Quand une émotion en cache une autre : comment les décoder ?

émotion cache une autre

De nombreux livres traitant d’éducation se rejoignent sur ce point : les enfants peuvent envoyer des messages “cachés” difficiles à déchiffrer pour les parents, que ce soit par des comportements inappropriés ou par des émotions incohérentes, voire disproportionnées avec la situation concrète.

au coeur des émotions de l'enfant

Dans Au coeur des émotions de l’enfant, Isabelle Filliozat explique bien la notion de distorsion : un enfant qui pleure pour un vêtement trop serré éprouve peut-être de la colère pour un tout autre motif, un enfant terrifié par un chien qu’il connaît pourtant a sûrement peur d’une autre chose plus importante qu’il n’ose pas révéler.

Dans ce cas, nous parents avons tendance à sur réagir : soit en nous énervant parce que nous sommes exaspérés, soit en entrant dans des jeux de pouvoir avec l’enfant, ou encore en nous lançant dans des justifications et explications sans fin. Pourtant, Isabelle Filliozat écrit que

Votre énervement vous indique que l’émotion montrée en cache une autre. Il y a une autre blessure, un autre problème, un autre manque probablement plus crucial à écouter.

Quand un enfant n’arrive pas à exprimer une forte émotion intérieure, il va avoir tendance à la déguiser, à la déplacer sur des objets de substitution (dans les exemples cités ci-dessus, une jupe, un chien mais cela peut aussi être les devoirs, le petit frère…) L’enfant trouve une raison quelconque grâce à laquelle il pourra évacuer son énergie  Il est alors difficile pour les parents d’identifier la véritable émotion, témoin d’un véritable besoin.

Les besoins essentiels des enfants

Dans La discipline positive, Jane Nelsen estime qu’il n’existe que deux besoins affectifs fondamentaux chez les enfants :

  • le besoin d’appartenir (trouver sa place dans sa famille, à l’école, dans la société),
  • le besoin de se sentir utile et important.

Les enfants ont essentiellement besoin de sentir qu’ils sont à la hauteur, que leur contribution personnelle a de l’importance, que leur présence est désirée. Selon elle, un enfant qui se comporte mal est un enfant découragé. Le comportement inapproprié est un message codé lancé par un enfant qui est découragé de ne pas réussir à combler ses deux besoins fondamentaux. Le vrai message qui se dissimule derrière un comportement inapproprié relève de l’un ou l’autre de ces besoins : “Je veux une preuve d’appartenance au groupe, à la famille, à la classe…” ou “Je veux être important”.

l'enfant qui a le plus besoin d'amour est celui qui se montre le moins aimable

Les objectifs mirages selon la Discipline Positive

Selon Jane Nelsen, elle-même inspirée par Rudolf Dreikurs, il existe 4 objectifs mirages vers lesquels les enfants tendent quand ils se sentent découragés. On les appelle mirage parce qu’ils reposent sur des croyances fausses élaborées par l’esprit de l’enfant (par exemple, je compte seulement pour ma mère si elle s’occupe exclusivement de moi ou je n’ai de sentiment d’appartenance à un groupe seulement quand j’en suis le chef).

Illustration extraite de La discipline positive

Illustration extraite de La discipline positive de Jane Nelsen (éditions Poche Marabout)

 

Dans tous les cas, notre rôle de parents est de trouver des moyens pour comprendre ce que l’enfant essaie de nous dire de manière détournée, de décoder le comportement de l’enfant pour revenir aux besoins essentiels. Les questions que nous devrions nous poser sont les suivantes :

Comment aider l’enfant à ressentir de l’appartenance et de l’importance ?

Quels sont les besoins cachés derrière les comportements inappropriés ?

Comment décoder une émotion qui en cache une autre ? 

Reflet des sentiments : écoute, respect et empathie

Quand les enfants sont en colère ou malheureux, ils veulent être compris, soutenus et recevoir des preuves d’amour. La technique des sentiments réfléchis de Dr Carl Rogers (reprise et développée par Thomas Gordon sous le nom d’écoute active) permet de montrer à l’enfant que nous comprenons réellement ce qu’il/elle ressent en traduisant ses sentiments par nos propres paroles et en les lui réfléchissant comme un miroir.

