Savoir accueillir (aussi) l’expression de la joie des enfants
La joie est une émotion primaire et saine. Les enfants ont besoin de temps et d’espace pour la laisser s’épanouir et s’exprimer. Quand on s’engage dans un processus d’accompagnement des émotions, on a souvent tendance à se focaliser sur les émotions désagréables (colère, peur, tristesse) pour que les enfants apprennent à vivre avec et se servent de l’énergie véhiculées par ces émotions pour servir leurs besoins plutôt que faire preuve de violence ou se replier sur eux-mêmes. Pourtant, l’accompagnement de l’émotion de joie peut aussi être source de difficultés (comment accueillir le désordre ? comment se réjouir du dérangement et des saletés ? comment supporter les manifestations bruyantes d’enthousiasme ?).
Parfois, nous pouvons avoir du mal à accueillir l’expression de la joie des enfants parce que cette émotion est expansive, bruyante, et s’accompagne parfois d’un sur-plus de travail pour nous (ranger la cuisine après un atelier culinaire, nettoyer la peinture, laver les vêtements – et les enfants – pleins de boue…).
D’autres fois, nous pouvons avoir peur d’une joie manifestée à la suite d’un succès (peur que l’enfant “prenne la grosse tête”, peur qu’il engendre de la jalousie, peur qu’il ne fasse plus d’efforts après cela…).
Parfois même, l’enfant intérieur de certains parents peut être touché par l’expression de joie enfantine parce que cela le renvoie à des événements douloureux de répression de sa propre joie dans l’enfance.
« Calme-toi ! Ne fais pas tant de bruit ! » « N’exagère pas, tu n’as quand même pas décroché la lune. » « 18 en histoire ? Et pourquoi pas 19 ? » Les adultes ont parfois du mal à accueillir la joie. C’est une émotion explosive, qui fait du bruit, fait rayonner l’enfant ! Et comme c’est l’émotion de la liberté, elle dérange parfois les parents qui peuvent avoir le sentiment de perdre du contrôle. – Isabelle Filliozat
Pourtant, les hormones qui accompagnent l’émotion de joie sont antalgiques, relaxantes, antistress, créent de la motivation et facilitent les apprentissages. Nous gagnerions à savoir accueillir et stimuler la joie chez nos enfants, à tout âge.
5 clés pour accueillir et stimuler la joie chez les enfants et adolescents
-
1.Décrire et encourager (plutôt que complimenter en portant un jugement de valeur)
Certaines phrases positives et encourageantes comme « Tu es le meilleur » ou « C’est très bien » portent des jugements. Elles peuvent nourrir la fierté mais risquent d’éteindre la joie et la motivation intrinsèque.
Isabelle Filliozat propose de laisser les enfants s’exprimer avant de formuler des encouragements :
-Reprendre le mot important de la phrase
Par exemple, pour un enfant qui annonce avoir eu 15 à son contrôle, répéter « 15 ? » d’un ton neutre à enjoué selon la communication non verbale envoyée par l’enfant. Il se peut que le contrôle soit noté sur plus de 20, que la moyenne de la classe soit supérieure à 15, qu’il s’attendait à une meilleure note…
-Demander ou faire des suppositions sur l’état émotionnel de l’enfant
« Et qu’est-ce que ça te fait ? »/ « Comment tu te sens ?»/ « Ça a l’air de te mettre en joie/ Tu as l’air hyper content/ On dirait que tu es vraiment fière. »
-Décrire
« Je t’ai vu travailler dur pour cette interro. C’est la récompense de tous tes efforts. Ça doit te faire plaisir. »/ « Quand l’ailier t’a fait la passe, tu as bondi pour prendre le ballon et tu as fait une passe décisive. Toute l’équipe a explosé de joie !»
Ce type de langage descriptif permet aux enfants de rester en contact avec leurs propres ressentis, de consolider leur motivation intrinsèque et de sentir la connexion avec nous, notre intérêt réel pour ce qu’ils sont et ressentent (et pas seulement pour ce qu’ils font).
Par ailleurs, une bonne note ou la première place dans une compétition sportive peut donner du plaisir et de la fierté, mais la joie naît avant tout de l’exploration, des essais et erreurs, de la recherche suivie de la découverte, de la sensation de maîtrise du sujet, du déclic “j’ai compris”; en d’autres termes, du processus plus que du résultat.
-Ecouter comment l’enfant enchaîne.
Partager la joie de l’enfant avec des mots et des expressions non verbales (grand sourire, bouche ouverte, yeux écarquillés, pouce levé, clin d’oeil…) permet de prolonger l’émotion de joie chez lui… et d’être contaminés nous-mêmes par cette émotion positive !
