Comment le harcèlement scolaire se met en place
Désir mimétique et bouc émissaire pour rendre compte du harcèlement scolaire
Dans leur livre Les blessures de l’école – Harcèlement, chahut, sexting : prévenir et traiter les situations, Jean-Pierre Bellon et Marie Quartier estiment que l’école, du fait de la vie en collectivité, est génératrice d’intimidation. Ils se réfèrent aux travaux de René Girard au sujet du désir mimétique. René Girard était un anthropologue et philosophe français et a développé la thèse selon laquelle les humains ne sont pas en quête d’un objet précis, mais qu’ils recherchent avant tout ce que les autres humains recherchent également. Le désir serait donc fondamentalement un processus imitatif : nous voulons ce que les autres estiment désirables. René Girard a également beaucoup travaillé sur la notion de bouc émissaire : selon lui, sous certaines conditions, les groupes humains vont désigner en leur sein une victime expiatoire transformant ainsi la menace du « tous contre tous » par la coalition du « tous contre un ». Cette désignation d’un bouc émissaire a une fonction sociale : se protéger de la propre violence du groupe.
Des conditions favorisent l’émergence du phénomène de bouc émissaire (et du harcèlement scolaire)
Les conditions favorables à l’émergence du phénomène de bouc émissaire prennent principalement naissance dans des situations de crise lorsque les institutions s’affaiblissent et cessent de jouer leur rôle. Dans ce contexte, les groupes sont potentiellement générateurs de violence. À l’école, l’affaiblissement des pouvoirs institutionnels a tendance à créer des mouvements de harcèlement.
Ainsi, les humains sont gouvernés par une “force obscure” qui les pousse à se fondre dans le désir des autres et, dans certaines conditions, le désir des autres est d’exclure l’un des membres du groupe pour protéger la survie du groupe et se protéger eux-mêmes de la violence des autres membres du groupe.
Le meilleur moyen de se faire des amis dans un univers inamical, c’est d’épouser les inimitiés, c’est d’adopter les ennemis des autres. Ce qu’on dit à ces autres, dans ces cas-là, ne varie jamais beaucoup: nous sommes tous du même clan, nous ne formons qu’un seul et même groupe puisque nous avons le même bouc émissaire. – René Girard
Pourquoi les élèves “suiveurs” participent-ils au harcèlement ?
Pour Jean-Pierre Bellon et Marie Quartier, les élèves suiveurs (qui ne sont pas à l’origine de l’intimidation mais qui ne s’élèvent pas pour protéger le harcelé, et qui ont même tendance à rire parfois ou à participer de manière occasionnelle aux moqueries) ne font qu’obéir à un automatisme archaïque dont ils n’ont pas conscience : le désir mimétique, tel que décrit par René Girard. On comprend alors que les élèves n’aient pas la force de s’opposer, voire de s’affronter, à tout un groupe auquel ils font partie. On note d’ailleurs que peu d’adultes sont capables de cette force dans des situations similaires.
La désignation d’un bouc émissaire intervient comme une forme de réponse adoptée spontanément par les membres d’un groupe face aux menaces de désorganisation généralisée qu’ils sentent peser sur eux sitôt que les processus institutionnels d’organisation et de régulation cessent de jouer leur rôle. La mise en cause d’une victime émissaire, écrit Girard, joue « de toute évidence un rôle médiateur. Elle sert de pont entre la petitesse de l’individu et l’énormité du corps social ». La désignation d’une victime ne ramène pas entiè- rement la paix civile — seule la restauration de la puissance publique en aurait la capacité — mais, en concentrant la violence sur certains membres du groupe, elle permet aux masses désemparées de se ressouder en retrouvant un semblant de cohésion.- Jean-Pierre Bellon et Marie Quartier
Cela signifie que n’importe quel élève peut, dans certaines conditions, être impliqué à un certain degré, en tant que cibles, intimidateurs ou suiveurs/ témoins non intervenant.
La cible du harcèlement n’est pas choisie au hasard.
Jean-Pierre Bellon et Marie Quartier soulignent que c’est l’élément le plus faible du groupe qui est désigné comme bouc émissaire. Mais il peut aussi présenter le plus grand écart possible par rapport à la norme du groupe (traits propres à la victime : son caractère, ses agissements, ses habitudes…).
Plus on s’éloigne du statut social le plus commun, dans un sens ou dans l’autre, plus les risques de persécution augmentent. – René Girard
S’attendre à ce que l’école génère des situations d’intimidation est une bonne manière de protéger les élèves.
Selon Jean-Pierre Bellon et Marie Quartier, connaître les informations présentées ci-dessus permet de mieux maîtriser le cadre pour les parents comme pour les professionnels. Cela permet de ne pas perdre pied lorsqu’il faut y faire face et de représenter un soutien émotionnellement solide pour l’élève touché (et un régulateur efficace pour le reste du groupe).
La préoccupation partagée et la relation d’alliance pour briser le cercle du harcèlement scolaire.
Des adultes empathiques peuvent partager leur préoccupation pour l’enfant qui souffre avec le groupe harceleur
L’intervention des adultes est décisive car les enfants, tant cibles que harceleurs à tout degré, doivent être encadrés par des adultes aussi attentifs et fermes que bienveillants et eux-mêmes portés à l’empathie. Certains adultes ne sont pas des modèles d’empathie dans le sens où ils ferment les yeux sur la souffrance de l’enfant harcelé ou parfois cèdent à la culture du “victim blaming” (estimer que l’enfant harcelé est à l’origine du problème car il est trop ceci ou pas assez cela, que cela lui fait du bien et l’endure ou encore qu’il le cherche par son comportement).
Pour affaiblir les conditions favorables à l’émergence du phénomène du bouc émissaire, les adultes pourraient affirmer d’entrée une forte inquiétude pour celui qui souffre et chercher à faire partager sa préoccupation aux autres membres du groupe. L’idée est de conduire tous ceux qui participent à un processus d’intimidation (quel que soit le degré de participation au harcèlement) à partager une préoccupation pour celui qui en est la cible.
Former une relation d’alliance avec l’enfant cible
Jean-Pierre Bellon et Marie Quartier définissent une relation d’alliance adulte/ enfant comme une relation non jugeante. Dans la phase d’alliance, l’adulte ne cherche pas à diriger l’élève vers un autre comportement et ne donne donc pas de conseil à l’enfant.
L’enjeu est de valoriser l’élève, mais toujours de manière juste. Un adulte qui s’adresse à un enfant cible de harcèlement et en souffrance pourrait lui dire : « Tu es courageux, cela fait des années que tu subis des brimades insupportables, et pourtant tu trouves encore la force d’essayer de faire de ton mieux, d’y retourner chaque jour, de te lever chaque matin. » Bellon et Quartier rappellent que les élèves qui subissent une situation d’intimidation vivent un enfer et, malgré cela, ils retournent tous les jours à l’école. Ils sont effectivement courageux et le leur refléter peut les aider à puiser dans leurs ressources.
Pour aller plus loin : 5 phrases à ne pas dire à un enfant harcelé (et que dire – et faire – à la place)
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Source : Les blessures de l’école – Harcèlement, chahut, sexting : prévenir et traiter les situations de Jean-Pierre Bellon et Marie Quartier (ESF éditions). Disponible en médiathèque, en librairie ou sur internet.
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