Les effets négatifs de la culture pornographique omniprésente sur le développement des garçons

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La pornographie, une industrie prédatrice qui a tout intérêt à rendre ses consommateurs dépendants

Dans un article précédent, je mettais en avant comment l’industrie pornographique a contaminé la culture pop et en quoi cette contamination représente un réel problème pour les jeunes femmes.

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Aujourd’hui, je vais compléter ce tour d’horizon des effets néfastes de l’omniprésence de la culture pornographique en décrivant les conséquences dans la vie des jeunes garçons et des hommes. Dans son livre Pornland (éditions Libre), Gail Dines rejette le mythe selon lequel la pornographie ne serait qu’un fantasme amusant et inoffensif. Gail Dines étudie les effets de la pornographie sur la vie des jeunes garçons et des hommes depuis des décennies et a eu l’occasion en plus de vingt ans de récolter de nombreux témoignages, tant d’anonymes que de criminels sexuels,au sujet des répercussions de la consommation de pornographie sur leur vie. Elle a pu constater à la fois les conséquences négatives du visionnage d’images pornographiques sur le corps et l’esprit des hommes mais aussi l’accroissement de ces conséquences ces dernières années avec la facilité d’accès à ces images via Internet (les enfants voyant en moyenne leurs premières images pornographiques à l’âge de 11 ans).

Gail Dines qualifie l’industrie pornographique d’ “immense industrie dont le but ,dans le monde réel, est de faire du profit en vendant aux hommes un produit qui facilite la masturbation [à base d’] images produites en série, hautement stéréotypées, conçues par un groupe de redoutables capitalistes”. Dines regrette que ces images finissent par étioler l’imagination des hommes (mais aussi des femmes) et leur capacité à être sexuellement créatifs, tendres, proches, en fournissant des images et scénarios au “contenu répétitif et abrutissant“. Gail Dines parle de “marchandisation et d’industrialisation” du désir humain par des hommes d’affaires qui cherchent à se faire un maximum d’argent. On peut légitimement dénoncer les pornographes qui cherchent à se faire passer pour des libérateurs sexuels alors qu’ils sont à la tête d’une industrie prédatrice qui a tout intérêt à rendre ses consommateurs dépendants.

Ce sexe déshumanisé, dégradé, générique qui ne se fonde pas sur des fantasmes personnels, sur le jeu ou sur l’imagination, mais qui est le produit d’une industrie créée et dirigée par des rapaces excités par le profit. – Gail Dines

Ce n’est pas être anti-sexe (ou être une “féministe prude/ mal baisée”) que de dénoncer les méfaits de l’industrie pornographique

Dénoncer le caractère violent des images pornographiques n’est pas être “anti-sexe” mais être anti-violence. Le porno, et le gonzo en particulier qui est sa forme la plus extrême en matière de pratique sexuelle, affiche un mépris manifeste pour les femmes (pour leurs corps, leurs limites, leurs émotions) et contribue à fabriquer une histoire, une sorte de récit culturel, selon laquelle les femmes aiment être humiliées, qu’elles sont toujours prêtes pour une relation sexuelle car leur non cache toujours un oui. On retrouve cette idée du consentement à bafouer dans certains titres ou descriptions de films où les femmes commencent par refuser une relation puis finissent en extase, l’homme apparaissant comme un révélateur de la nature profonde de la femme avide de sexe mais honteuse de l’avouer.

De plus, les images de l’industrie pornographique font l’impasse sur les messages de prévention sexuelle : maladies sexuellement transmissibles, SIDA, grossesse non désirée, douleurs physiques à prendre en compte (tant chez l’homme que chez la femme)… On ne voit jamais les partenaires échanger sur le mode de contraception en place (déresponsabilisant encore plus les hommes au sujet des grossesses non désirées) et pas (ou très peu) des relations sexuelles pratiquées avec un préservatif.