Quand nous permettons à l’enfant de sentir ce qui se passe dans son corps lorsqu’il éprouve de la joie, cette dernière augmente encore. Les enfants, comme les adultes, gagnent à célébrer bruyamment une réussite, un succès, un dépassement de soi. – Isabelle Filliozat
De plus, un bon niveau de jubilation augmente les sécrétions d’ocytocine et nourrit la confiance en soi. En effet, la dopamine, une des hormones qui accompagne l’émotion de joie, nous récompense quand nous réussissons et nous encourage à persévérer quand nous échouons de peu.
-
2.Favoriser la motivation intrinsèque (plutôt que récompenser)
Une promesse de récompense augmente certes notre probabilité de faire quelque chose, mais cela change profondément notre manière de le faire. – Isabelle Filliozat
Une étude américaine a montré que des enfants récompensés pour jouer à des jeux mathématiques pendant douze jours ont rapidement joué davantage aux jeux qui leur faisaient gagner des récompenses. Mais quand les récompenses ont été supprimées par les expérimentateurs, l’intérêt des enfants pour ces jeux a diminué significativement… à tel point qu’ils se sont montrés moins intéressés que les enfants qui n’avaient jamais été récompensés ! Ainsi, l’utilisation des récompenses systématiques pour inciter l’engagement dans des activités spécifiques peut aussi produire une diminution de l’engagement envers la tâche dans des situations où la récompense n’est pas disponible. Une seule récompense suffit pour ôter la joie d’une activité, surtout si elle n’a pas de lien avec la tâche.
Les récompenses altèrent le goût de faire la chose pour elle-même. Or c’est une condition de la joie ! La joie naît naturellement de la mise en jeu de nos compétences. Nous sommes heureux quand nous nous absorbons dans une expérience optimale ou dirigée vers un objectif qui nous tient à cœur. Quelque chose de très difficile peut être vécu comme un défi à relever, et les humains adorent les défis. Ils détestent en revanche les contraintes, les tentatives de manipulation et les jeux de pouvoir.
On comprend mieux la relation entre joie et apprentissage : la joie est l’émotion de l’apprentissage. Apprendre donne de la joie et et l’émotion de joie aide à mémoriser.
Pour aller plus loin : Comment remplacer les récompenses : 8 alternatives aux récompenses
-
3.Encourager l’autonomie et la prise de risques mesurée
Les enfants ont besoin d’être exposés à certains risques proportionnés pour qu’ils puissent repérer, évaluer les dangers et décider en conséquence de l’action qu’ils vont entreprendre.
Courir comme un fou, se déchaîner sur une balançoire, escalader un arbre, ça libère de l’adrénaline. Mobiliser fortement son corps permet de se sentir fort. Quand on arrive à vaincre un obstacle, la dopamine inonde le cerveau : Joie ! Un enfant qui prend des risques en grimpant sur le grand toboggan au square éprouve son pouvoir personnel. Il sent ses muscles. S’il est autorisé à monter le toboggan par la descente, il s’approprie l’espace, mesure sa force, rencontre l’obstacle de la gravité, voit comment il peut s’accrocher. Quand il réussit à grimper tout en haut, non seulement il est fier, mais il est plus solide qu’avant, plus confiant. Il maîtrise l’objet, il l’a exploré dans tous les sens, il le connaît, il est désormais davantage capable de mesurer le risque. Si sa maman le tient alors qu’il monte, voire descend le toboggan, elle lui transmet le message qu’il n’est pas capable de faire seul. S’il n’a pas le droit de monter par la descente, il n’a pas pu explorer toutes les caractéristiques de l’objet, il se sent moins sûr de lui, donc moins en sécurité. – Isabelle Filliozat
Isabelle Filliozat avertit que, en cherchant à assurer systématiquement la sécurité des enfants, les adultes non seulement risquent d’insécuriser les enfants sur le moment, mais aussi de les empêcher de construire leur aptitude à faire face en autonomie.
Bien sûr qu’il arrive que les enfants se fracturent un bras ou une jambe (c’est même le premier motif de consultation aux urgences), mais des études ont montré que « jouer en hauteur n’est corrélé ni à la fréquence ni à la sévérité des fractures » (source : Les chemins de la joie – Isabelle Filliozat).
Au contraire, quand l’espace est trop sécurisé, les enfants ne font plus attention ni à leurs corps ni à l’environnement. Leur vigilance baisse. C’est quand il y a un peu de risque que les enfants deviennent plus prudents, plus attentifs, et donc qu’ils prennent des risques mesurés et en conscience.