Plutôt que de chercher à minimiser les causes de sa tristesse (“C’est pas grave que ton gâteau soit cassé !”), à lui donner des conseils tout faits (“T’as qu’à faire ci/ça! “), à le détourner de ses mauvais sentiments (“Mais si, tu aimes ta sœur !”), à jouer les arbitres dans les conflits (“Il t’a tapé ? Bien fait, c’est toi qui as commencé !”), à questionner sur les causes (“Pourquoi tu as fait ça ?”) ou encore à juger l’enfant (“Que tu es pénible !”), les sentiments réfléchis permettent non seulement de démontrer à l’enfant que nous comprenons (ou en tout cas tentons de comprendre) ce qu’il ressent mais c’est aussi lui laisser une opportunité de trouver une solution à ses problèmes.

La réflexion des sentiments est une invitation à parler de la part du parent en direction de l’enfant. Elle aide les enfants à découvrir ce qu’ils ressentent exactement. Ecouter activement nécessite de tenter de comprendre pourquoi l’enfant s’est mis dans cet état sans lui demander ! Il ne s’agit pas seulement de répéter ce que l’enfant dit mais de reformuler en posant des hypothèses. Par exemple, quand un enfant énonce qu’il déteste l’école, cela vaut le coup de répondre “Tu détestes à peu près tout à l’école.” ou sous forme de question “Tu détestes absolument tout ce qui ce rapporte à l’école ?” Il y a des chances pour que l’enfant réponde qu’il ne déteste pas tout en fait. Le parent peut donc rebondir : “Tu détestes une chose en particulier, n’est-ce pas ?”

Refléter les sentiments de l’enfant requière de laisser de côté opinions et sentiments personnels pour mieux écouter, décoder et comprendre les sentiments de l’enfant. L’avantage de cette technique est qu’elle est auto régulatrice : si nous tombons à côté de ce que l’enfant voulait dire, il rectifiera à coup sûr (à condition que nous soyons prêts à accepter que notre enfant éprouve des sentiments différents des nôtres).

Pratiquer le reflet des sentiments

Voici une liste de mots proposée par Isabelle Filliozat dans Au cœur des émotions de l’enfant :

C’est dur pour toi de…

C’est difficile…

Je vois que…

J’imagine que…

Je comprends que tu dois souffrir de…

Tu te sens triste à l’idée de…

Tu as envie de… (te venger, ne plus jamais le voir, lui téléphoner)

Tu aimes…

Tu n’aimes pas…

Réponse positive et encourageante par de l’attention positive (selon les 4 objectifs mirages)

Dans son livre La discipline positive, Jane Nelsen donne des pistes en fonction des 4 objectifs mirages poursuivis par l’enfant :

1. Accaparer l’attention pour dire “Remarquez-moi”, “Impliquez-moi”.

  • Impliquer l’enfant dans des tâches utiles et responsabilisantes

Cela peut passer par des phrases comme “J”ai besoin de toi/ de ton aide pour…”, “Je n’y arriverai pas sans toi..”

Pour un jeune enfant qui refuse de tenir la main dans la rue ou les magasins, pourquoi ne pas lui laisser des choix ? Si vous devez traverser une rue, demandez-lui : « Préfères tu me tenir la main ou marcher devant moi sans courir ? » ou encore « Préfères tu me tenir la main ou celle de papa/ doudou/mamie… ? »

Vous pouvez aussi essayer de lui donner des minis responsabilités dans les magasins (aller chercher un article en particulier, le scanner, porter quelque chose tout le temps des courses…).

  • Planifier des moments d’attention non partagés
  • Instaurer des signaux, des codes de langage non verbal

Par exemple, un clin d’œil pour dire “Je pense à toi”, la main droite sur le cœur pour dire “Je t’aime”.

  • Dire les choses une seule fois et faire ce que vous avez à faire/ continuer à faire ce que vous êtes en train de faire

Cela peut passer par des phrases comme “Tu comptes pour moi/ je t’aime et je passerai un moment avec toi plus tard.” Une promesse est une promesse : si vous promettez un moment d’attention exclusif plus tard, faites-le.

