La naissance de la haine : des racines dans la violence éducative ordinaire ?
Alice Miller nous pose une question fondamentale dans son ouvrage Ta vie sauvée enfin : “Pourquoi cherchons-nous avec tant d’ardeur le mal “inné” dans les gènes ?”.
Pour sa part, elle estime que la plupart d’entre nous avons souffert de violence éducative, y compris celle dite “ordinaire” (fessées, claques, humiliations verbales, répression émotionnelle, chantage, menaces, retrait d’amour, isolement…) et que nous craignons le réveil des souffrances causées par les anciennes humiliations et refoulées ensuite.
Enfants, nous avons appris à réprimer nos souffrances puisque les messages des adultes consistaient à dire qu’il est normal de faire du mal aux enfants pour leur bien… mais les souvenirs des blessures émotionnelles sont restés stockés dans le cerveau et dans le corps.
La plupart des adultes croient d’ailleurs encore que les coups et violences émotionnelles font du bien aux enfants dans le sens où ces actes sont éducatifs et leur évitent de “mal” tourner. Nombreux sont les parents qui affirment qu’il n’est ni souhaitable ni possible d’élever des enfants sans les taper ou les punir (en 2015, 70 % des Français se disaient opposés à l’interdiction de la fessée – sondage Ifop pour Le Figaro).
Alice Miller regrette que nous restions pris dans le cercle vicieux de la violence et du déni de l’humiliation subie autrefois, c’est-à-dire dans le besoin de vengeance, de représailles et de châtiments. Elle écrit : “Les émotions réprimées dans l’enfance se transforment à l’âge adulte en une haine meurtrière à laquelle les groupes ethniques ou religieux donnent un habillage idéologique. L’humiliation est un poison contre lequel il n’y a pour ainsi dire aucun antidote ; elle produit en permanence de nouvelles humiliations, qui enclenchent à leur tout une spirale de violences tout en voilant les problèmes.”
Selon Alice Miller, la seule manière de briser le cercle de la violence héritée de l’éducation est de faire face à la vérité. Elle affirme que, en tant qu’adultes, nous pouvons poser le choix de la connaissance consciente et ne pas nous laisser uniquement mener par le savoir émotionnel inconscient inscrit dans notre corps (qui nous maintient dans la peur de la vérité).
Une mère dont la main “part” contre sa volonté ne sait en général pas qu’elle ne frappe son enfant que parce qu’elle y est poussée par son corps et les souvenirs qui y sont inscrits (en règle générale, la main des mères qui n’ont pas été frappées ne “part” pas). Cependant, si elle le sait, elle pourra mieux gérer la situation, mieux se contrôler et épargner du chagrin à son enfant comme à elle-même. – Alice Miller
Alice Miller explique la logique du refoulement (où les contradictions font bon ménage et où l’important n’est pas la vérité mais bien d‘échapper à de vieilles souffrances) par le fait qu’un enfant méprisé, tapé, maltraité émotionnellement n’a pas le droit de se défendre. Un enfant dont l’intégrité et la dignité sont bafouées devraient pouvoir se révolter, exprimer ses émotions de colère, de peur, de tristesse pour se défendre et résilier. Or c’est uniquement par ces protestations et ces manifestations émotionnelles qu’il sauverait sa santé psychique et sa faculté à devenir un être humain conscient et responsable.
En raison de ce mécanisme de refoulement, Alice Miller souligne l’importance de tout faire pour mettre un terme aux violences éducatives, qu’elles soient dites “ordinaires” ou non :
- autoriser l’expression émotionnelle des enfants, dès leur plus jeune âge, y compris de la colère,
- travailler sur soi-même et son histoire personnelle pour se libérer des conditionnements inconscients,
- être un témoin secourable pour les enfants qui en auraient besoin (Alice Miller définit les témoins secourables comme des personnes qui prêtent assistance à un enfant maltraité, lui offrent un appui. Ce rôle peut être assumé par n’importe quelle personne de son entourage proche ou même par une personne inconnue qui va s’interposer sur le parking d’un magasin quand un parent s’apprête à frapper son enfant par exemple. Un témoin secourable apporte à l’enfant maltraité un peu d’empathie et l’enfant apprend, à travers lui, qu’il existe au monde quelque chose comme l’amour inconditionnel et non violent.)
Alice Miller est convaincue qu’on peut éviter les guerres en apprenant aux enfants à aimer la vie, à travers une éducation non violente et consciente.
Nous devons enfin admettre la vérité, à savoir que le mal existe mais n’est pas inné. Il est créé par la société, quotidiennement, à chaque heure, sans interruption, dans le monde entier. Et cela s’opère tant à travers les méthodes d’accouchement qu’à travers l’éducation des petits enfants, qui, plus tard, deviendront peut-être des criminels [envers eux-mêmes ou envers les autres] s’ils ne rencontrent pas un “témoin secourable”. – Alice Miller
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Source : Ta vie sauvée enfin de Alice Miller (éditions Champs Essais). Disponible en médiathèque, en librairie ou sur internet.