A quoi le déni des violences éducatives (subies dans l’enfance et infligées en tant qu’adulte) sert-il ?

« J’étais tellement insupportable que je les avais bien méritées ces fessées, et j’en remercie mes parents ! », « j’aurais mal tourné si mes parents ne m’avaient pas puni », « quand on voit tous les gosses mal élevés de nos jours, on se dit qu’il y a des claques qui se perdent »… C’est le type de phrase qui revient souvent quand on parle d’éducation non violente, sans fessée ni punition. Muriel Salmona, psychiatre et spécialiste de la mémoire traumatique, écrit qu’il s’agit d’un discours stéréotypé. À quoi sert ce déni des violences éducatives (subies dans l’enfance et infligées en tant qu’adulte) ?

Selon elle, ce discours montre à quel point les enfants devenus adultes ont été formatés et colonisés par les violences éducatives (fessées, punitions, claques, tirage d’oreilles, isolement…). Ces violences éducatives sont accompagnées d’un discours parental qui les justifie, discours renforcé par le fait que la majeure partie des adultes y adhère.

Dans son livre Réveiller le tigre : guérir le traumatisme, Peter Levine écrit que de nombreuses victimes de traumatisme se sont résignées à leurs symptômes (tels que maux de ventre ou de dos, sommeil difficile, humeur instable, ou encore faible taux d’énergie). Ces personnes n’essaient pas de trouver une voie qui les ramènerait à une vie normale et saine (ou alors traitent les symptômes sans penser aux causes). Le déni et l’amnésie jouent un rôle important dans le maintien de cet état de résignation. Ces personnes vont alors nier avoir été traumatisées, clamer qu’il ne leur est rien arrivé, affirmer avec fermeté qu’elles n’ont pas eu peur (et toujours pas peur maintenant) et qu’elles n’ont pas eu mal (certains enfants le disent d’ailleurs déjà : “Même pas mal !”).

Pourtant, il est important de se considérer que ce déni est en lui-même un symptôme du traumatisme. Peter Levine rappelle que le déni et l’amnésie ne sont pas des choix volontaires (ils ne sont pas le signe d’une faiblesse de caractère ou d’un dysfonctionnement de personnalité, ni d’une tentative de manipulation malhonnête). Ce comportement est inscrit dans la psychologie et la biologie humaines car, au moment de l’événement traumatisant, le déni aide à préserver la vie et le fonctionnement de la personne. C’est par la suite que ce déni devient un symptôme du traumatisme.

Le déni est socialement entretenu car la violence est justifiée sous couvert d’éducation.

Ces discours, qui se perpétuent de génération en génération, culpabilisent l’enfant, lui disent à quel point il a mérité les punitions, et justifient les violences en présentant les parents comme de bons parents soucieux de bien éduquer leurs enfants, les violences exercées devenant une preuve de leur amour: « je t’aime, donc je te frappe », « tu peux me remercier de t’avoir si bien éduqué! ». – Muriel Salmona

Le problème avec ce mécanisme est que non seulement les anciens enfants victimes de violences sous couvert d’éducation vont dire combien les fessées, raclées, gifles et humiliations leur auront été utiles pour réussir, mais ils vont aussi rejeter toutes les preuves scientifiques qui ne vont pas dans le sens de leurs croyances.

Ceci est d’autant plus dommageable que ces adultes ont, au contraire, dû développer beaucoup plus d’énergie que s’ils n’avaient pas subi de violences dans l’enfance, pour avancer dans la vie malgré le stress, les troubles cognitifs, les troubles anxieux, le manque d’estime de soi et de confiance en soi, les conduites à risque, consécutifs à la violence éducative qu’ils ont subie dans leur enfance.

Muriel Salmona rappelle que l’adhésion à ce type de discours n’est pas si totale qu’il n’y paraît. En effet, de nombreux parents reconnaissent que leur violence n’est pas juste, qu’elle sert le plus souvent à se soulager de leur propre tension et qu’ils culpabilisent après coup (Bunting, 2008; Enquête de l’Union des Familles en Europe, 2006/2007).

Je vous propose un visuel qui résume le mécanisme du déni des violences éducatives.

déni violences éducatives

>>> Télécharger le visuel sur le déni des violences éducatives au format PDF pour l’imprimer.

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Sources :

Châtiments corporels et violences éducatives : Pourquoi il faut les interdire en 20 questions réponses de Muriel Salmona (éditions Dunod).

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Réveiller le tigre : guérir le traumatisme de Peter Levine (InterEditions). Disponible en médiathèque, en librairie ou sur les sites de ecommerce.

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