Accompagner l’expression artistique des enfants avec bienveillance
Dans son livre Se construire par les arts plastiques, Evelyne Odier propose une approche que j’aime beaucoup pour accompagner l’expression artistique des enfants. Elle nous demande d’imaginer un dialogue :
C’est terrible. Je suis allé au docteur et il m’a dit que j’ai une maladie incurable.
On ne dit pas “je suis allé au docteur” mais on dit “je suis allé chez le docteur”.
Pour Evelyne Odier, il se passe la même chose quand un dessin fortement chargé d’affectivité, lourd de signification, est regardé d’un oeil distrait par la personne à qui il est montré (et accompagné par exemple d’un “c’est joli” ou d’un “c’est bien, tu n’as pas dépassé”).
Chercher à communiquer, notamment à travers un dessin, une peinture ou toute autre production artistique, sans être entendu peut augmenter la douleur, l’impression de solitude et conduire à un repli sur soi-même (se taire permettant d’évitant de renouveler cette expérience négative d’incompréhension).
Il n’est pas nécessaire que l’adulte (parent, enseignant, animateur d’atelier…) soit formé en psychologie ou s’improvise psychologue à chaque heure du jour mais le simple fait d’accueillir avec empathie les sentiments douloureux des enfants exprimés à travers une production artistique peut leur apporter un soulagement.
Evelyne Odier insiste sur l’importance pour les enfants d’être entendus et vus. Ils se sentent reconnus, acceptés tels qu’ils sont et compris quand un adulte reformule avec empathie ce qu’ils ont voulu exprimer avec des mots (poésie, histoire, chanson…), des peinture , des collages ou encore des dessins :
Ce dragon a vraiment l’air méchant. Pauvre bonhomme, si petit et si seul en face de lui, il a sans doute très peur.
Pour moi, une lumière sereine baigne toute votre image.
Je vois là-bas un gros nuage mais je ne sais pas s’il s’approche ou s’il s’éloigne.
Je ressens telle émotion devant ton dessin.
Je suis touché.e.
Tel élément à tel endroit produit tel effet.
Ce portrait a beaucoup de présence. Cela donne envie de faire connaissance avec le personnage.
Quand je regarde ce tableau, il y a une sorte d’angoisse qui monte en moi.
Cet arbre sans racine a bien des difficultés, il ne peut pas se nourrir comme ça sans racine.
Il s’agit ici d’adopter une écoute active ou des messages Je (le “je” n’engageant que soi), en aucun cas de dire ce qu’exprime le dessin. Parler de nos émotions (“je ressens cela devant ton tableau”) ouvre vers une communication d’égal à égal, d’humain à humain.
Pour encourager l’expression et continuer l’exploration des émotions, un adulte peut également mettre l’accent sur des potentialités non réalisées qui peuvent être encore concrétisées.
Tu peux encore créer la continuité de la peau sur le visage.
Tu as fondu les passages entre les éléments.
Je ne comprends pas l’effet que tu as voulu faire.
Est-ce que l’animal est gentil ou méchant ? Fais-nous le comprendre.
Dans cette partie, je devine un vent violent. Dans cet autre morceau, je vois l’atmosphère au repos. Veux-tu volontairement créer une rupture ? Préfères-tu que tout le paysage baigne dans un même air ? Dans ce cas, quelle atmosphère choisis-tu ?
Aujourd’hui, l’histoire se finit mal. Peut-être qu’un autre jour tu auras envie de raconter l’épisode suivant; peut-être qu’un jour, tu auras envie d’inventer une fin moins dramatique.
Si tu cherches à être juste par rapport à la réalité, il faut donner telle dimension à tel élément.
Pour l’instant, telle partie de l’image fonctionne et telle autre n’est pas encore intégrée.
Si c’était mon travail, je mettrais ici une tâche de telle couleur pour telle raison. Mais je ne suis pas toi. Ne le fais que si tu en sens la nécessité profonde, que si tu es vraiment d’accord.
Le travail de Carl Rogers a montré à quel point on peut aider quelqu’un sans lui donner le moindre conseil en se contentant de le comprendre avec empathie et bienveillance, en reformulant son expression pour lui permettre de mieux en prendre conscience.
Parfois, un enfant auquel on a suggéré de compléter un dessin trouvera sa propre idée, piochera parmi une idée proposée ou encore estimera que son dessin est fini et très bien comme il est. Son image doit être respectée mais il a pu entendre que l’entourage avait pour lui des projets “nourrissants” et qu’une solution pouvait être créé.
Quoiqu’il en soit, l’adulte à qui un enfant choisit de présenter une production artistique spontanée n’a pas à déchiffrer un sens caché à tout prix mais plutôt à aider l’enfant à créer le sens qu’il ressent comme juste.
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Source : Se construire par les arts plastiques de Evelyne Odier (éditions Chronique Sociale). Disponible en médiathèque, en librairie ou sur internet.