L’éducation bienveillante n’est pas du laxisme (le mythe de l’enfant gâté)
Pourquoi accuse-t-on l’éducation bienveillante de tous les maux ? L’éducation bienveillante est-elle du laxisme ?
Comprendre pourquoi l’éducation bienveillante est associée au laxisme
Le laxisme et l’autoritarisme ne sont pas les deux seuls styles d’éducation possibles. Pourtant, beaucoup de gens, en particulier les détracteurs de l’éducation bienveillante, partent de ce principe. L’éducation bienveillante n’est pas du laxisme.
Une éducation respectueuse demande beaucoup plus de temps, d’énergie, d’attention et de courage qu’une éducation qui passe par la loi du plus fort (puisque la loi du plus fort n’offre aucune autre option que le rapport de force et la coercition tandis qu’une éducation respectueuse est par essence une éducation du sur mesure, une éducation créative et consciente qui requiert le développement de compétences émotionnelles et un travail sur la mémoire traumatique : en somme, un vrai travail de “déconstruction”).
Malheureusement, dans une société accusant les parents permissifs de tous les maux (alors même que la plupart des parents ont encore recours en masse aux fessées et à la violence éducative ordinaire), l’empathie et le respect manifestés aux enfants sont confondus avec le fait de laisser les enfants faire tout ce qu’ils veulent.
D’un côté, ceux qui soutiennent une éducation bienveillante sont taxés d’apologie du laxisme, même si ce n’est absolument pas la position qu’ils défendent. De l’autre, les enfants et surtout les adolescents qui manifestent l’envie d’avoir du pouvoir sur leur propre vie et de la liberté sont qualifiés de manipulateurs, voire de tyrans.
Définir les termes
Dans son livre Le mythe de l’enfant gâté, Alfie Kohn regrette que l’une des normes les plus établies dans nos sociétés dites “progressistes” et démocratiques soit empreinte d’irrespect pour les enfants. On attend des enfants (à la maison et très largement à l’école via des systèmes punitions/ récompenses) que les enfants fassent ce que les adultes leur disent, sans même se poser la question de la dignité de l’enfant et de son droit à l’expression (ne parlons pas de sa participation à l’élaboration des règles).
Dès lors, ce qui est décrit comme du narcissisme […] et qu’on blâme en prenant la parentalité laxiste comme bouc émissaire bien pratique peut vraiment consister en quelques chose d’aussi simple qu’une demande de la part des jeunes d’avoir leur mot à dire sur ce qui les concerne et d’être traités avec respect. – Alfie Kohn
Kohn constate que nos sociétés sont empreintes d’une nostalgie pour l’autoritarisme (alors même que celui-ci est loin d’avoir disparu). Il écrit que plus on se soucie de conformité sociale, plus on traduit cela sous forme de parentalité punitive et restrictive. Les adultes qui ont peur de la permissivité, au sens d’absence de règles et de limites éducatives ou de règles trop souples, croient en effet que les enfants laissés livrer à eux-mêmes ne tourneront pas exactement comme les adultes l’ont décidé… et que cela constitue une menace pour l’ordre en place, pour les valeurs dites morales, pour la culture, pour le mode de vie source de fierté, pour les traditions. Alison Gopnik, professeure de psychologie et autrice du livre Anti manuel d’éducation, estime pourtant que le paradoxe entre tradition et innovation est constitutif de l’essence humaine. Les êtres humains ont toujours connu ce paradoxe entre préservation de l’ancien (qui se manifeste par des jugements méprisants des adultes sur les jeunes) et ouverture à la nouveauté (porté par les enfants, les adolescents et les jeunes adultes). Cette tension est inscrite dans notre programme évolutif et les enfants sont en première ligne pour permettre l’innovation et le changement… tout en étant les héritiers des traditions de leurs aînés.
La valorisation de l’obéissance (au détriment de l’éthique) justifie d’assimiler la bienveillance au laxisme.
Une caractéristique communément attribuée aux parents d’antan est leur insistance à obtenir des enfants “bien élevés”. L’accent mis sur ce trait de caractère sous-entend que le comportement des enfants – l’apparence extérieure et la conformité aux règles de conduite établies – compte davantage que la façon dont ils se sentent. – Alfie Kohn
Pourtant, Kohn souligne le paradoxe qui anime ce type de raisonnement. Les avocats des punitions, de la maltraitance physique ou encore des jeux de pouvoir ne raisonnent jamais en termes d’éthique. Ils ne se demandent jamais comment être sûrs d’élever des enfants heureux, équilibrés, en bonne santé physique et émotionnelle, sociaux, empathiques, libres penseurs, capables de s’élever contre l’injustice et d’agir pour le progrès social. Ils se demandent plutôt comment les adultes pourraient bien obtenir obéissance et performance (comme des bonnes notes à l’école) sans passer par la coercition et le système bâton/ carotte.
Celles et ceux qui veulent élever des enfants prêts à l’anticonformisme quand le besoin s’en fera sentir ont une raison supplémentaire de refuser le style de parentalité autoritaire. Alison Gopnik ajoute même que chercher à façonner le comportement de nos enfants pour qu’ils épousent parfaitement nos buts serait contre productif. Elle écrit que nous ne pouvons pas connaître à l’avance les défis sans précédent auxquels les enfants du futur devront faire face. Chercher à les façonner à tout prix à l’image de nos idéaux du moment pourrait en réalité les empêcher de s’adapter aux changements à venir.
Alfie Kohn plaide en faveur d’une parentalité qu’il qualifie de “collaborative” sans fessée ni punition ni même récompense mais incluant les éléments suivants :
- accepter l’enfant inconditionnellement (l’aimer pour ce qu’il est, pas pour ce qu’il fait),
- offrir constamment à l’enfant l’occasion de prendre des décisions sur les sujets qui le concernent (ou, du moins, le plus souvent possible),
- s’attacher davantage à répondre aux besoins de l’enfant et à l’accompagner avec bienveillance, plutôt qu’à le faire obéir,
- considérer un mauvais comportement comme une occasion de résoudre un problème et d’apprendre, non comme une infraction pour laquelle l’enfant doit être soumis à des “conséquences” sous formes de punitions,
- voir au-delà du comportement de l’enfant afin de comprendre les motifs (émotions, sensations, besoins) et les motivations positives (à quoi l’enfant dit-il “oui” ?) qui le font agir comme cela.
Kohn estime qu’il y a par ailleurs une grande différence entre le fait de se pardonner une erreur occasionnelle (une punition, une fessée, une parole blessante, un abus de pouvoir…) puis de s’en excuser auprès des enfants et celui de ne même pas avoir conscience que c’est effectivement une erreur.
Il se demande avec tristesse combien d’enfants n’ont pas pu recevoir ce dont ils avaient réellement besoin parce que leurs parents et leurs enseignants étaient terrifiés à l’idée qu’on ne les juge pas assez fermes et convaincus que le rapport de force était la seule manière d’interagir avec les enfants.
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Source : Le mythe de l’enfant gâté de Alfie Kohn (éditions L’Instant Présent). Disponible en médiathèque, en librairie ou sur internet (site de l’éditeur).
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