4 besoins humains nécessaires pour l’engagement (en classe, dans le travail de groupe…)
Les enseignants (et toutes les personnes en contact avec des enfants et des adolescents) ont besoin de prendre en compte 4 besoins humains basiques qui font (ou défont) l’engagement. Le désintérêt et le désengagement ne sont pas des fatalités (que ce soit à l’école ou même plus tard dans le travail).
Motiver et faire adhérer les élèves au travail scolaire est un des défis principaux des enseignants. Ce défi se pose également aux parents pour la contribution des enfants aux tâches familiales. La plupart du temps, cela passe par des moyens de contrôle externes (récompenses/ punitions, couleurs de comportement) pour gagner l’engagement par le contrôle et par la force. Or Daniel Pink a montré que la motivation extrinsèque est beaucoup moins efficace (si ce n’est inefficace à long terme) sur le degré d’engagement.
C’est l’éco-système dans lequel évoluent les élèves qui va faire la différence et la construction d’un éco système efficace repose sur 4 besoins humains fondamentaux. Ces besoins peuvent trouver traduction dans une attitude, dans l’aménagement de l’espace, dans l’ouverture physique de la classe (aux parents par exemple), dans l’organisation de la journée, dans la création d’outils spécifiques (de gestion des conflits par exemple, de démocratie pour permettre l’expression des besoins…).
Je me souviens d’une enseignante en collège qui me disait récemment qu’elle ne savait plus comment faire en sorte que ses élèves soient calmes et attentifs en cours. Elle a alors pris une heure de cours pour en discuter avec eux dans une optique de concertation gagnants/ gagnants. Elle leur a posé la question : Comment faire en sorte pour combiner mes besoins de calme et d’attention et vos besoins de mouvement et de lien entre pairs ? Il se trouve que l’enseignante et ses élèves sont arrivés à un compromis sur le long terme : la salle de cours disposait d’un débarras et les élèves étaient autorisés à se déplacer par groupe de 2/3 pour prendre 5 minutes de pause par cours. Il se trouve qu’elle a été surprise des résultats : les élèves se sont déplacés calmement pour y aller et ont respecté les conditions mises en place et elle a enfin obtenu l’engagement de leur part dont elle avait besoin.
Parfois, perdre du temps, c’est en gagner… La solution aurait pu être différente : ce qui compte ici est surtout l’approche consultative et démocratique en raisonnant en termes de besoins des uns et des autres pour permettre de faire émerger une solution qui convienne à tout le monde.
4 besoins humains basiques qui font (ou défont) l’engagement
1.Le besoin de confiance
La confiance est la fondation de toute relation couronnée de succès. A l’école (et plus tard au collège, au lycée et même à l’université), la confiance mutuelle enseignant/ élèves est une condition pour que les élèves mettent tous leurs efforts et leur intelligence dans les apprentissages.
Quand la confiance est absente, les élèves peuvent avoir peur de se tromper, redouter les échecs et se créer un rôle (de soumis, de rebelle, de “lèche botte”…) de peur de montrer leur vulnérabilité.
La foi inébranlable dans l’intelligence des élèves et dans leur bonne volonté est justement le levier de l’intelligence des élèves et de leur bonne volonté.
L’effet Pygmalion en est la meilleure preuve. Robert Rosenthal, psychologue américain du milieu du XX° siècle, a mené l’expérience suivante :
- il a constitué deux échantillons de rats totalement au hasard,
- il a convié des étudiants pour une expérience avec ces rats : ces derniers doivent retrouver leur chemin dans un labyrinthe,
- les étudiants sont eux-mêmes scindés en deux groupes :
- Rosenthal indique au premier groupe que l’échantillon de rats qui leur a été attribué est composé de rats particulièrement intelligents,
- Rosenthal indique au deuxième groupe que l’échantillon de rats qui leur a été attribué est composé de rats atteints de maladies génétiques et par conséquent retardés mentalement.
