Les tableaux de comportements, les récompenses et autres bons points ne peuvent pas être bientraitants.

Les tableaux de comportements, les récompenses et autres bons points ne peuvent pas être bientraitants

En tant que parents ou enseignants, nous pouvons être tentés d’utiliser des tableaux de comportements, des récompenses ou autres bons points pour que les enfants fassent ce que nous leur demandons. Ces techniques éducatives reposent sur une sorte de transaction marchande : l’enfant fait une action contre une récompense désirée, sous une forme ou une autre (ex : des bons points qui peuvent être cumulés et échangés contre un cadeau; de l’argent…). L’idée est de modifier le comportement de l’enfant en lui faisant miroiter une récompense qui lui fait suffisamment envie pour qu’il passe à l’action (par exemple : se brosser les dents contre une étoile collée sur le tableau des récompenses).

Ces stratégies peuvent effectivement porter leurs fruits à court-terme si :

  • les récompenses sont suffisantes attractives
  • les parents jouent le jeu en récompensant toutes les actions prévues dans le tableau
  • les parents se montrent “justes” du point de vue de l’enfant (récompenses à la hauteur des efforts fournis, récompenses promises toujours données).

Les problèmes posés par les tableaux de comportement et les récompenses ne portent pas sur leur efficacité mais bien sur la qualité des relations familiales et les compétences émotionnelles des enfants. Un rapport de domination s’instaure nécessairement car ceux qui proposent les récompenses ont du pouvoir sur ceux qui les espèrent et en deviennent dépendants.

Les récompenses se révèlent souvent inefficaces à long terme pour plusieurs raisons :

  • les enfants ne sont plus intéressés par les récompenses décidées par les parents et en demandent toujours plus ou bien s’en détournent tout simplement, délaissant par la même occasion les tâches associées;
  • les enfants peuvent se procurer eux-mêmes ce qui leur fait envie et ne sont plus motivés par les récompenses proposées par les parents;
  • les enfants ne font plus rien par plaisir de contribuer et d’aider les autres mais s’attendent à quelque chose en retour : “qu’est-ce que tu me donneras en échange ?”;
  • les enfants sont privés de la simple joie d’effectuer des actes par eux-mêmes et pour eux-mêmes, dans le plaisir d’aider les autres.

Erica Reischer (psychologue américaine) parle d’une “économie de récompense” qui se met en place dans les familles. Dans ce type d’économie, les enfants apprennent à marchander (et non pas à développer leur sens de la responsabilité). Ils seront hésitants à “offrir” un bon comportement de manière désintéressée et vont chercher à mettre en place un échange qu’ils estiment équitable. Ainsi, certains enfants refuseront de réaliser des tâches pourtant bénignes (comme débarrasser la table) sans rien en retour. Non seulement les récompenses et tableaux de récompense dégradent la motivation interne des enfants et entraînent une escalade (des récompenses de plus en plus coûteuses), mais ils pervertissent les relations.

Quand des adultes offrent des récompenses contre un comportement prosocial (ex : prêter des jouets, donner un coup de main), la tendance innée à coopérer s’érode. Michael Tomasello est un psychologue cognitiviste américain et a écrit le livre Pourquoi nous coopérons. Il y explique que les jeunes enfants ont des prédispositions à la coopération et que ces prédispositions sont façonnées par la socialisation. Tomasello a montré qu’autour de leurs premiers anniversaires (quand ils commencent à marcher, à parler et à devenir des êtres de culture), les enfants humains sont déjà coopératifs et serviables dans de nombreuses situations (mais pas dans toutes). Or ils n’ont pas appris cette tendance à coopérer des adultes : elle leur vient naturellement. Cette tendance innée à coopérer est graduellement influencée par divers facteurs (tels que le jugement que les enfants forment sur la réciprocité potentielle qu’ils vont obtenir ou encore leur préoccupation de la manière dont ils sont jugés par les autres personnes de leur groupe).  Ces facteurs sont essentiels pour l’évolution de la “coopérativité” naturelle des humains. En grandissant, les enfants humains commencent à internaliser plusieurs normes sociales spécifiques de leur culture telles que la manière dont on fait les choses, dont on doit faire les choses pour devenir un membre du groupe.

Quand les parents dédommagent les enfants pour un “bon” comportement, ils introduisent des “normes de marché” dans la famille et ces normes viennent remplacer les normes sociales et l’éthique désintéressée. Les enfants en viennent à considérer leur existence comme une sorte de travail dans la famille.

Les récompenses ne participent pas à enseigner les compétences émotionnelles et relationnelles nécessaires pour contribuer et vivre pacifiquement dans un groupe. Les enfants n’apprennent ni à coopérer, ni à respecter les règles parce qu’elles sont bonnes pour les membres de la famille, ni à co-construire les règles (et les faire évoluer en fonction des besoins) : ils ne font qu’obéir à un système qui les aliène. De plus, l’omission d’une récompense peut être contestée par les enfants entraînant des justifications inutiles dégradant le lien adulte/ enfant.

L’utilisation de tableaux de comportement et de récompenses est d’autant plus contre productive qu’il existe quantité d’autres approches sans récompense ni punition pour favoriser la coopération et l’acquisition de compétences émotionnelles et relationnelles.

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Pour aller plus loin, la lecture de mon livre vous donnera des pistes pour raisonner autrement face aux comportements des enfants qui nous mettent en difficulté (avant de chercher à plaquer des astuces et conseils au risque de constater que “l’éducation positive, ça ne marche pas”). J’y aborde largement l’inefficacité des punitions et des récompenses et des pistes pour les remplacer par des approches bientraitantes. Il est disponible en médiathèque, en librairie ou sur internet.

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