Comment faciliter l’apprentissage ?
Du point de vue de l’enseignant, la relation interpersonnelle est la clé pour faciliter l’apprentissage.
Le bon professeur doit être un homme/ une femme existant vraiment : il faut qu’il/elle soit réellement présent à ses élèves; il éduque grâce à son contact. Tel est d’ailleurs le premier mot en matière d’éducation : le contact. – Martin Buber ( philosophe, conteur et pédagogue)
Carl Rogers (grand influenceur de la psychologie humaniste par son approche centrée sur la personne) écrit que, pour favoriser un apprentissage valable, il est indispensable qu’il existe entre l’apprenti et celui qui veut faciliter son apprentissage une relation interpersonnelle qui implique certaines qualités d’attitude.
Pour Carl Rogers, enseigner ou transmettre des connaissances garde un sens dans un environnement qui ne change pas. Or nous vivons dans un environnement qui change sans arrêt. Il en déduit que le but de l’enseignement, si nous voulons survivre, ne peut être que de faciliter le changement et l’apprentissage.
Le seul individu formé, c’est celui qui a appris comment apprendre, comment s’adapter et changer, c’est celui qui a saisi qu’aucune connaissance n’est certaine et que seule la capacité d’acquérir des connaissances peut conduire à une sécurité fondée.
La capacité de changer, la confiance dans une capacité plutôt que dans un savoir statique, tels sont dans le monde moderne les seuls objectifs que l’enseignement puisse s’assigner et qui ait un sens. – Carl Rogers (Liberté pour apprendre)
Carl Rogers préfère parler d’apprentis que d’étudiants ou d’élèves. Il préfère parler de “facilitateurs” d’apprentissage que d’enseignants. Il se donne comme missions en tant que facilitateur d’apprentissage de :
- libérer la curiosité intellectuelle des gens,
- permettre à chacun de s’élancer dans de nouvelles directions à partir de ses propres intérêts,
- affranchir l’esprit de recherche,
- ouvrir toutes choses à l’exploration et à la remise en question,
- reconnaître que tout est en mouvement ou en train de changer.
3 qualités fondamentales pour faciliter l’apprentissage (d’après Carl Rogers)
1. L’authenticité
Lorsque le ‘facilitateur” se trouve être une personne vraie, qui est authentiquement elle-même, et qui entre en relation sans masque ni façade avec celui qui apprend, il y a beaucoup de chances que son action soit efficace. – Carl Rogers
Le facilitateur est lui aussi une personne avec des sentiments, des émotions, des espoirs, des peurs, des croyances.
Cela signifie beaucoup pour le facilitateur : être capable de prendre conscience des sentiments et émotions qui le traversent, de les reconnaître et de les accueillir, et aussi d’en fait part s’il y a lieu. Cette expression des sentiments et émotions ne seront authentiques que si elles se sont sur un mode personnel : messages-Je qui expriment les sentiments et les besoins, demandes claires sans accusation ni jugement.
Le facilitateur a le droit et la possibilité d’être enthousiaste ou ennuyé, d’être intéressé par ses élèves ou d’être fâché, de manifester sa sympathie ou encore son désaccord, de dire quand ses propres limites sont dépassées ou ses besoins non respectés.
Il peut aimer ou ne pas aimer tel travail d’élèves sans impliquer que ce travail est objectivement bon ou mauvais ou que l’élève lui-même est bon ou mauvais. Il exprime simplement le sentiment qu’il éprouve devant tel travail, c’est-à-dire un sentiment qui lui est personnel. Ainsi, le professeur est pour ses élèves une personne, et non l’incarnation impersonnelle des exigences du programme ni le tube stérile à travers lequel la science est transmise de génération en génération. – Carl Rogers
L’authenticité est réelle quand le facilitateur exprime ses sentiments en les prenant en charge, sans accuser autrui, ni chercher à punir ou à culpabiliser. Carl Rogers en donne un exemple dans son livre Liberté pour apprendre. Il s’agit d’une enseignante en primaire qui avait laissé à la libre disposition de ses élèves tout un matériel d’art :
Ça m’affolait de vivre dans cette Crasse (avec un C majuscule) ! Et personne ne s’en faisait à part moi. Un jour, n’y tenant plus, je dis aux enfants que j’étais par nature quelqu’un de propre et d’ordonné et que cette crasse me rendait folle. Avaient-ils une solution ? Quelques uns suggérèrent que des volontaires nettoient… Je leur dis que je ne trouvais pas très honnête que ce soient toujours les mêmes qui nettoient pour les autres – mais que, bien entendu, pour moi, c’était une solution.