Ces indications sont fantaisistes car les rats ont été sélectionnés aléatoirement. Les résultats de l’expérience confirment pourtant les prédictions du psychologue : les rats du premier groupe passent le labyrinthe sans problème alors que certains rats du deuxième groupe ne quittent même pas la ligne de départ !
Après analyse, il se trouve que les étudiants du premier groupe se sont montrés chaleureux, sympathiques et encourageants avec leurs rats supposés brillants; tandis que les étudiants du deuxième groupe se sont montrés distants et froids avec leurs rats supposés stupides.
Rosenthal a réitéré cette expérience avec des enfants dans une école de San Francisco. Le psychologue s’est adjoint les services de Leonore Jacobson, directrice d’école. Ils ont voulu évaluer l’impact des attentes favorables des enseignants sur le niveau de développement intellectuel des élèves.
Rosenthal et Jacobson ont fait passer un test de QI à l’ensemble des élèves d’une école défavorisée composée essentiellement d’enfants d’immigrés. Puis, ils ont attribué un résultat surévalué à 20% des élèves et se sont arrangés pour que les enseignants prennent connaissance de ces résultats.
A la fin de l’année scolaire, Rosenthal et Jacobson ont à nouveau soumis les élèves à un test de QI.
Il se trouve que les 20% des élèves dont les résultats avaient été surévalués se sont comportés comme les souris du premier groupe : leurs performances aux tests de QI ont augmenté ! Pour la seule et unique raison que les enseignants ont porté un regard positif et valorisant sur ces enfants-là du fait d’attentes et de croyances modifiées à leur égard.
Les attentes et croyances sur les compétences et le potentiel d’un enfant modifient son évolution scolaire.
2.Le besoin d’espoir
Les vrais leaders sont des pourvoyeurs d’espoir. – Rosey Grier (champion de football américain)
Les élèves ont besoin de croire qu’ils pourront croître, apprendre, développer leurs compétences et avoir des opportunités de contribuer grâce à leurs talents. Cela fait partie du travail des enseignants que de soutenir l’espoir des élèves.
D’après Dr Gerald Hüther (neurobiologiste allemand), les humains font deux expériences majeures dans l’enfance : la croissance et le lien.
- la croissance
Les humains naissent avec l’espoir qu’il y aura dehors quelque chose à découvrir et à faire. Les bébés humains veulent trouver des choses qui les feront grandir, qui les rendront autonomes et cela se maintient à tout âge de la vie humaine.
- le lien
Le système de l’attachement fait en sorte que les humains viennent au monde avec l’espoir d’être les bienvenus. Les humains de tout âge s’attendent à ce que quelqu’un leur offre proximité et soutien.
Les expériences les plus importantes sont toujours celles qui ont lieu quand il est possible de combiner ces deux expériences primitives. – Dr Gerald Hüther
3.Le besoin de sentir sa propre valeur
Les êtres humains naissent pour apprendre. Les neurosciences ont prouvé que la raison d’être des bébés et des enfants est d’apprendre. On peut comparer le cerveau des bébés et des enfants à un ordinateur mais beaucoup plus puissant et d’une nature évolutive, dont le moteur est émotionnel. Alison Gopnik (chercheuse en psychologie du développement) parle d’“ordinateurs biologiques”.
Les bébés et les enfants sont conçus pour prendre un plaisir intense à la compréhension. Il s’agit pour les enseignants d’accompagner ce plaisir de comprendre, d’en favoriser l’émergence et de ne surtout pas l’étouffer ou le faire disparaître (via des punitions, des récompenses extrinsèques type gommettes ou bons points, des classements ou comparaisons…).
Ainsi, c’est dans le plaisir de la compréhension que les humains construisent leur sentiment de valeur intrinsèque. Les élèves ont besoin de sentir que leurs efforts se traduiront en apprentissages, en contributions positives et en reconnaissance. En effet, les ordinateurs biologiques que sont les bébés et les enfants sont conçus pour fonctionner comme éléments d’un réseau social complexe. Ils en reçoivent des stimulations qui vont participer à la maturation de leur cerveau et à leurs apprentissages mais également des feedbacks sous formes d’encouragement, de reconnaissance, de gratitude.
