Compliments et félicitations : on confond souvent existence et performance
Stephen Grosz, psychanalyste et professeur à l’University College de Londres, met en garde dans son livre The Examined Life: How We Lose and Find Ourselves contre l’overdose de compliments : répéter à un enfant qu’il ou elle est intelligent(e), que son dessin est joli ne l’aidera pas forcément à s’améliorer. La répétition trop fréquente de ce type de compliments pourrait même inhiber les performances des enfants.
Pourquoi en effet faire un autre dessin si celui qu’ils ont fait hier était déjà le plus beau ?
Pourquoi innover et tenter une autre manière de dessiner si les dessins tels qu’ils sont déjà faits valent toujours des compliments ?
Stephen Grosz fait référence à une étude menée par deux psychologues en 1998 (Carol Dweck et Claudia Mueller). Elles ont demandé à 128 enfants de résoudre des problèmes simples de mathématiques. Une fois les problèmes résolus, ces 128 enfants ont été séparés en deux groupes :
- les enfants du premier groupe ont été complimentés sur leurs capacités intellectuelles (Bravo, tu as bien réussi, tu es tellement intelligent),
- les enfants du deuxième groupe ont été complimentés sur leurs efforts et le processus intellectuel pour arriver au résultat (Bravo, tu as bien réussi, tu as dû beaucoup réfléchir et essayer plusieurs fois avant d’y arriver).
Suite à cela, d’autres problèmes plus complexes ont été proposés aux enfants :
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- Il se trouve que les enfants dont on a complimenté le travail plutôt que l’état d’intelligence se sont montrés plus persévérants et volontaires dans la résolution de ces problèmes. Ils n’hésitaient pas à recommencer, même suite à un erreur ou un mauvais départ.
- Au contraire, les enfants de l’autre groupe complimentés sur leur intelligence se sont révélés plus anxieux face au risque d’échec, se sont contentés de refaire les mêmes procédures que celles qui avaient fonctionné lors des premiers problèmes simples et leur ténacité a été mise à rude épreuve.
Stephen Grosz en a alors conclu que :
l’excitation et la fierté engendrées par le fait d’être considéré comme intelligents finit par se transformer en anxiété diffuse et détériore l’estime d’eux-mêmes, la motivation et les performances des enfants.
Carol Dweck et Claudia Mueller ont poussé l’expérience plus loin : elles ont demandé aux enfants de correspondre avec des enfants d’une autre école pour raconter leur expérience. Les enfants du premier groupe ont alors menti et augmenté leurs scores au test de résolution de problèmes.
Au final, un seul compliment maladroitement formulé a suffi à les rendre peu sûrs d’eux au point de mentir pour se conformer à leur statut d’enfants intelligents.
Quelles alternatives aux compliments sur les seules capacités intellectuelles et le résultat?
Stephen Grosz continue en affirmant que les compliments sur les seules capacités intellectuelles peuvent être vécus comme une marque de l’indifférence. En revanche, porter notre attention sur les efforts et le processus, ainsi que faire des remarques descriptives sur le résultat (les couleurs, les formes, l’intention de l’enfant) seront vécues comme des encouragements.
Stephen Grosz s’est inspirée des méthodes de Charlotte Stiglitz, enseignante retraitée et mère de Joseph Stiglitz (prix Nobel d’économie) pour proposer des alternatives. Elle procède ainsi :
“Je complimente un enfant seulement quand il fait quelque chose de vraiment difficile comme partager un jouet ou se montrer patient. Je pense que c’est aussi important de dire “merci” aux enfants. Quand je demande à un enfant d’attendre pour lui donner quelque chose ou pour l’aider, je le remercie d’avoir patienté. Mais je ne complimente pas un enfant qui joue.”
Mme Stiglitz mise sur l’attention portée à ce que l’enfant fait, mais surtout à la manière dont il a réalisé son action. Quand elle dit ne pas complimenter un enfant qui joue, elle veut dire par là qu’elle va plutôt lui poser des questions, lui sourire, commenter un choix de couleurs/ matières ou la manière dont l’enfant a trouvé une solution à son problème.
Stephen Grosz raconte une scène dans laquelle Charlotte Stiglitz interagit avec un enfant de quatre ans. A la fin de son dessin, celui-ci s’est arrêté et l’a regardée probablement dans l’attente d’un commentaire positif sur son dessin. Or elle a simplement souri et déclaré : “Il y a beaucoup de bleu dans ton dessin”. C’est alors que l’enfant a répondu : “C’est l’étang près de chez ma grand-mère, il y a aussi un pont”. Il a alors pris un crayon marron et a commencé à le dessiner en disant “Je vais te montrer”.
Le simple fait d’observer, d’écouter, d’être présent participe à la construction de la confiance car l’enfant comprend qu’il a de la valeur.
C’est le sentiment de compter pour quelqu’un, d’être important dans l’esprit de quelqu’un d’autre qui compte. Ceci est valable aussi bien pour les enfants que les adultes.
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Source : Presence, Not Praise: How To Cultivate a Healthy Relationship with Achievement de Maria Popova sur http://www.brainpickings.org/