L’instinct maternel existe-t-il ?

instinct maternel existe

Parler d’instinct maternel n’est pas neutre d’un point de vue culturel et social.

Dans leur livre Fille-Garçon même éducation : guide pour une parentalité féministe de 0 à 3 ans, Pihla Hintikka et Elisa Rigoulet rappellent que parler d’instinct maternel n’est pas neutre d’un point de vue culturel et social. A partir du moment où on parle d’instinct, on parle forcément d’inné. A l’inverse, quand on parle plutôt de programmation (sous-entendue culturelle par le biais de la socialisation), alors c’est dire qu’il existe une manière de socialiser les filles (et les garçons) pour que les femmes soient vues comme la personne “naturellement” responsables des soins à apporter aux enfants. Dans cette optique, la notion d’instinct, de naturel devient une construction sociale : c’est la responsabilité des mères aux yeux des autres que de s’occuper de l’enfant, de se lever la nuit, de le consoler, de le nourrir. Les rôles de “pères” et de “mères” apparaissent comme construits socialement et pénalisent davantage les mères car la notion d’instinct maternel fait peser une lourde charge sur les mères qui sauraient par essence comment s’occuper d’un bébé.

Prendre soin, écouter, être patientes, tout prédestine leur sensibilité, plus que celle des hommes, à ce rôle de parent. Mais attention, il s’agit encore d’une construction ! Les hommes sont outillés pour faire aussi bien. Si seulement on remplaçait le mot “instinct” par ce qu’il désigne vraiment, à savoir de l’attachement ou de l’amour, on réduirait moins le sens d’un sentiment parental fait d’affection et de responsabilité au-delà du genre et de la fonction de mère ou de père. – Pihla Hintikka et Elisa Rigoulet

Pères et mères : des rôles construits socialement qui pénalisent davantage les mères (et qui s’appuient sur la notion d’instinct maternel faisant peser une lourde charge sur les mères)

Ce dont parlent les mères (et les pères) relève de l’attachement (dans le sens de “amour”). Certaines mères peuvent avoir l’impression d’entendre leur bébé pleurer la nuit alors que le père ne l’entend pas, mais cela s’explique par le fait que les filles sont élevées en étant conditionnées à faire attention aux autres, à considérer que les soins du bébé relèvent de leur responsabilité. Ce qui est un jeu ici est plus la construction sociale et l’histoire familiale qui rendent les femmes plus attentives aux signes du bébé que la qualité d’audition des parents.

Pihla Hintikka et Elisa Rigoulet ne rejettent pas l’idée de différence biologique entre les hommes et les femmes, mais que les questions d’hormones et de gènes ne doivent pas balayer d’un revers de main la dimension psychique et sociale des comportements humains.

Ce qu’on appelle “instinct” définit en réalité l’attachement à son bébé. Or cet attachement se construit dans le temps. Il est le résultat d’une rencontre, il n’est pas évident, inné. C’est aussi un danger de faire croire aux femmes qu’elles vont aimer tout de suite l’être dont elles accouchent. Ce n’est pas si simple que cela car nous ne sommes pas si simples que cela. Ne pas en parler peut engendrer beaucoup de culpabilité et un sentiment d’échec chez la mère. Dire qu’il y a un instinct voudrait dire qu’il n’y a qu’expérience, alors que tout est possible et que tout s’apprend. – Pihla Hintikka et Elisa Rigoulet

Pour les deux autrices, au delà de la question des preuves scientifiques sur l’instinct maternel et les effets des hormones, la vraie question est celle de la souffrance des femmes devenues mères induite par la socialisation des filles comme des personnes par nature douces, aimantes et dont la fonction première est de donner la vie. Quand une femme devient mère, la frontière est mince entre responsabilité (donner le bain, se lever la nuit, ranger, cuisiner, écouter les émotions de chaque membre de la famille, planifier, faire faire les devoirs, aimer…) et culpabilité (de ne pas réussir à être à la hauteur du modèle, de ne pas aimer suffisamment l’enfant, de ne pas aimer être mère…).

Pihla Hintikka et Elisa Rigoulet reconnaissent que les rôles ont changé dernièrement : de nombreux pères s’impliquent dans les soins apportés aux enfants, leurs voix s’élèvent pour un allongement du congé parental, il existe des pères au foyer, certains hommes prennent des temps partiels pour s’occuper de leur famille. De plus en plus de pères revendiquent leur désir profond de présence auprès de leurs enfants, de prendre toute leur part dans les soins parentaux et dans les tâches domestiques. Pourtant, souvent encore, les pères sont dans un rôle de “décharge” ou “d’aide” des mères. Il est en effet extremement difficile de se défaire de tout le conditionnement culturel et social qui nous imprègnent depuis l’enfance :

  • à la fois pour les mères (qui peuvent se sentir inutiles, incompétentes, de mauvaises mères, si elles se déchargent trop)
  • et pour les pères (qui ont beaucoup à apprendre du fait d’avoir eu peu de modèles à imiter, qui peuvent redouter les jugements extérieurs sur leur moindre virilité, qui ont peu d’intérêt du point de vue économique et du prestige social à investir la sphère familiale autant que les femmes car ils ont – en moyenne – relativement plus à perdre en termes de salaire en passant à mi temps que les femmes).

On parle bien ici d’un sujet sociétal et même politique concernant les représentations féminines et masculines véhiculées par notre modèle culturel.

……………………………………..
Source : Fille-Garçon même éducation : guide pour une parentalité féministe de 0 à 3 ans de Pihla Hintikka et Elisa Rigoulet (éditions Marabout). Disponible en médiathèque, en librairie ou sur internet.

Commander Fille-Garçon même éducation : guide pour une parentalité féministe de 0 à 3 ans sur Amazon, sur Decitre, sur Cultura ou sur la Fnac