“Mais s’il y en a qui aiment nettoyer” répondirent-ils. Voilà comment ça s’est passé.
On reconnaît ici les principes des messages-Je et de la solution gagnant/gagnant de Thomas Gordon. On pense également aux étapes de la CNV (Communication Non Violente) de Marshall Rosenberg… Serez-vous étonnés d’apprendre que Gordon et Rosenberg ont tous les deux suivi les cours de Carl Rogers :-) ?
2. La considération positive
Dans la pensée de Carl Rogers, il s’agit d’éprouver de la considération pour l’apprenti, pour ses sentiments et ses opinions, pour sa personne. Carl Rogers l’appelle aussi acceptation ou confiance. C’est une confiance de base : la foi dans l’autre qui est fondamentalement digne de confiance.
Cette qualité se traduit par un respect, un souci que le facilitateur éprouve pour tous ses élèves. Il s’agit de faire en sorte que chaque apprenti se sente important, mûr, capable de faire des choses par lui-même, qu’il a le droit d’avoir ses propres sentiments et besoins.
Que chacun puisse atteindre le degré d’être dont il est capable. – Patricia Bull
Un étudiant témoigne :
Très peu de professeurs vont vouloir essayer cette méthode parce qu’ils auront l’impression de perdre le respect des étudiants à leur égard. C’est bien le contraire qui se passe. Vous avez gagné notre respect, en ayant pu nous parler à notre niveau, au lieu de vous tenir à 10 000 au-dessus de nous.
Une attitude humaine, chaleureuse et encourageante sont les points-clés de cette dimension pour accepter les apprentis tels qu’ils sont.
Il s’agit d’avoir confiance en la nature profondément bonne de l’être humain, de chercher à raisonner en termes de besoins et d’attachement (on a toujours une bonne raison d’agir comme on le fait : quelle est cette raison ? quel est le besoin non satisfait qui engendre ce comportement ? à quoi dit-on oui ?), de voir les apprentis en développement.
Marshall Rosenberg cite quelques besoins fondamentaux, valables aussi bien pour les adultes, les enfants et les adolescents :
- Autonomie (choisir nos rêves, nos buts, nos valeurs et les stratégies pour les atteindre)
- Célébration (célébrer la vie et la réalisation de ses rêves, célébrer les pertes et le deuil)
- Intégrité (créativité, authenticité, sens, estime de soi)
- Interdépendance (amour, acceptation, appréciation, considération, appartenance à une communauté, confiance, compréhension, soutien , honnêteté)
- Nourriture sur le plan physique (air, aliments, exercices physiques, protection, repos, eau, abri, toucher…)
- Jeu (amusement, rire, expression artistique)
- Communion d’esprit (beauté, harmonie, inspiration, ordre, paix)
Connaître les besoins fondamentaux communs à tous les êtres humains permet de mieux comprendre et accepter les apprentis avec leurs divers sentiments (qui viennent de besoins satisfaits ou non satisfaits) et leurs différentes potentialités.
3. L’empathie
Les apprentis apprécient le fait d’être simplement compris, sans être évalués ou jugés, à partir de leur point de vue.
Carl Rogers écrit :
Si un professeur s’assigne la tâche d’essayer de donner chaque jour à chaque étudiant ne fût-ce qu’une réponse non évaluative, acceptante, empathique à des sentiments exprimés verbalement ou autrement, je suis convaincu qu’il découvrira l’efficacité que recèle cette compréhension qu’on ne rencontre pourtant presque jamais.