Le porno crée une perception déformée du monde et des relations humaines

Un cycle vicieux : les images pornographiques actuelles s’appuient sur des messages culturels sous-jacents nocifs et, par là, les renforcent

Pour Gail Dines, c’est l’effet cumulatif des messages sous-jacents du système d’images qui créent une certaine perception du monde.

Il existe un processus de socialisation qui prépare les hommes à apprécier le porno de plus en plus hard. En effet, il est exagéré de dire que tous les hommes apprécient le porno (en particulier le porno “hard”). De plus, les hommes ne sont pas des “misogynes nés“, insensibles à la douleur des femmes et souhaitant même les voir souffrir (sous prétexte que les femmes le mériteraient ou aimeraient secrètement cela).

Pour Gail Dines, la violence sexuelle (exercée par les hommes sur les femmes) est invisibilisée dans la pornographie pour plusieurs raisons :

  • la socialisation des garçons les amène à se déconnecter de leurs propres émotions et de leur empathie pour supporter les injonctions à la virilité (comme “un garçon, ça ne pleure pas” ou “si tu joues aux poupées, c’est que t’es une mauviette”);

 

  • au moment où ils découvrent des images pornographiques pour la première fois, la plupart des garçons ont déjà intériorisé le discours sexiste véhiculé par notre culture selon lequel ce qui relève du féminin est méprisable et signe de faiblesse (à travers les films, la télévision, les jeux et jouets, les livres pour enfants, les publicités etc…);

 

  • les hommes d’affaires que sont les producteurs de films pornographiques diffusent des discours selon lesquels les images ne fabriquent pas la réalité et insistent sur le caractère inoffensif de la pornographie (alors qu’ils savent qu’ils doivent produire des images de plus en plus extrêmes pour gagner des parts de marché et résister à la concurrence, ce qui prouve une certaine insensibilisation des consommateurs à la violence sexuelle et un besoin de pratiques de plus en plus violentes pour susciter de l’intérêt et de l’excitation  sexuelle).

L’essor de la pornographie s’inscrit dans une socio-culture qui fabrique du “retard émotionnel” chez les hommes.

Dans une société où la culture serait moins virile, aucun homme ne pourrait être excité par des images de femmes se faisant violenter. Comme les hommes seraient rebutés et scandalisés et que la société entière dénoncerait ces contenus, aucun homme d’affaire n’aurait d’argent à gagner dans cette industrie, aucun homme ne pourrait se vanter d’être un acteur porno, aucune femme ne serait traitée de pu*te pour ses pratiques sexuelles.

Les hommes n’auraient pas besoin d’artifices audiovisuels pour se sentir puissants et n’auraient besoin ni de béquilles pour vivre des relations riches, authentiques dans toute leur complexité, ni de masques pour cacher leur vulnérabilité. Le porno ne semble attrayant que parce que tout pousse les garçons dans notre culture à développer un certain retard émotionnel et à prouver par tous les moyens leur virilité.

Dans une telle économie émotionnelle, le porno […] offre une expérience sexuelle sans condition, intense et détachée, dans laquelle les hommes peuvent avoir autant de relations sexuelles qu’ils le souhaitent de manière à renforcer leur masculinité. Dans le porno, l’homme ne risque pas, en outre, d’être rejeté ou de souffrir du ridicule puisque les femmes ne disent jamais non aux exigences sexuelles des hommes, elles ne disent jamais rien de la taille de leur pénis ou de leur manière de s’en servir. – Gail Dines

Quand les images pornographiques sont considérées comme un “étalon pour le sexe : des conséquences toxiques chez les garçons et les hommes

Des troubles de nature et d’intensité différentes

Les garçons et hommes qui regardent du porno ne sont pas tous accros et témoignent de répercussions plus ou moins intenses de leur consommation dans leur vie. Toutefois, Gail Dines rapportent de nombreux témoignages d’hommes regardant de la pornographie et qui parlent d’un sentiment de malaise par rapport au sexe après avoir visionné des images pornographiques.

