pouvons connaître une fois pour toutes. Notre « soi » change avec le temps et dépend des relations auxquelles nous prenons part. Plus nous sommes provoqués, plus nous avons la possibilité d’être à jour avec nous-mêmes. – Jesper Juul
Il s’agit alors d’exprimer nos besoins, nos souhaits et nos limites dans un langage personnel (« je« ) et clair (sans sous entendus culpabilisants ou reproches déguisés).
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Regarde… ton enfant est compétent : renouveler la parentalité et l’éducation (éditions Chronique Sociale)
Voulons-nous vraiment des enfants forts et en bonne santé ? (éditions Fabert)
Me voilà ! Qui es-tu ? Sur la proximité, le respect et les limites entre adultes et enfants (éditions Fabert)
L’art de dire non en ayant la conscience tranquille (édition Chronique Sociale)