La charge mentale des mères : le problème des injonctions
Coline Charpentier est mère et autrice du livre T’as pensé à… ? au sujet de la charge mentale des mères. Elle écrit que le problème de la charge mentale est que certains hommes ne se rendent pas compte du travail que cela demande de tenir une maison et d’organiser la vie familiale. Il s’agit plus d’une question de socialisation que de compétence. Pour Coline Charpentier, les valeurs de la masculinité sont d’abord tournées vers l’extérieur du foyer plutôt que vers l’intérieur. Il n’y a rien de naturel à ce que la charge de la tenue du foyer repose (presque) entièrement sur les femmes. Coline Charpentier regrette que les contraintes autour des enfants reposent sur les mères et que ce que les pères font soit vu comme du “bonus” : quand un père s’occupe des enfants et prend en charge les tâches qui y sont liées, c’est un héros (quand la mère assume exactement les mêmes tâches, c’est normal).
La charge mentale, c’est penser toujours à tout, organiser et exécuter, sans répit, que ce soit au travail ou en famille.
La charge mentale revient à penser en permanence à la gestion du foyer : les moments de détente sont parasités par des pensées autour de la famille, de la maison, des courses, des tâches domestiques ou encore du planning quotidien (activités extrascolaires des enfants, RDV médicaux, réserver le centre de loisirs pendant les vacances scolaires…).
Le problème de l’injonction à la communication au sujet de la charge mentale
Quand on reproche aux femmes de ne pas assez bien communiquer ou quand on leur réplique qu’elles n’ont qu’à demander lorsqu’elles se plaignent du poids de la charge mentale, cela revient à dire : les femmes sont les uniques responsables de la bonne tenue du foyer et de l’organisation familiale.
Pourtant, le compagnon habite autant la maison que sa compagne et passe aussi souvent devant le lave vaisselle ou devant le panier de linge sale. Un homme qui dort dans le même lit que sa compagne doit savoir quand il est temps de changer les draps et passer à l’action (de la mise des draps dans le lave linge à la bonne température, à la sortie du linge mouillé, de l’étendage au pliage et au rangement, en passant par le remplacement par des draps propres dans le lit).
Si votre frigo est plein, si vos habits sont propres, si votre maison est saine et que votre fécondité est maîtrisée, et que vous n’y êtes pour rien, soit vous êtes très riches et vous payez quelqu’un, soit vous avez quelqu’un qui travaille gratuitement pour vous. Tous ceux et celles qui habitent la même maison et qui ont décidé de le faire par amour sont responsables de cette maison. Aucun privilège ne peut être accordé selon son genre. – Coline Charpentier
Dire aux femmes qu’elles n’ont qu’à demander, c’est leur ajouter une nouvelle couche de charge mentale car elles devraient à nouveau prendre l’initiative de la communication. De plus, c’est faire preuve de condescendance pour les hommes que de les penser incapables de prendre des initiatives domestiques. Pourtant, les hommes ont démontré qu’ils sont tout à fait capables de prendre des initiatives (dans le domaine professionnel, associatif, sportif…) et qu’ils comprennent les codes implicites.
L’amour porté à la conjointe devrait permettre de voir sa souffrance derrière ses plaintes au sujet de la charge mentale et pousser les hommes à trouver des solutions en autonomie pour permettre aux femmes de se sentir mieux (plutôt que chercher à se justifier et faire une sorte de comptabilité sur qui fait quoi, qui ramène plus d’argent à la maison).
Le problème de l’injonction au lâcher-prise pour se débarrasser de la charge mentale
Lâcher prise, c’est accepter que les autres nous voient comme celle qui “démissionne“, qui ne fait plus rien. Or les femmes sont élevées dans l’idée que c’est leur rôle de prendre soin du foyer et celles qui voudraient lâcher prise sont en proie avec la peur des jugements et de l’auto culpabilité.
Dans notre éducation et notre société, on met en avant l’idée que les femmes qui s’occupent de la maison et de la famille le font par amour.
Elles se sacrifient par amour, elles donnent de leur temps par amour. Ne commençons pas à tirer cet argument en disant : et dans ce cas-là, les hommes n’aiment pas ? – Coline Charpentier
Coline Charpentier rappelle que la valeur sociale d’une maison bien tenue est très forte (de même que la punition sociale pour une maison mal tenue). Une femme qui ne fait plus rien à la maison est rarement vue comme une femme forte, qui réussit ou comme une compagne aimante, comme une mère qui s’affirme. C’est plutôt une femme égoïste, paresseuse, une mère incompétente, laxiste, voire dangereuse.
Et le problème reste irrésolu si personne ne prend en charge les tâches lâchées.
Le problème de l’injonction à la séparation pour régler le problème de la charge mentale
Le problème de la charge mentale des femmes n’est pas tant lié à une personne ou un couple en particulier mais à une socioculture instaurée et renforcée par les médias, l’éducation et le modèle familial.