Cette empathie s’exprime par des messages verbaux et non verbaux (signe de tête, sourire, main sur l’épaule, accolade…). Thomas Gordon a donné un nom à cette écoute empathique : l’écoute active. Elle consiste à répéter en miroir des éléments-clés exprimés par l’autre.
Dans l’écoute active, l’adulte essaie de comprendre ce que ressent l’enfant/ l’adolescent, de saisir ce que son message veut dire. Ensuite, l’adulte transforme sa compréhension dans ses propres mots et retourne le message à l’enfant/adolescent pour vérification.
Le plus important pour l’adulte est de transmettre son propre message « décodé » sans évaluation, sans opinion, sans conseil ni raisonnement ou encore analyse. Il retourne seulement ce qu’il pense être le sens véritable du message de l’enfant/adolescent : rien de plus, rien de moins :-).
L’objectif de l’écoute active est d’aider l’autre à en dire plus, à approfondir, à mieux développer sa pensée.
L’écoute active peut passer par des expressions du type :
Tu as le sentiment d’être impuissant face à…
Tu éprouves une frustration par rapport à…
Tu ressens un malaise/de la rancune/ de la colère…
Tu penses que tu ne vas jamais y arriver/ que c’est inutile/ qu’on t’en demande trop…
Tu sembles (fâché contre)…
Tu es tellement (en colère) que tu as envie de…
Tu n’aimerais pas…
Tu aimerais mieux…
Tu crois que…/ Tu as cru que…
Tu as l’impression que…
Tu te sens…
Quelque chose (te fait peur/ te met en colère/ te rend triste), c’est ça ?
C’est vraiment…. qui (te fait peur/ te met en colère/ te rend triste) ?
Tu en as assez de…
Tu aimes vraiment… ? / …, ça te plait beaucoup, on dirait.
Tu as peur de…
Tu es déçu de…
Tu veux dire que…
…., c’est ça qui t’embête ?
Tu n’as pas assez de temps pour…
Ça doit être (douloureux/ gênant) de…
Tu as ressenti (de la honte/ de la peine/ de la peur/ de la colère) ?
Tu te demandes pour quelle raison….
Il te semble (difficile/ risqué) de…
Et dans la pratique ?
La Communication Non Violente comme point d’appui
Cette approche centrée sur l’apprenti pour faciliter les apprentissages implique un savoir-être pour l’enseignant. Cela peut être difficile, non spontané de faire part de ses sentiments , de parler de ses propres malaises sans en faire porter la responsabilité à autrui. Avant tout, il faut être proche de ses propres sentiments et capable d’en être conscient. Ensuite, il faut prendre le risque de les exprimer tels qu’ils sont en nous, sans les déguiser en jugements et sans les attribuer à autrui.
En cela, le processus de Communication Non Violente (CNV) peut vraiment nous y aider. Je vous invite à lire cette introduction à la CNV si vous n’êtes pas familier avec cette approche.
Avoir confiance en l’être humain
Si je n’ai pas confiance dans l’être humain, je suis bien alors obligé de le gaver d’informations, choisies par moi, pour l’écarter du mauvais chemin qu’il prend. Mais si, au contraire, j’ai foi dans la capacité humaine de développer ses propres potentialités, alors je puis lui permettre de choisir sa propre voie et de se diriger lui-même dans sa formation; je puis alors lui en fournir de nombreuses occasions. – Carl Rogers
On peut se poser ces questions à nous-mêmes pour voir où nous en sommes sur ce chemin :
- Suis-je authentique et ai-je bien conscience de qui je suis ?
- Suis-je capable de relations positives?
- Ai-je la force d’être distinct de l’autre (mes élèves) ?
- Ai-je assez de sécurité intérieure pour laisser les autres libres ?
- Jusqu’où mon empathie peut-elle aller ?
- Puis-je accepter l’autre tel qu’il est et puis-je lui apporter la sécurité dans notre relation, sans jugement ni évaluation ?
- Puis-je le voir en développement ?
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Pour aller plus loin, je vous recommande la lecture du livre de Carl Rogers : Liberté pour apprendre.
Liberté pour apprendre (éditions Dunod) est disponible chez votre libraire, dans votre médiathèque ou sur Internet.