2. Prendre le pouvoir pour dire “Laissez-moi participer, “Donnez-moi des choix”.

  • Utiliser à bon escient les temps de pause

Il ne s’agit pas de “mettre au coin” ou d’envoyer avec autorité l’enfant dans sa chambre pour qu’il se calme. Mais plutôt d’accepter qu’il est inutile de chercher des solutions dans le feu du conflit. Le temps de pause doit être expliqué comme un temps de retour au calme, le calme étant le prérequis à la résolution du conflit.

Jane Nelsen propose même que les enfants créent leur espace de temps de pause : à quoi il ressemble et ce que l’enfant y fera (dessiner ? dormir ? lire ? faire du sport ?). Le parent pourra alors poser la question : “qu’est-ce qui t’aiderait le plus : aller retrouver ton calme en temps de pause ou te sens-tu capable de changer d’attitude tout de suite ?”. Le parent pourra même proposer aux plus jeunes ou aux moins jeunes très énervé s’ils souhaitent être accompagnés.

Le temps de pause est vu comme une étape qui sera suivie d’une résolution de conflit basée sur la coopération une fois que tout le monde aura retrouvé son calme (oui, oui, parents inclus… qui peuvent aussi avoir recours au temps de pause pour eux !).

  • Reconnaître que vous ne pouvez pas le forcer mais lui demander de l’aide
  • Offrir des choix limités et appropriés

Je le fais souvent avec ma fille : est-ce que je t’habille ou tu t’habilles toute seule ? je commence par le haut ou par le bas ? tu préfères mettre les couverts ou les verres ?

  • Décider de ce que VOUS allez faire et pas ce que vous allez FAIRE FAIRE

Ainsi, plutôt que demander  à votre enfant de mettre son linge sale dans le panier de linge sale (c’est lui qui doit faire quelque chose), affirmez que vous ne laverez que le linge qui se trouve dans ce fameux panier. Règle ferme, définitive, et connue de tous.

  • Laisser les routines et rituels faire autorité

Par exemple, pour le brossage de dents, choisissez avec votre enfant une chanson qui dure entre 2 et 3 minutes. Ce sera la chanson des dents : le signal que c’est le moment de se brosser les dents et le temps de brossage à respecter. Le mieux est que ce soit vos enfants qui la choisissent !

3. Prendre une revanche pour dire “Aidez-moi”, “Je souffre intérieurement”.

  • Utiliser l’écoute active et les sentiments réfléchis

L’écoute active permettra de prendre soin des sentiments de souffrance de l’enfant, de partager mutuellement ses sentiments, de montrer que l’on se sent concerné, de ne pas se sentir visé personnellement  et éventuellement de reconnaître ses responsabilités.

Je me souviens que ma fille faisait des gommettes juste avant de manger et je lui ai demandé à table si elle s’était bien amusée, de quelle couleur étaient les gommettes, si elle avait envie de  les offrir à quelqu’un. Forcément, elle a eu envie d’aller les chercher pour me les montrer. Je me suis retenue de lui dire de rester à table… mais c’était à moi de ne pas lui parler de ces gommettes. J’ai suscité en elle une envie qui était irrépressible et l’empêcher d’aller les chercher aurait viré au drame familial. Finalement, elle est très vite revenue à table, j’ai regardé la feuille en décrivant les couleurs et les formes que je voyais puis je lui ai demandé de la poser derrière la table pour qu’on puisse manger sans risquer de la tâcher. Bilan : une fin de repas agréable !

  • Encourager les points forts
  • Pratiquer les temps d’échange en famille pour engager des discussions .

Le temps d’échange en famille est “une opportunité régulière et planifiée de 15 à 30 minutes par semaine pour apprendre à s’apprécier de façon positive, à se concentrer ensemble sur les solutions qui faciliteront le plaisir de vivre ensemble et à développer les compétences sociales nécessaires au plein épanouissement de chacun.”

4. Renforcer sa croyance d’incapacité pour dire “Ne me laissez pas tomber”, “Tendez-moi la main”.

  • Enseigner les compétences sans faire à la place de l’enfant
  • Fixer des étapes intermédiaires

C’est le principe de la méthode des petits pas ou kaizen. La progression se fait étapes par étapes car on part du principe qu’aucune grande tâche ne peut pas être découpée en plusieurs sous tâches plus petites. Le kaizen pourra vous aider au quotidien, que ce soit dans la gestion des devoirs ou pour ranger une chambre.

kaizen

 

  • Mettre l’enfant en situation de réussite

Il ne s’agit pas seulement que l’enfant prenne conscience de ce qu’il réussit à l’école mais aussi de ce qu’il réussit en dehors de l’école (il sait danser le hip hop, elle sait dribbler, il sait jouer du piano, elle sait faire le grand écart, il sait faire un gâteau tout seul, elle sait changer une ampoule toute seule, il a marqué le but de la victoire, elle a aidé sa copine à terminer son exposé…)

Ces réussites et ces succès pourront être notés dans un album de réussites dans lequel l’enfant se replongera pour regonfler sa confiance.