Conseiller à une femme qui se plaint de sa charge mentale de se séparer, cela revient à nier que c’est un système qui la met en place. Par ailleurs, l’amour ne se commande pas sur mesure : il peut y avoir encore de l’amour malgré la souffrance. On ne se sépare pas aussi facilement quand on a des enfants et quand on est dans la précarité (les femmes en congé parental ou ayant arrêté de travailler ont une peur légitime du futur après une séparation). De plus, se séparer d’un compagnon en particulier ne garantit pas de continuer sa vie avec un nouveau compagnon plus impliqué.
Se séparer a un coût émotionnel, financier, psychique qu’il ne faut pas négliger. Les femmes n’ont pas forcément envie de se séparer, elles sont envie d’équité, de joie, de partage, de lien, de soutien, de compréhension d’amour; elles veulent sentir le sens de leur couple, être heureuses dans leur parentalité.
Dompter le problème de la charge mentale des mères
Coline Charpentier rappelle que c’est le jour où l’un des deux souffre qu’il faut s’interroger. Elle estime que chaque couple doit trouver sa propre réponse et formule quelques suggestions parmi lesquelles piocher en fonction des préférences et possibilités :
Déconstruire
Déconstruire, c’est prendre conscience de ses modèles éducatifs et de l’influence de ces modèles pour pouvoir s’en libérer puis chercher des modèles inspirants dans les médias qui expriment ce qui est important pour nous de vivre en tant que mères (ex: Erin Brockovich, Michelle Obama…). La diversité des modèles aide à recadrer nos propres croyances et habitudes.
Déconstruire, c’est aussi se poser des questions sur la raison pour laquelle on fait les choses (par joie/ plaisir ? par devoir ? par mimétisme ? par culpabilité ?…) ou ce qui se passerait si elles ne sont pas faites ou faites plus tard.
Faire comprendre l’intensité du mal être
Quand la souffrance atteint un niveau très élevé et que les tentatives de communication précédentes ont échoué, il ne reste parfois que des initiatives désespérées : partir seule un weekend ou une semaine, faire la grève… Ces initiatives sont des appels à l’aide et peuvent être accompagnées de déclarations personnelles plutôt que d’attaques (comment on se sent, ce qui est important pour nous, ce qu’on a envie de vivre dans le couple, nos espoirs).
Décomposer les tâches pour montrer tout ce qu’il y a avant et après une simple action
Il s’agit de se réunir en couple et de choisir une tâche (ou quelques unes) qui cristallise les tensions puis de lister toutes les mini tâches qu’une simple action sous-tend. Par exemple, pour une nuit passée par un bébé chez les grands parents, que faut-il prévoir de A à Z ?
Coline Charpentier remarque par exemple que, faire à manger, c’est au minimum 8 actions (allant de faire les courses, avoir un plan de travail propre à mettre la table en passant par mettre les restes au frigo).
Comme premier exercice à faire à deux, décomposez chaque tâche importante de la journée, avec ou sans enfants. Faites-le ensemble. Voyez toutes les actions que cela implique. […] C’est comme cela qu’on commence. On teste, on voit, mais on fait à deux. – Coline Charpentier
Une fois toutes les actions listées, il est plus facile de les départager, en choisissant ce qui plait le plus ou ce qui est le plus pratique pour l’un ou l’autre des membres du couple. L’idée est que chacun puisse exprimer comment il se sent à l’évocation de cette idée et en quoi cette répartition contribue à l’harmonie du foyer.
Il est possible de faire un essai pendant une durée déterminée (un mois par exemple) pour voir si cette organisation fonctionne, faire le bilan et réajuster si nécessaire.
Impliquer les enfants dans la répartition de la charge mentale
Développer l’autonomie des enfants pour alléger notre propre charge mentale de parents est également une option. Tout le monde y sera gagnant : les enfants car ils gagnent en autonomie et les parents parce qu’ils peuvent redonner aux enfants ce qui leur appartient (prendre soin d’eux et de leurs besoins). Cette autonomie ne se décrète pas et se construit pas à pas, dans le respect des capacités et du rythme de l’enfant. Faire des choses à la place des enfants alors qu’ils en sont capables (pour aller plus vite, pour se sentir utiles en tant que parents…), c’est les infantiliser et les empêcher de développer leur confiance en eux et leur sens de la responsabilité (individuelle et collective).
Cette autonomie est également l’occasion d’apprendre aux garçons comme aux filles à s’occuper des tâches domestiques, sans distinction de genre.
Une question peut nous guider dans ce processus : « À qui appartient ce problème ? ». Cela signifie que la personne à qui appartient le problème est celui qui s’en occupera. Elle peut demander de l’aide mais une aide n’est pas synonyme de faire à la place.
Pour aller plus loin : La charge mentale en famille : compter sur l’autonomie et le sens de la responsabilité de tous les membres (y compris les enfants)
Dompter le problème de la charge mentale est un défi permanent et garder l’équilibre ne sera pas si facile. Parfois, se séparer apparaît comme la seule solution pour se retrouver en tant que femme. La séparation n’est pas une solution miraculeuse à mettre en œuvre en un claquement de doigts mais représente parfois la meilleure manière de ne pas couler (notamment dans la dépression) quand tout a été tenté par ailleurs.
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Source : T’as pensé à… ? : guide d’autodéfense sur la charge mentale de Coline Charpentier (édition Le livre de poche). Disponible en médiathèque, en librairie ou sur internet.
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