Quand les images pornographiques sont considérées comme un “étalon pour le sexe”, certains hommes peuvent ne pas se sentir à la hauteur (comme des “ratés sexuels”) et développer des troubles :

  • peur de ne pas réussir à donner à leur partenaire un orgasme digne des orgasmes simulés par les actrices porno (en oubliant au passage que ces orgasmes sont bel et bien simulés dans le cadre d’un jeu d’actrice et donc plus expressifs, plus longs, plus bruyants que ce que peut être un orgasme féminin qui, par ailleurs, dépend de chaque femme et de chaque relation au contraire des orgasmes dans les films pornographiques qui sont stéréotypés, industrialisés);

 

  • besoin de penser à des images pornographiques pour jouir et éjaculer;

 

  • complexes envahissants (pénis considéré comme trop petit, endurance moins longue que celle des acteurs porno, éjaculation considéré comme trop précoce…);

 

  • honte de ne pas réussir à draguer et à obtenir du sexe qui parait pourtant si facile à obtenir dans les films porno puisque les filles y sont toujours consentantes et avides de relations sexuelles (cette honte pouvant se transformer en colère envers les femmes de la vraie vie);

 

  • ennui au lit et déception, voire colère, contre la partenaire qui n’accepte pas aussi facilement des pratiques sexuelles extrêmes que les actrices dans les films;

 

  • absence dans le moment présent et incapacité à nouer une relation intime avant, pendant et après le sexe (certains hommes demandant à leur partenaire de partir juste après l’acte pour pouvoir regarder du porno);

 

  • parasitage des relations que les hommes voudraient plus intimes par des images pornographiques envahissantes (rendant difficiles, voire impossibles, des relations amoureuses profondes et authentiques);

 

  • risque de dépendance à la pornographie (avec comme conséquences l’arrêt des études ou du travail, des dépenses importantes dans l’achat de films, l’isolement, voire la dépression);

 

  • possibilité d’escalade vers des contenus pornographiques de plus en plus extrêmes, certains hommes devant regarder des contenus qu’ils auraient auparavant qualifié de choquants ou dégoûtants afin de contrer l’ennui et l’insensibilité (pouvant aller jusqu’à la pédopornographie).

Les images pornographiques entretiennent la culture du viol

Gail Dines avertit qu’il ne s’agit jamais de dire que le fait de regarder du porno transforme les hommes en violeurs. Tous les hommes qui regardent des films pornographiques ne sont pas des violeurs et tous les hommes consommateurs de porno n’acceptent pas l’entierté des mythes véhiculés par cette industrie (ex : les femmes ne se connaissant pas elles-mêmes, les femmes qui ont goûté au sexe torride en redemandent, les femmes méritent d’être maltraitées, les femmes sont des prostituées dans l’âme et rêvent secrètement d’être traitées comme tel…).

Le point soulevé ici est plutôt celui de la culture et de la socialisation des garçons. Les images pornographiques produites en grande quantité, facilement accessibles et reprises dans la culture pop (sous forme de paroles de chansons et de mises en scène dans des clips musicaux, de conseils dans les magazines pour des relations sexuelles plus “pimentées”, de ventes de produits comme les poupées gonflables…) participent à une “culture du viol“. L’expression “culture du viol” normalise, légitime et cautionne la violence contre les femmes. Cela englobe le fait de harceler une femme (même la partenaire officielle de longue date) pour la faire céder à des actes sexuels qu’elle refusait de prime abord (rappelons que céder n’est pas consentir, que les femmes ne veulent pas seulement consentir mais aussi être désirantes). Certains hommes impactés par la culture du viol utiliseront les femmes pour leur “petite affaire” et les ignoreront ensuite; d’autres critiqueront les performances de leurs partenaires féminines qui ne pourront jamais faire assez au lit…

Dans la plupart de ces images produites en masse, la femme ne possède pas d’intégrité corporelle , de limites ou de frontières à respecter. Ensemble, ces images nous disent que ce qu’elle recherche et apprécie au plus haut point, c’est précisément la violation. – Gail Dines