Les difficultés et les risques stimulent la vigilance et apportent plus de joie. Il nous reste alors à trouver le bon équilibre entre nos peurs d’adultes et le couple besoins/ émotions des enfants.
-
4.Accorder des espaces de liberté et du temps non structuré aux enfants
Selon Isabelle Fillozat, afin de retrouver la joie d’apprendre, nous avons tout d’abord à reconquérir des espaces-temps de liberté. Nous gagnerions à laisser plus de liberté aux enfants pour qu’ils jouent librement, en dehors des directives décidées pour eux par des adultes.
Apprendre et travailler, tant que ce sont des activités librement choisies, sont de grandes sources de joie, parce que cela nourrit notre impulsion exploratrice et nous permet de créer, de produire, d’avoir un impact sur notre environnement. – Isabelle Filliozat
Nous pouvons permettre aux enfants de temps à autre de rester concentrés sur une même tâche autant de temps qu’ils en ont besoin. C’est le principe de l’expérience optimale (ou flow) tel que conceptualisé par Mihály Csíkszentmihályi . L’expérience optimale est une situation dans laquelle l’attention est librement investie en vue de réaliser un but personnel parce qu’il n’y a pas de désordre qui dérange ou menace le soi. Les personnes qui atteignent fréquemment cet état de développent un soi plus fort, plein de confiance et efficace parce que leur énergie psychique a été investie avec succès dans la réalisation des objectifs qu’ils avaient l’intention de poursuivre
Pour rappeler l’absurdité du temps saucissonné tel que le vit la plupart des enfants à l’école, Isabelle Filliozat prend cette comparaison : imaginez que votre patron vous interrompe toutes les cinquante minutes pour vous faire changer de dossier, et ce sans aucune considération pour là où vous en êtes dans ledit dossier. A défaut de le proposer pour les apprentissages dits “scolaires” (encore que ce soit possible en optant pour l’instruction en famille ou pour des écoles types Montessori ou démocratiques), nous pouvons accorder cela aux enfants à la maison autant que possible.
-
5.Prendre du temps de qualité en famille où la joie est partagée
La joie n’est pas que dans le plaisir, elle émerge de l’intimité créée par le partage authentique des émotions. Multiplions les partages intimes, les soirées de jeu en famille, les promenades, et pensons « rituels » familiaux. – Isabelle Filliozat
Les moments de joie partagés entre parents et enfants constituent des ressources dans lesquelles les enfants pourront puiser quand ils seront adultes quand ils en auront besoin. Pour que le passé des enfants soit une richesse, c’est à nous, adultes, d’en prendre soin dans le présent : participer aux jeux des enfants, entrer dans leur monde (quand ils nous y autorisent), rire ensemble, leur montrer que nous prenons du plaisir à être avec eux. Ce temps passé ensemble ancrera en eux un sentiment de sécurité intérieure et de connexion
Ainsi, la joie, c’est relâcher de temps à autre notre sérieux, c’est préférer l’enfant à la vaisselle ou aux emails professionnels, c’est remplir nos agendas de moments de joie partagés en famille, c’est abandonner l’idée de temps “utile”, à rentabiliser de manière pédagogique, c’est également favoriser les liens physiques.
Lors des touchers (câlins, massages, jeux incluant des contacts physiques…), l’ocytocine est sécrétée. L’ocytocine est l’hormone du lien. Elle est impliquée dans tout ce qui est relation à autrui. L’ocytocine réduit l’anxiété et la peur, et nous rapproche les uns des autres en induisant un sentiment de sécurité et de confiance. Dans un groupe (et notamment une famille), elle est l’hormone du sentiment d’appartenance (l’appartenance étant un besoin fondamental humain).
Tous les humains, de tout âge, partagent les besoins d’être « signifiants », de contribuer, d’apporter leur pierre, de faire leur part, de se sentir utiles et importants, d’appartenir, de se sentir connectés, de croître, de se réaliser, d’apprendre. Ressentir l’émotion de joie est un signe que ces besoins humains fondamentaux sont nourris.
La joie est l’émotion qui nous dit que nous sommes à notre place. À notre place dans la communauté humaine, à notre place sur notre chemin de vie. – Isabelle Filliozat
…………………………………………………………..
Source : Cultivons la joie de Isabelle Filliozat (éditions Poche Marabout). Disponible en médiathèque, en librairie ou sur internet.
Commander Cultivons la joie sur Amazon, sur Decitre, sur Cultura ou sur la Fnac