4.Le besoin de se sentir compétent.e
Les élèves ont besoin de situations qui favorisent l’apparition du “flow” tel que conceptualisé par Csíkszentmihályi. Quand on est dans le flow, l’expérience en elle-même est si agréable qu’on la fait dans la seule finalité de la faire.
Les personnes qui atteignent fréquemment cet état de développent un soi plus fort, plein de confiance et efficace parce que leur énergie psychique a été investie avec succès dans la réalisation des objectifs qu’elles avaient l’intention de poursuivre.
- La tâche entreprise est réalisable mais constitue un défi et exige une aptitude particulière
Pour augmenter la qualité de vie, il faut des tâches qui font appel à des aptitudes assez élaborées. L’expérience optimale intervient quand il y a une correspondance adéquate entre les exigences de la tâche et les capacités de l’individu : elle apparait entre l’anxiété et l’ennui.
- L’individu se concentre sur ce qu’il fait
Dans l’expérience « flot » (ou flow ou encore flux), tout semble s’écouler en dehors du temps, on est totalement immergé dans l’activité. L’action nous emporte comme par magie.
- La cible visée est claire
L’engagement total est rendu possible grâce à un but clair et une rétroaction immédiate. Si une personne ne se donne pas de cible et ne peut jauger son activité, elle n’aura pas (ou peu) de plaisir à la réaliser.
- L’activité en cours fournit une rétroactivation (ou feedback)
Le contenu de la rétroaction est en lui-même peu important. N’importe quel type de rétroaction peut être agréable s’il est logiquement relié au but pour laquelle la personne a investi de l’énergie (physique et psychique).
- L’engagement de l’individu est profond et fait disparaître toute distraction
La personne qui se trouve dans une expérience optimale est capable d’oublier les aspects déplaisants de sa vie, ses frustrations ou ses préoccupations. On retrouve ici des ponts avec la pleine conscience : les pensées troublantes ou non pertinentes pour le déroulement de l’activité sont temporairement mises de côté.
- La personne exerce le contrôle sur ses actions
Ce n’est pas le fait de gagner ou même de réussir qui compte mais le fait d’agir, de contrôler les actions, de réduire le danger dans une activité à risque, de développer suffisamment d’aptitudes pour maîtriser.
- La préoccupation de soi disparait mais, paradoxalement, le sens du soi est renforcé à la suite de l’expérience optimale
On s’oublie soi-même dans l’expérience optimale. Dans la vie quotidienne, notre soi se sent vulnérable régulièrement et il nous faut de l’énergie pour restaurer l’ordre de la conscience.
Or dans l’expérience optimale, le soi ne se sent pas menacé parce que celle-ci correspond bien à nos capacités.
- La perception de la durée est altérée
Le temps ne se déroule pas de façon habituelle.
Ainsi, les élèves ont besoin de défis à leur mesure : ni trop faciles ni trop difficiles. Par ailleurs, Csíkszentmihályi écrit qu’il est permis de penser que les enfants soumis à des pressions ou des mauvais traitements (punitions, humiliations, privations, cris, menaces, chantage…) seront si préoccupés par la sauvegarde de leur propre soi qu’ils disposeront de bien peu d’énergie pour poursuivre des activités autogratifiantes.
Pour autant, ces besoins d’engagement n’ont pas de sens éthique en soi, ils sont en quelque sorte “amoraux”. Ils peuvent donc être mis au service d’objectifs à questionner, que ce soit à l’école ou au travail. Réfléchir à ces besoins humains pour l’engagement ne doit pas mener à les appliquer à la lettre pour des activités qui emprisonnent et soumettent plus qu’elles n’élèvent et ne libèrent.
Cela est d’ailleurs vrai pour toutes les activités et outils proposés sur le blog (et même de manière générale) : à quoi sert d’encourager si, à côté, je prive de récréation ? à quoi sert d’avoir une foi inébranlable dans l’intelligence des enfants si c’est au service d’un système qui vise la compétition et raisonne en termes de hiérarchie plutôt que de différence ?
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