Pour une “riposte culturelle” qui offre des récits alternatifs au porno

Contrer les discours dégradants pour les femmes et exploitant le retard émotionnel des hommes

Gail Dines estime que la société a besoin d’une contre culture du porno pour offrir des récits alternatifs : une “riposte” culturelle. Cette contre culture devrait “dire aux hommes que l’image de la femme dans le porno est un mensonge fabriqué pour vendre une vision particulière du sexe”. Cela peut passer par des actes individuels, insuffisants mais nécessaires (comme le fait pour un homme de boycotter le porno; pour une femme de refuser de sortir avec un partenaire qui consomme du porno; pour des parents de parler du porno avec leurs enfants avant qu’Internet ne s’en charge…).

L‘éducation populaire peut également être un levier de changement, à la fois en termes de dénonciation (ex : organisation de conférences pour dénoncer les effets de la culture hypersexualisée) mais aussi en termes de vision positive et stimulante pour contrer les discours dégradants pour les femmes et exploitant le retard émotionnel des hommes (ex : valoriser les images et récits d’une sexualité fondée sur l’égalité, la dignité et le respect).

La lutte contre la pornographie propose aux hommes une sexualité célébrant le relationnel, l’intimité et l’empathie – une sexualité fondée sur l’égalité plutôt que sur la subordination. – Gail Dines

Élargir le cadre et considérer la socio-culture au sens large

Toutefois, cet effacement des images et récits proposés par la culture pornographique ne peut pas avoir lieu dans une société qui, de manière générale, discrimine les femmes. Il s’agit donc de promouvoir au sens large une société juste parce que, dans une société égalitaire, il n’y a littéralement pas de place pour le porno (ni dans les imaginaires ni dans les porte-feuilles car personne ne serait prêt à payer pour ce type d’images violentes et dégradantes, les hommes comme les femmes leur préférant la vie de corps désirants et des relations porteuses de sens et de joie). Il n’y aurait pas non plus de femmes traumatisées (notamment victimes de violences sexuelles dans leur enfance) dont la mémoire traumatique les amènerait à jouer dans des films pornographiques ou de femmes tellement précaires financièrement que leur seule issue serait l’industrie pornographique (au mépris de leur santé tant physique qu’émotionnelle).

Aborder le sujet de la pornographie, c’est aussi aborder le sujet des violences au sens large. Les violences s’inscrivent toujours dans un rapport de force et de domination (par exemple, 21% des violences sexuelles démarrent avant 6 ans chez les femmes). Muriel Salmona, psychiatre française spécialiste de la mémoire traumatique, rappelle que la dissociation des personnes traumatisées cache les impacts très graves des violences subies parce que la dissociation annihile la possibilité de s’opposer et de se révolter aux violences (physiques et/ou psychologiques). Ne pas savoir dire non peut être un symptôme de dissociation. Cela n’est pas lié à une impossibilité de dire non mais à une privation des moyens de dire non (via l’impossibilité d’éprouver des émotions) à cause de la dissociation. Une personne dissociée a donc plus de risques d’être à nouveau victime de violence puisqu’elle peut être réduite en esclavage sans protester. De plus, elle risque de ne pas aller consulter pour des maladies physiques étant donné qu’elle ne ressent pas ou mal ses sensations corporelles et ses émotions. On peut alors faire le lien avec les femmes exploitées dans l’industrie pornographique : non, elles ne choisissent pas ce métier car elles aiment ça; non, elle n’aiment pas ça, elles simulent et jouent la comédie, “aidées” par la dissociation et, souvent, par des drogues et analgésiques.

Il y a un vrai problème de déni de la violence dans notre société et il est nécessaire de s’occuper de toutes les facettes de cette violence.

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Source : Pornland : comment le porno a envahi nos vies de Gail Dines (éditions Libre). Disponible en médiathèque, en librairie ou sur internet.

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