Réussir et progresser dans un domaine extra scolaire permet de valoriser l’enfant. Chaque succès sera célébré et consigné dans son album.

  • Encourager toute initiative à la maison et en dehors de la maison

La valorisation des réussites valorise l’enfant : même si l’enfant récolte une mauvaise note à l’école, valorisez ce qui est fait, les exercices réussis, les progressions par-rapport à l’évaluation précédente.

 

Les questions ouvertes : le véritable apprentissage va de l’intérieur vers l’extérieur

Grâce aux questions ouvertes, l’enfant pourra découvrir les ressources qui sont les siennes plutôt que de recevoir des conseils, des règles, des leçons de morales ou des jugements imposés de l’extérieur.

 3 types de questions ouvertes selon les problèmes rencontrés

1. Parler la situation et exprimer les émotions

Jane Nelsen parle de questions de curiosité. Elle les définit comme des “questions qui témoignent d’une réelle envie de comprendre et qui font avancer.”

Qu’est-ce qui se passe ? / A ton avis, que s’est-il passé ? 

A ton avis, qu’est-ce qui a provoqué cette situation ? 

Qu’est-ce que tu essayais de faire ? 

Qu’est-ce que ça te fait ? 

Qu’est-ce qui se passe pour toi quand… ?

Qu’as-tu ressenti quand… ? 

Qu’as-tu pensé quand… ?

Qu’est-ce qui te rend le plus triste/ en colère/ énervé ? 

Qu’est-ce qui te manque le plus ? 

Qu’est-ce qui te préoccupe le plus ? 

Qu’est-ce que tu penses de l’attitude/ du comportement/ des paroles/ des gestes de cette personne ? 

Comment ressens-tu/ vis-tu/ comprends-tu cette situation ? 

Comment te sens-tu par rapport à ce qui s’est passé ?

Qu’est-ce que tu imagines/ crains/ anticipes ? 

De quoi as-tu peur/ besoin ?

2. Désamorcer les jeux de pouvoir

Nous avons plutôt l’habitude de “dire” avec nos enfants plutôt que “questionner”. Pourtant, certains ordres qui cristallisent des jeux de pouvoir peuvent devenir des questions qui invitent à la coopération, qui donnent envie de s’investir.

N’oublie pas ton manteau devient On dirait qu’il fait froid, qu’est-ce que tu vas mettre pour avoir bien chaud ?

Va te brosser les dents devient Qu’est-ce qu’il faut faire pour avoir les dents propres ? Qu’est-ce qu’il ne faut pas oublier pour ne pas avoir de caries ?

Va te coucher devient A quelle heure a-t-on décidé que tu allais te coucher ?

3. Explorer les conséquences

La recherche de solutions donne l’occasion aux enfants d’apprendre à réfléchir, de comprendre par eux-mêmes, de discerner et de choisir parmi plusieurs solutions, de se montrer responsables, d’assumer la conséquences de leurs actes et de devenir force de propositions.

Qu’as-tu appris ? 

Comment feras-tu à l’avenir ? 

Qu’est-ce que tu peux faire ?

Qu’est-ce que je peux faire ? Comment puis-je t’aider ?

Comment penses-tu résoudre le problème ? 

Qu’est-ce que tu imagines comme solution ?

Comment peux-tu utiliser ce que tu as appris à l’avenir ? 

 

En conclusion, un enfant qui se comporte mal a toujours quelque chose à nous dire et nous pouvons tenter de décoder une émotion qui en cache une autre.

…………………………………………………………………………………………….

Sources :

Au coeur des émotions de l’enfant d’Isabelle Filliozat (éditions Poche Marabout)

La discipline positive de Jane Nelsen (éditions Poche Marabout)